Le capitaine d'un
ferry méditerranéen, Henry St James, a une vie bien organisée : une affectueuse
et très anglaise femme à Gibraltar, Maud, et une femme au sang-chaud à Tanger,
Nita. En bref, une vie parfaite jusqu'à que sa femme de Gibraltar n'est la malencontreuse
idée de le suivre à Tanger...
Le transformisme et la schizophrénie de l’acteur auront
toujours trouvé leur meilleur ambassadeur à travers le talent caméléonesque d’Alec
Guinness, capable de l’exprimer de façon spectaculaire dans le célèbre Noblesse Oblige (1949) où il incarne
sept rôles de tous sexe et dans une veine plus subtile avec ce savoureux Capitaine Paradis. Le film dresse un
récit de bigamie rondement mené où il est paradoxalement moins question de
comédie de boulevard que de la quête de la femme idéale. Alec Coppel, l’un des
scénaristes du film participera quelques années plus à celui de Vertigo, grande œuvre sur la
reconstruction d’un idéal féminin insaisissable. Avec Hitchcock, cette idée
tirera vers le fétichisme obsessionnel quand Anthony Kimmins dénonce lui le
machisme ordinaire d’une Angleterre dépassée. Henry St James (Alec Guinness)
mène ainsi une agréable double vie au gré des va et vient qu’il effectue dans
sa fonction de capitaine de ferry.
A l’aller nous le découvrirons bon vivant,
gouailleur et libidineux dans l’exotisme et le fourmillement de la ville imaginaire
d’Afrique du Nord Kalik – inspirée de l’enclave espagnole de Ceuta dans son
croisement de culture hispanique et orientale. Il y retrouve la sensuelle Nita
(Yvonne de Carlo), son épouse autochtone aux formes voluptueuse avec laquelle
il peut s’abandonner à ses instincts les plus primaires. Au retour, il se rend
l’île britannique de Gibraltar où il pourra laisser s’exprimer ses penchants
les plus casaniers avec sa femme au d’intérieur typiquement anglaise, Maud
(Celia Johnson).
Alec Guinness est hilarant de satisfaction dans ces deux
registres où il force largement le trait. Affecté, apathique et pantouflard
avec Maud, il est la virilité désinvolte incarnée avec Nita dont il claque les
fesses impunément, étreint la silhouette avec gourmandise dans des baignades
nocturnes dans une existence faite de nuits blanches et de champagnes. La vie
de rêve, le paradis comme il est plus d’une fois souligné dans un idéal
parfaitement machiste car soumis au seul point de vue de son protagoniste
masculin.
Si la situation manquera de peu d’être éventée le temps d’une
péripétie, ce n’est pas une maladresse de St James qui causera sa perte mais l’éveil
des figures féminines dans lesquels il n’a vu que de simples projections de ses
fantasmes. Toute la caractérisation du héros tend à nous le montrer comme un
anglais « vieille école », un gentleman pour qui les deux sexes se
divise entre l’intellect (masculin) et le charnel (féminin). Avec ses
congénères hommes il peut disserter dans des tirades creuses sur le sens de la
vie le cigare au bec alors qu’avec les femmes la relation se résume à la
dichotomie entre la maman et la putain qu’il a établie avec ces deux épouses.
Ses certitudes vont donc être bousculées lorsque les femmes, en êtres pensants
et indépendants vont dépasser les fonctions dans lesquelles il pensait les
avoir assigné pour malmener l’ordre établi. Cela se fera par étape montrant
progressivement l’insatisfaction des deux épouse et la goujaterie de St James –
son regard hautain sur les passagères admiratives en début de film nous ayant préparé
à ce trait de caractère.
A une Maud ennuyée par une existence de housewive
banale, il offre constamment des ustensiles ménagers nouveaux (aspirateur,
tablier et machine à coudre) puis lui fait des enfants afin de lui occuper l’esprit,
à cette pauvre créature. A une Nita lasse de cette vie festive permanente, il
promet enlaidissement et prise de poids si elle ose adopter une attitude de
ménagère ordinaire. Alec Guinness par sa prestation subtile évite pourtant de
rendre son personnage détestable grâce à la facette pathologique qu’il amène
dans son attitude. Sa réaction sera presque allergique lorsqu’il verra ses
femmes faire montre d’autres aptitudes et envies que celles où il les a réduite.
La douce Maud va ainsi enflammer la piste de danse le temps d’un fox-trot
endiablé sous les yeux médusés d’un St James au bord de la syncope quand Nita
lui préparera un bon petit plat en parfaite femme d’intérieur. Les foyers mêmes
illustrent cette division maladive opérée par St James, chambre d’hôtel pour la
vie sans foyer justement vécue avec Nita, et une maisonnette pompeusement
baptisée en français « Mon Repos » pour le l’atmosphère cosy aux côté
de Maud.
Les deux actrices offre un répondant parfait et intelligent
à Guinness. Celia Johnson est réellement le symbole de cette figure féminine
frustrée et en retrait depuis son légendaire rôle de femme adultère malheureuse
dans Brève Rencontre (1945). Le
destin cruel et pathétique de son personnage illustrait l’entrave à l’émancipation
féminine de ce monde d’avant-guerre tandis que dans Capitaine Paradis on a le
sentiment de la retrouver à l’ère moderne prête à assumer ses désirs. Son
existence ne restera pas figée par un mariage ennuyeux et on ressent une
jubilation certaine à la voir s’exciter à l’idée d’enfiler un bikini, de danser
sans retenue puis de remettre à sa place cet époux rasoir. Yvonne de Carlo n’est
au départ mise en valeur que pour son accent dépaysant et sa plastique
généreuse. On verra la une virulente dénonciation du regard encore vivace de l’Empire
Colonial où l’étrangère n’est synonyme que de promesses de voluptés
mais incapable de réactions autres que primaires.
L’actrice se déleste peu à
peu de cette exubérance de façade pour révéler une femme plus mesurée, qui
doute et aspire à une vie plus calme que cette suite de fête. Le héros masculin
parait ainsi de plus en plus déphasé et aveugle, en témoigne le portrait cliché
qu’il fait de ses deux épouses en voix-off tandis que l’image le contredit :
Maud sautille et s’imagine frivole et coquette dans son bikini alors que Nita
surveille la cuisson en cuisine dans une inversion totale de leur « rôle ».
Le message anti colonial se fera même plus virulent encore lorsque Nita sera
enlevée à St James par le personnage du taxi qui aura tout au long du film
incarné le gentil autochtone jovial mais qui désormais se pose en égal de l’anglais
en lui ravissant sa femme. La construction en flashback apporte une fin moins
radicale à St James qui nous aura semblé un rêveur dépassé plus qu’un tyran
mais le message féministe et progressif n’en fait pas moins mouche dans cette
étincelante comédie.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Enfin vu. Excellente comédie, Alec Guinness parfait, et un bel article pour en prolonger le plaisir.Merci.
RépondreSupprimerMerci ! Je vous avais dit que c'était très bon ;-)
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