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vendredi 28 novembre 2025

Scarlett et l'éternité - Hateshinaki Sukâretto, Mamoru Hosoda (2025)

 Scarlet, une princesse médiévale experte en combat à l'épée se lance dans une périlleuse quête pour venger la mort de son père. Son plan échoue et grièvement blessée elle se retrouve projetée dans un autre monde, le Pays des Morts. Elle va croiser la route d'un jeune homme idéaliste de notre époque, qui non seulement l'aide à guérir mais lui laisse également entrevoir qu'un monde sans rancœur ni colère est possible.

Depuis sa véritable révélation au grand public avec La Traversée du temps (2007), Mamoru Hosoda a construit œuvre aussi passionnante que cohérente thématiquement, nous promenant par des mondes et postulats imaginaires dans des questionnement intime autour de la famille et l’enfance. Hosoda creuse ce sillon avec talent mais, depuis Le Garçon et la bête (2015) voire Les Enfants loups (2012) avait cessé de surprendre, était entré dans une certaine routine, tout attachants et réussis que soient Miraï, ma petite sœur (2018) et Belle (2021). Scarlett et l’éternité, malgré ses imperfections, constitue donc une réelle prise de risque par ses partis-pris formels et narratifs, tout en s’inscrivant en parfaite continuité au sein de l’œuvre d’Hosoda.

L’esthétique alternant animation 3D, décors photoréalistes, atmosphères oppressantes et brutales de dark fantasy surprend vraiment par la rupture avec les univers bariolés habituels du réalisateur. Sur les prémices d’un récit inspiré d’Hamlet, Scarlet et l’éternité dépeint une douloureuse quête de vengeance. Dans la pièce de Shakespeare, l’appel à la vengeance pouvait se questionner entre l’inconscient coupable, la santé mentale vacillante d’Hamlet, ou la réelle apparition du fantôme de son père roi du Danemark désignant à son fils le nom de son assassin, l’oncle Claudius. Mamoru Hosoda inverse les niveaux de perception en faisant échouer d’emblée cette vengeance durant une introduction « réaliste » et médiévale, Scarlett devant surmonter ses démons dans un ailleurs incertain, entre enfer et paradis, passé et présent.

Cet autre monde semble se plier à ce qu’y recherche ses êtres de passages. Pour Scarlett, c’est une boucle d’éternels combats sanglants, un défilement incessant d’antagonistes lui barrant le chemin dans l’assouvissement de sa haine. Hosoda est coutumier de la création « d’outre-monde » servant la catharsis de ses personnages : les mondes virtuels de Summer Wars (2010) et Belle, le continuum espace-temps de La Traversée du temps et Miraï, ma petite sœur. Les rencontres inattendues faites dans ces environnements détournent la trajectoire uniforme des protagonistes, développent leur empathie et noient leur égoïsme pour en faire des êtres neufs. Ici il s’agira d’un secouriste échappé de la réalité contemporaine dont l’inaltérable empathie et bienveillance aura progressivement raison de la hargne de Scarlett.

On pourrait donc penser qu’Hosoda est sur ses rails habituels mais, à sa ligne claire narrative habituelle, il a privilégié cette fois quelque chose de plus expérimental, erratique et rugueux. Cela se ressent de manière la plus visible dans l’atmosphère profondément sombre, violente et anxiogène de ce monde déployant une imagerie cauchemardesque et grandiloquente. Le réalisateur lorgnait vers ce type de tonalité, notamment dans le climax de Le Garçon et la Bête, mais il se déleste de la progression plus attendue du récit initiatique pour nous perdre dans un espace mental torturé. La quête individualiste est vouée à l’échec et condamne au tourment dans ce monde, mais laisse entrevoir la sérénité et la paix intérieure si l’on s’y ouvre à l’autre. 

Dès lors les ruptures de ton lumineuses offrent des moments fort envoûtants et formellement inspirés. Hosoda semble avoir eu recours à un mélange de rotoscopie (proche de la technique de Takehiko Inoue sur le furieux The First Slam Dunk) pour deux moments de grâce proposant des scènes de danses, l’une délicieusement maladroite s’inspirant des rituels d'Asie centrale, et une autre plus moderne défiant l’espace et le temps. C’est dans cet abandon et l’acceptation de ce que la vie a à offrir de plus beau que pourra se dissoudre la haine de Scarlett, héroïne torturée et en plein doute comme les affectionne Hosoda. 

Le ton assez singulier pour perdre certains spectateurs en route (le film semble d’ailleurs rencontrer un échec commercial au Japon) et la noirceur de l’ensemble écarte d’office un trop jeune public. Malgré une certaine confusion par instant (mais qui s’estompera à coup sûr à la revoyure), on saluera cette belle prise de risque d’Hosoda qui nous laisse imprégné d’images fortes – dont l’une des scènes finales revisite la séquence la plus iconique du Picnic de Shunji Iwai (1996).

Vu au Festival du Carrefour de l'animation, sortie en mars 2026 

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