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samedi 2 avril 2022

Apollo 10 ½ : Les fusées de mon enfance - Apollo 10½: A Space Age Childhood, Richard Linklater (2022)

Apollo 10 1/2 : Les fusées de mon enfance retrace l'histoire du premier voyage sur la Lune selon deux points de vue croisés. Le film raconte ainsi l'incroyable épopée de l'été 1969 non seulement du côté des astronautes et du centre de contrôle de mission, mais aussi à travers les yeux d'un enfant qui vit à Houston au Texas et qui nourrit ses propres rêves intergalactiques.

Le rapport au temps est une notion essentielle du cinéma de Richard Linklater. Les retours dans le passé, l’étirement d’un moment particulier de vie, l’unité de temps et/ou de lieu, tout cela constitue des éléments capturant la vérité de personnages, de lieu, de périodes dans des œuvres aussi essentielles et différentes que Dazed and Confused (1993), la trilogie Before Sunrise (1995)/Before Sunset (2005)/Before Midnight (2013), Boyhood (2014) ou encore Everybody wants some (2016). Apollo 10 ½ apporte une pierre à cet édifice dans une dimension autobiographique déjà au cœur de Dazed and Confused et Everybody wants some pour Linklater. Le réalisateur va pourtant une fois de plus trouver une manière singulière dans son sujet et approche formelle livrer une proposition différente. 

Dans Before Sunset, le personnage de Jesse (Ethan Hawke) a écrit un roman sur la nuit magique passée au côté de Céline (Julie Delpy) dans Before Sunrise, moment de connexion romantique qui a marqué à jamais le jeune homme qu’il était. Pourtant lorsqu’il retrouvera Julie Delpy plus tard, il lui avouera n’avoir conservé que l’émerveillement de cette rencontre sans pour autant se souvenir s’ils avaient couché ensemble ce soir-là. C’est Céline, subjuguée à sa manière par cet épisode aussi, qui lui rappellera que oui, effectivement ils sont passés deux fois à l’acte lors de cette soirée. Tout l’intérêt de Richard Linklater au temps est là, dans la manière dont ces capsules temporelles s’imprègnent de ce que nous étions, de ce que nous sommes désormais, et la manière dont cela matérialise ce passé dans notre esprit.

Apollo 10 ½ sera donc la vision, par le prisme de l’enfance texane de Richard Linklater, de l’odyssée spatiale d’Apollo 11 et du premier homme sur la lune le 21 juillet 1969. Linklater le fait sous forme de film d’animation en reprenant la technique de la rotoscopie utilisée pour traduire les sensations opiacées et hallucinées de A Scanner Darkly (2006, adapté de Philip K. Dick) ou encore Waking Life (2001). Ce choix n’est pas une affèterie visuelle mais une manière de traduire le point de vue de son jeune héros et double filmique Stan (Milo Coy et Jack Black en voix-off adulte) dans le fond et la forme du récit. La rotoscopie repose en effet sur des prises de vues réelles par-dessus-lesquelles, tout en conservant les mouvements des acteurs, leurs silhouettes et les décors sont entièrement dessinés. Dans l’absolu, cette technique est une manière d’économiser une animation traditionnelle plus dispendieuse mais, dans le cas de Linklater c’est une manière de réenchanter le réel par le prisme du souvenir. La sous-couche réelle de la rotoscopie est réenchantée par le dessin, nous faisant osciller entre la douceur de la nostalgie et l’immédiateté de l’enfance aussi merveilleuse qu’ordinaire de Stan dans cette banlieue pavillonnaire texane. 

Dès lors presque tout le film est une ode essentielle à la futilité de moments de vie anodins sur le moment, mais qui contribuent à nous construire : les jeux enfantins, les petits petites bêtises, les sorties en famille, les petites excentricités des parents et grands-parents (dont une grand-mère paranoïaque étonnement lucide). Linklater parvient à forger cette nostalgie d’une aura à la fois intime et universelle dans son imagerie americana (les sorties au bowling, les drive-in), à lier tout les références politiques,  culturelles et notamment musicales de manières organique au récit puisque servant la caractérisation d’un personnage (la grande sœur consciente des soubresauts politiques, les autres sœurs cernées par leur playlist musicale) et capturant des moments de communions (les programmes télévisés regardés en famille, les film super 8).  

Linklater nous aura ainsi longuement préparé au grand moment de cet été 1969. Sans doute la vision de Stan oscille entre ce qu’il en a concrètement appris ensuite à l’âge adulte, l’imaginaire développé par les films de science-fiction dévorés par lui à l’époque et la proximité de la NASA. Il n’est pas certain non plus  qu’il ait réussi à veiller suffisamment tard pour voir l’alunissage, les premiers pas lunaires et entendre la célèbre phrase de Neil Armstrong. Ce n’est pas qui importe ici, la réalité de son vécu se substitue à la douceur de ses souvenirs, au foisonnement de son imagination qui le verra envoyé en « éclaireur » dans une mission test pour la mission Apollo 10 ½ et faire de lui un héros anonyme. Pas besoin pour lui d’avoir « vu » les évènements du 21 juillet 1969, il les a vécus à sa manière, par procuration. 


 Disponible sur Netflix

 

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