Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 16 juin 2014

Génération rebelle - Dazed and Confused, Richard Linklater (1993)

Le dernier jour de cours d'une petite ville du Texas en 1976. Après le bizutage traditionnel des futurs lycéens, les différents protagonistes fêtent le début des vacances en buvant, fumant, faisant les 400 coups… La soirée sera l'occasion pour les personnages de se rapprocher, s'affirmer, évoluer ou tout simplement s'amuser.

Deuxième film de Richard Linklater, Dazed and Confused est aussi une de ses œuvres les plus personnelles.  Le réalisateur après s’être fait la main sur plusieurs court-métrage avait acquis une certaine maîtrise des budgets restreint qui le mènerait à Slackers (1991), première œuvre culte et symbole de la Génération X.  On y retrouvait déjà les motifs communs de tous ses premiers films avec ces héros juvéniles et son unité de temps sur une journée que l’on retrouverait dans Dazed and Confused (on peut ajouter le cadre de son Texas natal pour celui-ci) et Before Sunrise (1995). Linklater signe avec Dazed and Confused un teen movie nostalgique en grande partie inspiré de sa propre adolescence. Nous y suivront en ce dernier jour d’année scolaire 1976 le destin de divers adolescents qui vont fêter dignement l’évènement pour s’amuser, s’affirmer et vivre pour certains leurs premiers émois amoureux. Le réalisateur a souhaité avec ce film réaliser une œuvre en contrepoint total aux films de John Hughes. Ces derniers s’ils avaient pu dépeindre avec émotion et acuité cette période charnière de l’adolescence en donnaient une vision dramatique qui ne correspond pas au ressenti de Linklater de ce moment. 

Le réalisateur se souvient de cette époque comme de celle d’une insouciance et liberté où il ne pensait qu’à faire les les 400 coups avec ses amis et courir les filles. C’est ce sentiment que cherche à communiquer une trame volontairement lâche où ne s’invite à aucun moment le drame. On pourrait penser une sorte de variation d’American Graffiti (1973) mais contrairement à George Lucas, Linklater se déleste de toute aura nostalgique (clairement présente chez Lucas dans une idéalisation des 50’s de sa propre adolescence). Les cheveux sont longs, les pantalons patte d’éléphants légions et la bande-son rock rétro à l’avenant – avec douce ironie l’absence de Led Zeppelin dont l’un des morceaux les plus fameux donne son titre au film mais Robert Plant refusera d’en céder les droits – mais à aucun moment ne s’instaure ici une idéalisation vintage. Linklater ne célèbre pas la jeunesse des 70’s, mais la jeunesse tout court. Pas de questionnement existentiel non plus chez nos jeunes gens, après tout c’est le dernier jour de classe, il fait beau et il n’y a vraiment aucune raison de se prendre la tête.

L’erreur serait de voir par cette approche de Linklater un film creux. La profondeur thématique ne naîtra pas que d’une dramatisation forcée mais de façon plus subtile dans une atmosphère hédoniste et légère. Les moments difficiles trouveront toujours une réponse amusée dans la progression de l’intrigue ou la réaction des personnages. Le bizutage des premières années prend ainsi un tour aussi potache que douloureux, la vision collective parvenant toujours à se faire intime. On s’amuse des « épreuves » subies par les benjamins du lycée et les manœuvres de certains pour y échapper, notamment le jeune Mitch Kramer (Wiley Wiggins) traqué par la brute épaisse O’Bannion (Ben Affleck). L’angoisse est bien là, la raclée sera humiliante et douloureuse mais le réalisateur en retient surtout la dimension de rite de passage de Mitch chez les « grands ». Il ne cautionne ni ne condamne le rituel, accordant même une savoureuse vengeance au personnage qui gagne en assurance en vivant première cuite, premier flirt avec une fille plus âgée et premier savon maternel matinal pour être rentré aux aurores. 

Le questionnement sur la jeunesse paumée de Slacker n’est pas absent non plus avec cette flopées personnages fumant, buvant et traversant tout le film particulièrement perchée à l’image de Ron Slater (Rory Cochrane). Pink (Jason London) superstar de l’équipe de football entraperçoit déjà une forme de soumission à l’autorité en devant signer une clause de « pureté » à son entraîneur et se rebelle contre ce frein à sa liberté. Là encore le réalisateur laisse le bon choix à la libre interprétation en montrant l’esprit de camaraderie tendant vers un objectif des membres de l’équipe mais aussi l’autoritarisme et jugement de valeur injuste de la part de l’entraîneur psychorigide. Chaque fois que les prémisses et les difficultés de la « vraie » vie viennent s’immiscer dans cet instant, un grand éclat de rire vient les désamorcer sans les faire disparaître pour autant. L’avenir sans issue pourrait ainsi inquiéter avec le glandeur désinvolte Wooderson (Matthew McConaughey en grande révélation et texan pur jus comme Linklater) qui ne semble pas faire grand-chose de sa vie après avoir quitté l’école, mais Linklater ne préfère retenir que la cool attitude du personnage plus préoccupé du prochain concert d’Aerosmith et de sa future conquête du jour. 

La mise en scène oscille d’ailleurs entre hauteur bienveillante donnant dans la pure chronique et une attention plus délicate pour les protagonistes. Le champ se restreint au fil du récit avec une caméra arpentant les couloirs du lycée sur fond de rock tonitruant pour saisir tout à la fois l’urgence, l’énergie mais aussi l’insouciance du moment. Avec la nuit tout va soudain moins vite, les regards s’égarent, les attitudes se font plus passionnées et les tirades plus inconsistantes sous l’effet des alcools et drogues diverses consommées, drapant l’ensemble d’une touchante maladresse.

C’est le moment du laisser-aller, où l’on peut se libérer des frustrations (Adam Goldberg osant rendre la pareille à la brute du coin) où les premiers amours semblent les plus fragiles et touchant à l’image de l’échange final entre Tony (Anthony Rapp) et Sabrina (Christin Hinojosa). Demain n’existe pas et chacun vit les instants les plus heureux de sa vie semble nous dire Linklater, qui n’installe d’ailleurs pas le film dans un moment décisif de l’existence de ces jeunes gens, pas encore confrontés aux échéances scolaires et professionnelles. On retrouve ainsi déjà à une échelle plus collective ce sentiment d’attente, d’éphémère et de plénitude en suspend qui fera tout le charme du diptyque Before Sunrise/ Before Sunset (le troisième volet forçant pas forcément pour le meilleur le côté dramatique).

Un film culte qui gagnera en grandeur au fil des années jusqu’à la consécration lorsque Tarantino le classera parmi ses dix films favoris et ranimera son aura puisque le succès fut d’estime à sa sortie en dépit des critiques élogieuse. Un teen movie unique en son genre qui n’a trouvé finalement qu’un seul vrai successeur récemment avec le beau The Myth of The American Sleepover (2010).

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal

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