Robert Lomax, homme d'affaires américain, débarque à Hongkong pour refaire sa vie et se consacrer à la peinture. Sur le ferry, il rencontre une jeune fille timide, Mee Ling. Celle-ci, qui s'appelle en réalité Suzy Wong, a dû se résoudre à se prostituer pour survivre. Lomax la retrouve en ville et lui propose alors de poser pour lui.
Richard Quine est bien évidemment surtout connu pour ses délirantes comédies mais il sut toujours distiller au sein de celles-ci une émotion qui faisait la différence (My sister Eileen (1955), L'Adorable voisine (1958)) et finalement signerait sa plus éclatante réussite en laissant totalement s'exprimer sa veine dramatique avec Les Liaisons Secrètes (1960) ou précédemment le film noir Du plomb pour l'inspecteur (1954). On peut en dire autant de ce méconnu Monde de Suzie Wong, autre incursion du réalisateur dans le mélodrame. Le film est l'adaptation du roman éponyme de Richard Mason paru en 1957 et devenu instantanément un classique de la littérature anglo-saxonne. Avant la transposition de Richard Quine, le film aura été dès 1958 adapté au théâtre à Broadway avec William Shatner et Frances Nuyten.
Forcé de s'installer dans un hôtel bon marché du quartier de Wan Chai, il constatera qu'il se trouve dans un lieu de passe entre riches européen et marins de passages avec des prostituées locales. Et surprise la jeune femme précédemment rencontrée y officie, sensuelle et provocante sous le nom de Suzie Wong. Notre héros sera amusé et intrigué par elle, au point d'en faire son modèle. Le mensonge initial de Suzie symbolise en fait le masque sous lequel elle se cache pour accomplir sa sordide profession, dissimulant la nécessité qui l'amène à cette déchéance par un détachement de façade. Robert est ainsi partagé entre intérêt et mépris tant au fur et à mesure de leur relation il découvre un être attachant et sensible incompatible avec son attitude vénale.
Quine amène cela sous l'angle de la comédie dans un premier temps avec les avances indécentes de Suzie, ses poses et moues provocantes auxquelles se refuse de répondre Robert. Pourtant sous la posture on devine les regards réellement aimant de la jeune femme fascinée par cet homme si différent qui la respecte, cette retenue finissant par être blessante pour celle habituée à voir les sentiments uniquement s'exprimer par le désir physique alors que cette fois ils s’affirment par le refus.
Robert va en fait au fil de cette romance l’aider à fusionner son corps et son esprit, les deux pouvant être dévoués et dédiés à une seule personne. La thématique du film amène aussi un questionnement sur la démonstration différentes de cet amour, Suzie devant se reconstruire une morale alors que Robert doit faire fi des codes de la sienne rattachée aux codes occidentaux et l'empêchant d'exprimer ses sentiments.
Ces contradictions rendront le récit de plus en plus intense quand se confronteront les deux cultures forcés de s'adapter par amour. Le mépris occidental est ainsi fustigé autant par l'amant nanti qui s'entichera de Suzie (Michael Wilding) que la jeune américaine (Sylvia Syms) ampoureuse de Robert, dédaignant chacun à leur manière à Suzie le statut d'être humain pour n'être qu'un bel objet encombrant dont on peut profiter et se débarrasser. Robert plus tolérant va néanmoins devoir se débarrasser de sa propre condescendance pour comprendre Suzie.
Nancy Kwan est fascinante dans le rôle-titre, beauté froide et intéressée montrant de plus en plus de failles et une vraie innocence qui culmine lors d'un final bouleversant où l’inondation apocalyptique est moins vertigineuse que les larmes qu’elle laisse enfin couler. William Holden (qui après Picnic (1955)) de Joshua Logan endosse à nouveau un rôle pour lequel il est bien trop vieux le personnage du livre étant un jeune homme) amène également de vraie nuance dans le dilemme sentimental et moral de Robert.
Richard Mason avait écrit le livre suite à un séjour de quatre mois à Hong Kong, s'inspirant du Luk Kwok Hotel dans lequel il avait séjourné au sein du même quartier populaire que le film. Richard Quine en garde l'idée dans son descriptif, partagé entre le romantisme contemplatif (la magnifique balade en bateau) et une approche documentaire (des détails comme le fait que les femmes ne peuvent entrer qu'accompagnées dans les bars) qui offrira des vues rares de Hong Kong dans le cinéma hollywoodien de l'époque.
Le lyrisme qu'on a pu admirer dans Les Liaisons secrètes sait également s'exprimer à plusieurs reprises ici. Le premier baiser manqué où l'on voit le regard de Suzie Wong se faire sincère face au rapprochement de Robert et surtout le magnifique mouvement de caméra traversant la chambre pour mettre les amants face à face lors de leur grande scène d'amour.
Même si à l'époque il est impossible de réellement montrer des situations scabreuses, le contexte n'est pas aseptisé et sait se faire cruel à plusieurs degrés de lecture (Suzie tabassée par un client, cela montrant paradoxalement son attachement à elle et source de fierté). La fin semble malheureusement un peu plus expédiée mais les péripéties qui nous y mènent sont source de moments très touchant (la détresse de Robert, le final en pleine inondation) qui malgré les difficultés nous font quitter les personnages sur une note d'espoir. Magnifique film et un des grands Richard Quine.
Sorti en dvd zone 1 chez Paramount et doté de sous-titres anglais
Bonjour, bel article !
RépondreSupprimerLe roman de Richard Mason, "Le monde de Suzie Wong" est disponible en français...
Merci ! Le film m'a vraiment donné envie de lire le livre en plus ça tombe bien. Richard Mason en avait d'ailleurs écrit une suite non ? J'ai aussi vu qu'il y avait eu une suit officieuse tardive par un autre auteur, ça a eu un vrai impact étonnant que le film soit un peu oublié aujourd'hui...
RépondreSupprimerBonjour, la "suite" est également disponible en français, il s'agit de notre "A la poursuite de Suzie Wong", un roman qui est, entre autres, un hommage à Nancy Kwan...
SupprimerBonjour, qui a peint les tableaux exposés dans la chambre de l'artiste
RépondreSupprimermerci :)
Bonjour, alors si j'en crois imdb les peintures sont l'oeuvre d'une certaine Elizabeth Moore...
SupprimerOui très bonne question
RépondreSupprimerPour les peintures, c'est la jeune Elizabeth Moore (Liz Moore).
RépondreSupprimerhttp://www.2001italia.it/2013/05/making-starchild-in-2001-tribute-to-liz.html
Elle a participé à d'autres films (Kubrick Orange mécanique, ...)
Tragiquement disparue en Août 1976 dans un accident de voiture à Amsterdam je crois savoir. Elle avait 32 ans et participait au film de Richard Attenborough "Un pont trop loin".
Merci de ces précisions !
SupprimerEn première lecture, on ne pourrait voir dans ce film qu'un méli-mélo romantique entre une belle prostituée et un bel homme sur fond d'orient. Même si le film est assez fidèle au livre, certes un peu long et possède pas mal de défauts (manque d'épaisseur du scénario et rôles trop réduit des personnages secondaires, traduction française un peu surprenante parfois ...) mais on s'attache beaucoup à la fascinante Nancy Kwan (trop méconnue en France). Elle accapare la caméra. Quelle présence pour une jeune actrice de 20 ans à l'époque face au grand William Holden. Actrice remplaçante au pied levé de l'actrice Française d'origine Vietnamienne Nancy Nguyen (ou Nuyen) qui malade a laissé sa place.
RépondreSupprimerL'analyse du film que vous faites dans votre article ci-dessous est très fine. Très belle lecture. Bravo et Merci. Beaucoup d'attachements à ce film.
Merci, la récente mise en lumière du film par Arte semble l'avoir fait un peu plus connaître en tout cas ne reste plus qu'à éditer un dvd en France !
Supprimer