Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 4 avril 2022

Ceux qui servent en mer - In Which We Serve, Noel Coward et David Lean (1942)


 C'est l'histoire d'un bâtiment de guerre, le destroyer britannique HMS Torrin, depuis sa mise en chantier avant la déclaration de guerre conjointe de la Grande-Bretagne et de la France à l'Allemagne, jusqu'à sa destruction à la suite des attaques aériennes allemandes. Les survivants, accrochés à un bateau de sauvetage pneumatique, se souviennent de leur vie passée.

Dès l’entrée en guerre de l’Angleterre, Winston Churchill comprend l’importance que tiendra le cinéma pour le moral du peuple. Il initie ainsi une politique de cinéma de propagande rigoureuse et audacieuse qui constituera un des rares exemples, si ce n’est le seul, d’un cinéma de propagande trouvant une justesse idéale entre les contraintes du cahier des charges patriotiques et l’approche réellement inventive et aventureuse des différentes productions. Dans ce contexte le dramaturge anglais Noel Coward est sollicité par Anthony Havelock-Allan, producteur au sein de la compagnie Two Cities Films, qui souhaite contribuer à l’effort de guerre à travers un film de propagande. Coward accepte à la condition que le sujet du film soit la Royal Navy et va commencer à travailler sur le script. Il va s’inspirer de l’expérience douloureuse de son ami Louis Mountbatten, capitaine du HMS Kelly, un destroyer coulé durant la bataille de Crète en juin 1941. L’armée britannique lui ouvre les portes des bases navales de Plymouth, Portsmouth et Scapa Flow en Ecosses, et l’autorise à naviguer sur le destroyer HMS Nigeria. Coward s’imprègne donc de tout cela dans son écriture et une fois le script finalisé, il souhaitera obtenir la réalisation ainsi que le rôle principal du capitaine, tout en signant également la bande-originale ! Tout cela lui sera accordé mais, conscient de ses limites techniques en termes de réalisation, il va solliciter sur les conseils de John Mills l’assistance de David Lean qui finira crédité comme coréalisateur. A cette époque David Lean est déjà un technicien réputé en tant que monteur, notamment sur Pygmalion d’Anthony Asquith et Leslie Howard (1938), ainsi que 49e Parallèle (1941) et Un de nos avions n'est pas rentré (1942) de Michael Powell et Emeric Pressburger. Il est même considéré comme le réalisateur officieux La Commandante Barbara de Gabriel Pascal (1941) même s’il n’y est crédité que comme monteur. Sans qu’il soit clairement définit qui à fait quoi, il est globalement estimé que Noel Coward dirigeait spécifiquement les séquences portées sur les acteurs tandis que Lean s’occupait de celles plus spectaculaire exigeant une pyrotechnie et logistique importante. 

Une des spécificités des films de propagandes anglais était leur volonté d’unification du peuple, de lui inspirer une solidarité faisant fi du clivage de classe encore plus marqué au sein de la société anglaise. Le film s’ouvre ainsi à la fois sur l’objet et les évènements qui vont rassembler les Anglais, d’où qu’ils viennent. Un extrait de journal nous indique les tensions vivaces en Europe qui mèneront à la Deuxième Guerre Mondiale alors qu’en parallèle nous assistons à la construction triomphale du HMS Torrin, nouveau destroyer de guerre sortis des usines. Sa destruction est cependant annoncée dès la séquence d’ouverture sous les obus d’un avion allemands et, après les avoir entraperçus dans l’urgence de l’attaque et du naufrage, le récit s’attarde sur les membres survivants de l’équipage dont nous découvrons le passé en flashback. 

La narration est la fois simple et inventive, les protagonistes en difficultés dans le présent introduisant le flashback les concernant, et parfois lorsqu’il croise un autre membre de l’équipage dans ces derniers le retour au présent se fait sur lui avant une nouvelle bascule. Les principaux concernés seront le capitaine Kinross (Noel Coward), le matelot Shorty Blake (John Mills) et l’officier Hardy (Bernard Miles). On s’attache à leur intimité au sein de leur famille et couple, avec une épouse (Clelia Johnson) habituée à l’absence et prenant la séparation avec philosophie pour Kinross, celle tendre et caustique masquant son angoisse avec Hardy, et une situation plus difficile à vivre pour Freda (Kay Walsh) fraîchement mariée à Shorty à la suite d’un coup de foudre. 

Les rares permissions alterne avec le quotidien du destroyer où, à la manière des trois protagonistes dépeint plus haut, le récit tente de représenter avec bienveillance toutes les tranches de la société anglaise au fil de la navigation. La tonalité de propagande se ressent dans l’absence totale de conflits internes, le capitaine étant un modèle d’autorité et bienveillance pour un équipage essentiellement constitué de bons bougres. On le ressent fortement lors d’un discours suivant une manœuvre dangereuse lors d’une attaque allemande. Le capitaine y tient un discours où il félicite ses hommes mais prend à parti sans le nommer celui qui a failli et fait preuve de lâcheté (Richard Attenborough dans on premier rôle cinéma) mais s’accuse lui-même de ne pas l’avoir assez bien formé tout en l’avertissant sans le punir. Bel idéal de responsabilité individuelle qui semble fonctionner (Attenborough est très convaincant dans l’affliction) mais on peut éventuellement douter du côté magnanime et de l’absence totale de reproche des autres compagnons du coupable. 

Formellement le film se partage entre un certain académisme quand il reste à échelle humaine (les séquences filmées par Noel Coward donc) même si réhaussé par le charisme des interprètes, et terriblement impressionnant dès que le spectaculaire s’invite (la partie concernant David Lean). Le brio des techniciens britanniques et la maestria de David Lean déploient des séquences palpitantes exploitant toutes les situations possibles que peut rencontrer un destroyer. La bataille navale nocturne avec une superbe illustration des caches, maquettes et autres matte-painting, les bombardements d’avions allemands qui mèneront au naufrage et alternant brillamment stock-shots et séquences studio, et une spectaculaire évocation de l’évacuation des troupes anglaises terrestres de Dunkerque (ou un peu à la manière du récent film de Christopher Nolan la débâcle devient un modèle de résilience). 

Le film est donc parfois un peu limité par son cahier des charges, Noel Coward se met un peu trop en avant devant et derrière (son nom omniprésent dans les crédits d’ouverture) la caméra et on devine vraiment les nuances et la noirceur qu’aurait pu y amener le David Lean des années à venir mais ici contraint. L’interprétation habitée et l’émotion (le douloureux deuil et séparation finaux) fonctionnent néanmoins et les tableaux impressionnants ne manque pas, couvrant le spectre à la fois civil (l'angoisse des populations durant le blitz) et militaire. Néanmoins dans ce mariage entre ode à un corps de l’armée et émotion plus intime, on pourra préférer dans cette même période un film comme L’Héroïque parade de Carol Reed (1944).

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez Elephant Films

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