Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 22 avril 2022

Rue des cascades - Maurice Delbez (1964)


 Hélène, séduisante veuve quadragénaire et mère du petit Alain, tient un café-épicerie-crémerie à Ménilmontant, un quartier populaire parisien alors en pleine évolution en ce début des années 1960. Lorsqu’elle essaie de refaire sa vie avec Vincent, un Antillais de vingt ans son cadet, Alain témoigne d’abord de l’hostilité à ce dernier avant d’être conquis par sa gentillesse et de devenir son ami.

Rue des cascades est un beau film humaniste et une vraie photographie de la France du début des années 60 face à la différence. Maurice Delbez adapte là le roman Alain et le Nègre de Robert Sabatier publié en 1953. L'histoire dépeint la romance entre Hélène (Madeleine Robinson), une veuve d'âge mûr et Vincent (Serge Nubret), jeune homme noir de vingt ans son cadet. Le récit se partage entre le point de vue d'Hélène et celui d'Alain (Daniel Jacquinot) son jeune fils, et leur manière de vivre cette situation face à leur entourage. Le film s'ouvre les pérégrinations d'Alain et ses copains dans les rues parisiennes au sortir de l'école, multipliant farces et petites moqueries face aux passants de tous âges. Cette séquence est un mélange d'espiègleries et de cruauté enfantine trahissant la méchanceté insouciante de ces âges-là face à la différence, pour montrer la façon dont elle va se retourner contre Alain quand un camarade lui dira que son père est un "nègre". L'enfance étant se moment schizophrène où l'on souhaite à la fois se démarquer et son fondre dans la masse, Alain ressent un rejet naturel pour le compagnon de sa mère qui s'exprime par la reprise des invectives racistes des adultes qui fréquentent le café de sa mère.

Maurice Delbez par son regard délicat nous fait cependant habilement comprendre qu'Alain se trouve à ce moment charnière de l'enfance où il comprend que sa mère ne lui appartient pas, mais qu'elle est aussi une femme avec ses désirs. Cette découverte est simplement exacerbée par "l'exotisme" du compagnon qui rend cette acceptation plus difficile à travers le regard des autres. Cet extérieur s'invite dans le microcosme de la clientèle du café et Maurice Delbez dont les parents tinrent un bistrot parvient à traduire toute l'authenticité tant individuelles que collective de ce lieu. Une femme mariée (Suzanne Gabriello) amie d'Hélène se trouvant un jeune amant, une ancienne prostituée (Lucienne Bogaert) lassée par la vie, un retraité (René Lefèvre) noyant sa solitude dans l'alcool, tous de par leur expérience sont des croyants ou désormais désespérés de l'amour qui amènent un point de vue intime et sociétal sur la romance d'Hélène. 

On comprend ainsi une certaine mentalité raciste teintée de relents colonialistes régnant alors dans les mentalités, Hélène et Vincent s'inscrivant parmi d'autres éléments dans une modernité gênante sur les mœurs rétrogrades d'alors. Le garçonnet Alain, pas encore formaté par cette dimension rance, va progressivement s'attacher à Vincent tout destiné à devenir un vrai compagnon de jeu. La caractérisation de Vincent est baignée de quelques éléments clichés que l'on associe aux personnes de couleurs (toujours souriant et enjoués, naïf, le physique impressionnant de Serge Nubret ayant une carrière de culturiste en parallèle) mais il faut inscrire cela dans son époque, et surtout c'est destiné à traduire la fascination de l'enfant, le désir de la mère (les regards appuyés de Madeleine Robinson à chaque apparition de Vincent) et l'attrait sous toutes ces formes que constitue "l'autre". 

Ce sera source de jeu quand le paysage urbain (Delbez transpose le Montmartre du livre au quartier de Belleville/Ménilmontant qui selon lui a conservé cet environnement populaire) s'associe à la jungle et son bestiaire quand Vincent captivera les enfants par ses talents de conteur, ou quand il fera découvrir à Alain émerveillé sa troupe de spectacle africain (ou règne un même racisme et machisme en pointillé). Les lieux communs de l'époque nourrissent donc malgré tout une ouverture et Maurice Delbez évite tout autant de se montrer caricatural pour dépeindre le racisme des blancs, la xénophobie baignée dans l'alcool de René Lefèvre relevant aussi d'un profond désespoir. L'histoire possède une vraie veine progressiste et féministe avant l'heure dont il montre aussi l'impasse à l'époque pour les adultes. La femme adultère est "punie" pour sa liaison avec un jeune amant (une révoltante scène avec des journalistes arrivant à la conclusion qu'elle "l’avait mérité"), ce qui ouvre les yeux à Hélène sur tous les obstacles qui se placent entre elle et Vincent. 

Il est encore jeune, séducteur et avide d'expériences quand elle voit en le dernier amour de sa vie. Madeleine Robinson est très touchante et impudique dans ce portrait d'une femme aimante et refusant le sort d'une vie prématurément chaste et morne. La vraie ouverture et affection durable résidera donc entre Alain et Vincent, tout en échanges naïfs poétiques et d'une grande justesse (le dialogue où Vincent explique la différence entre chaque être vivant à Alain) dont on devine qu'ils transformeront l'enfant qui ne reproduira pas le modèle de pensée raciste et condescendant des adultes. Un très beau film dont le message ne rencontrera pas son public puisque les exploitants de l'époque refuseront de projeter un récit comportant une romance mixte. Le film sera finalement distribué à la sauvette par la Columbia, laissant un Maurice Delbez lourdement endetté et contraint de se réorienter vers la télévision pour le reste de sa carrière. Une injustice réparée par la redécouverte et la restauration récente du film que Delbez savourera de son vivant avant sa mort en 2020.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Coin de Mire et SND/M6 Vidéo

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire