Parmi les écrivains français majeurs de la première moitié du XXe siècle, Marcel Aymé est coutumier des adaptations cinématographiques de ses œuvres. Le Passe-Muraille, La Jument verte, La Traversée de Paris entre autres, constituèrent autant de jolies réussites que de vrais classiques du cinéma français. La Traversée de Paris justement (nouvelle issue du recueil Le Vin de Paris), exprimait la facette ambiguë de l’auteur à travers son héros (joué par Gabin dans la version cinéma) qui profitait des avantages offerts par l’Occupation allemande tout en dénonçant certains comportements révoltants de ses concitoyens. Aymé se faisait presque le reflet de ce personnage, ayant lui-même eu une attitude discutable et déconcertante à cette période. Après avoir tourné en dérision le régime nazi dans ses textes d’avant guerre, durant l’Occupation, il fournit plusieurs de ses écrits (néanmoins dénués de messages politiques) à des journaux collaborationnistes, tout en fréquentant le réalisateur marxiste Louis Daquin et il travailla même un temps sur un projet au sein de la Continentale Films (société de production financée par les allemands durant l’Occupation dont Tavernier narre les aléas dans son excellent Laisser passer).
Un parcours inclassable qui symbolise parfaitement ce qu'Aymé chercha à traduire dans ses écrits : l’instinct de survie de l’humain prêt à accepter tous les compromis pour ne pas disparaître. Ce qui différenciera les bons des mauvais, c’est le degré de renoncement à ses valeurs, entre la vraie cruauté, le vil profit ou l’indifférence polie. Marcel Aymé ne se place pas au-dessus du lot, loin de là, refusant même la légion d’honneur qui lui est proposée en 1949 du fait de ses antécédents (même si c’est surtout son amitié avec Céline (entre autres) qui lui vaudra d’être légèrement inquiété). Cette lucidité se traduira dans ses œuvres les plus virulentes dont Uranus paru en 1948. Ce roman est le troisième volet d’une trilogie sur la société française, précédé par Travelingue en 1941 sur la période du Front Populaire et Le Chemin des écoliers en 1946 sur l’Occupation. Fustigeant autant les collaborationnistes que les revanchards de l’épuration, Uranus abordait sans fard cette période plus révoltante encore que l’Occupation. Sondant les tréfonds de l’âme humaine comme personne, Aymé devait évidemment avoir quelques problèmes et l’adaptation envisagée dès le succès de La Traversée de Paris ne vit le jour que bien plus tard, quand les rancœurs s’étaient apaisées, sous la houlette de Claude Berri.
L’image donnée de cette France encore traumatisée n’est pas bien belle, Berri parvenant par intermittence à disséminer l’ambiguïté des écrits de Marcel Aymé. Ainsi l’ancien collaborateur Maxime Loin (joué par Gérard Desarthe) s’avère mesuré et lucide, ne regrettant pas ses choix et ses erreurs tandis qu’à l’opposé, le communiste incarné par Paul Prévost fait preuve d’une attitude révoltante, calomniant à tout va et abusant de sa légitimité. Les forces de l’ordre aux petits soins des puissants ne valent guère mieux.
Chose vraiment regrettable au vu des prestations époustouflantes d'un casting de luxe, notamment Philippe Noiret résigné et poignant lorsqu’il explique son détachement des choses de la vie suite aux pertes douloureuses qu’il a subies. Néanmoins l’essentiel est préservé, telle cette conclusion cinglante et ironique où, en voulant épargner une exécution sommaire à un personnage coupable, Marielle provoque bien malgré lui la mort d’un innocent.
Disponible en dvd chez Pathé
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