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vendredi 23 août 2024

Volavérunt - Bigas Luna (1999)

Le 23 juillet 1802, la duchesse d'Albe, la femme la plus riche et la plus libérée de son temps, offre un gala pour inaugurer son nouveau palais. Tout le gotha de l'époque se presse pour y participer : le Premier ministre Manuel Godoy, le peintre Goya et Pepita Tudó, la maîtresse de Godoy et le modèle de Goya pour son tableau le plus célèbre La Maja nue. Le lendemain matin, la duchesse d'Albe est retrouvée morte dans son lit. Elle avait quarante ans.

Volavérunt voit Bigas Luna s'essayer à la fresque historique prestigieuse avec cette adaptation du roman éponyme de 'Antonio Larreta, publié en 1980. Le titre du roman et du film reprend le nom d'une des gravures de Francisco Goya issue de sa série Los Caprichos constituant une satire de la société espagnole du 18e siècle, notamment la noblesse et le clergé. C'est justement sur ce registre satirique que joue une bonne partie du film, jouant notamment sur le mystère entourant l'identité du modèle féminin d'un des plus célèbres tableaux de Goya, La Maja nue. Cette énigme de l'histoire de la peinture avait déjà inspiré un film hollywoodien, La Maja nue de Henry Koster (1958) avec Ava Gardner dans le rôle de la duchesse d'Albe qui selon l'interprétation du film s'avérait être la jeune femme à la nudité offerte du tableau. Les spécialistes s'accordent cependant à dire que la véritable Maja nue était en fait Pepita Tudó, maîtresse du premier ministre Manuel Godoy. Bigas Luna s'amuse à broder entre les zones d'ombres et la grande Histoire pour livrer sa vision.

La première partie est une pure comédie de mœurs dans la cour espagnole où se jouent conjointement luttes de pouvoir et amoureuses. Chacun des personnages se montrent envieux les uns des autres sur ces axes où s'entremêlent les ambitions politiques, la possessions matérielles, l'amour et en définitive la vanité. La Duchesse d'Albe (Aitana Sánchez-Gijón) souffre ainsi de partager son amant Manuel Godoy (Jordi Mollà) avec la reine Marie-Louise de Bourbon (Stefania Sandrelli), cette dernière jalousant les biens et plus particulièrement les bijoux de la duchesse, femme la plus riche d'Espagne. Deux êtres souffrent de ce triangle, avec Francisco Goya (Jorge Perugorría) amoureux de la duchesse d'Albe dont il observe à distance sa passion avec Godoy, tandis que Pepita Tudó (Penelope Cruz), jeune maîtresse de ce dernier en fait de même. 

Certaines décisions politiques découlent de ces rivalités comme lorsque la reine Marie Louise forcera Godoy à faire un mariage d'intérêt afin de l'éloigner de ces maîtresses, et le contexte va aussi influencer l'inspiration de Goya. Le peintre en se rapprochant de la Duchesse va en faire une muse, mais de nouveau vampirisée par son rival puisque Godoy va lui commander le diptyque de tableaux que formeront La Maja vêtue et La Maja nue. La sournoiserie de la démarche consistera à s'inspirer du corps de Pepita Tudó pour La Maja Nue et d'y greffer le visage de la Duchesse. La révélation tardive de la démarche - qui est une manière pour Bigas Luna de jouer sur les deux théories - fait des deux jeunes femmes des objets sacrificiels et le jouet des hommes. La Duchesse toujours belle mais prenant de l'âge s'y voit substituer un corps plus voluptueux et juvénile, et Pepita Tudó, même dans un tableau lui semblant consacré est condamnée à être l'éternel substitut, la constante femme de l'ombre.

Bigas Luna jongle habilement entre ce registre de la satire et du drame. Certaines manœuvres s'avèrent d'une brillante cruauté comme lorsque la duchesse fera concevoir la tenue de ses suivantes sur le même tissu que la robe portée par la reine lors d'une réception, provocant la rage contenue de celle-ci. Le film en costume n'a pas assagi le réalisateur qui s'offre quelques moments érotiques certes moins outranciers et provocants que ses faits de gloires (Jambon Jambon (1992), Macho (1993), La lune et le téton (1994)) mais toujours aussi sensuel, inventifs et faisant sens au sein du récit - la "petite mort" de la duchesse lors de ses orgasmes, qui anticipe sa vraie disparition tragique. 

C'est formellement somptueux avec une reconstitution splendide, et une photo magnifique de Paco Femenia où l'on ressent toute l'inspiration picturale de Bigas Luna. L'esthétique purement chatoyante prend un tour plus oppressant lorsque la dernière partie du film vire au whodunit historique assez captivant. Les fameuses origines de la peinture La Maja nue se fondent dans un mystère plus grand, des enjeux plus vastes où toutes les possibilités sont ouvertes dans une narration à la Rashomon. Ces ruptures de ton forment un ensemble captivant pour une des belles réussites de Bigas Luna.

Sorti en dvd zone 2 espagnol

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