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mardi 6 août 2024

Moonlight Express - Xīng yuè tónghuà, Daniel Lee (1999)


 Après la mort de son fiancé Tatsuya, décédé dans un tragique accident de voiture, la Japonaise Hitomi décide de partir pour Hong Kong. Là-bas, elle fait la connaissance de Karbo, un policier infiltré qui ressemble étrangement à Tatsuya. Très vite, ils commencent à éprouver des sentiments l'un pour l'autre et prennent la fuite en Chine continentale lorsque Karbo est poursuivi...

Moonlight Express vient raviver les feux d’un sous-genre du polar hongkongais très populaire entre la fin des années 80 et le début des nineties, le polar romantique. Une fois épuisé le filon des polars héroïques produits dans le sillage de Le Syndicat de crime de John Woo (1986), les amitiés viriles, les gunfights virtuoses et les geysers de sang de ces derniers laissèrent place à un versant plus juvénile et fleur bleue du genre. Des œuvres comme As Tears goes by de Wong Kar Wai (1988), A Moment of Romance de Benny Chan (1990) ou My Heart is a eternal rose de Patrick Tam jouent une carte romantique se tenant à influence égale avec le pur polar, donnant un souffle neuf au genre tout en façonnant à son tour ses propres clichés – les bad boys ténébreux (souvent joué par les stars de cantopop locale) faisant fondre le cœur de jeunes filles innocentes et candides.

Moonlight Express est un héritier lointain de cette vague mais s’avère néanmoins différent. La facette romantique y prend cette fois nettement le pas sur le polar, mais pour travailler un réveil davantage qu’un éveil amoureux avec des personnages plus adultes. Ce réveil correspond au deuil du passé que doivent respectivement faire Hitomi (Takako Tokiwa), japonaise tragiquement endeuillée de son fiancé Tatsuya, et Karbo (Leslie Cheung) policier infiltré au passé plus secret mais tout aussi dramatique. L’intrigue de polar n’est pas le moteur mais simplement le moyen de réunir le couple dans une intrigue entre rêve et réalité, entre passé et présent. Ces strates narratives et temporelles ne cessent de se heurter, se rejoindre et s’éloigner tout au long du récit.

Daniel Lee dilate façon Les Choses de la vie l’incident de la route qui va imposer à Hitomi la douleur du deuil et de la solitude. Dès lors elle se réfugie dans différents artefacts du passé (vidéos domestiques, photos) pour maintenir le souvenir du disparu, et va pousser jusqu’à visiter Hong Kong où elle devait emménager avec son fiancé, et s’imaginer découvrir la ville avec lui. L’apparition de Karbo, sosie du disparu, et son attitude envers elle pour se sortir d’une situation périlleuse, constitue ainsi un moment suspendu et un véritable choc pour la jeune femme. Daniel Lee fige le regard émerveillé d’Hitomi face à cette réminiscence du disparu, et capture la réaction stupéfaite de Karbo face à l’ardente réaction de l’inconnue. Dès lors, leur relation ne cessera de travailler ces va et vient, cette perception commune et opposée à la fois du duo quant au lien qui les unit étrangement.

Dans un premier temps Hitomi ne voit en Karbo que le miroir de Tatsuya, qui se déleste progressivement de ses manières rustres pour lui faire vivre l’expérience qu’elle n’a pu vivre à Hong Kong avec le défunt. Daniel Lee film ainsi la ville comme dans un rêve, tout en néons nocturnes et féériques, portée par une photo stylisée de Keung Kwok-man imprégnant l’ensemble d’un filtre ouaté et papier glacé. Lorsque Hitomi se met à apprécier l’individu sous la troublante ressemblance, Karbo émerge et fait découvrir un autre pan, plus authentique de Hong Kong, ce qui se traduit par un filmage plus urgent de Daniel Lee qui fait vivre son environnement au-delà des vignettes luxuriantes. 

D’ailleurs le choix de Leslie Cheung, icône en Asie et sans doute argument de financement de cette coproduction nippo-hongkongaise, participe à cette idée de rêve et de réalité. L’acteur est véritablement filmé comme un fantasme de magazine dans l’écrin flamboyant du film, à la limite de l’extension de poster exposé en sous-vêtements, torse nu. Cela correspond à une attente du public féminin asiatique tout en faisant sens dans le film à travers la vision qu’à de lui Hitomi. Karbo passe donc de cette projection idéalisée au statut d’être à part entière en invitant enfin Hitomi dans son passé difficile, son intimité profonde. 

L’alchimie entre Leslie Cheung et Takako Tokiwa fait merveille, réussissant malgré les réminiscences à éviter le cliché évoqué plus haut de la jeune fille fleur bleue et du mauvais garçon typique du polar romantique hongkongais. On évite d’ailleurs aussi le cliché du grand final tragique et cathartique, même si la conclusion de l’arc strictement policier n’est guère palpitante.  Moonlight Express est donc une belle réussite, permettant d’apprécier un Leslie Cheung au charisme intact dans un de ses derniers rôles. 

Sorti en bluray français chez Carlotta

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