Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 30 août 2024

Septembre sans attendre - Volveréis, Jonas Trueba (2024)


 Après 14 ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ?

On retrouve souvent dans les films de Jonas Trueba une hésitation pour les personnages entre la crainte de la fin de quelque chose, et l'espoir fébrile d'un renouveau. Un peu à la manière d'un Richard Linklater, ce dilemme se joue sur une échelle de temps, celui d'un début ou une fin d'été avec Les Exilés romantiques (2015) et Eva en août (2020), d’une année scolaire dans Qui à part nous (2021) voire une nuit sur La Reconquista (2016). Ces questionnements tournaient le plus souvent autour de l'entrée dans la vie adulte comme Qui à part nous, ou du moins les premiers choix personnels, sentimentaux qui s'y posaient dans Eva en août (la maternité, La Reconquista (la nostalgie d'un amour juvénile ou le présent du couple adulte). Venez voir (2022) avait marqué un certain virage en confrontant plus directement ses personnages à des maux plus matures, le contexte post-covid accélérant le processus voyant certaines amitiés se distendre, les proches d'hier progressivement s'éloigner à travers les aléas de la vie. Septembre sans attendre semble poursuivre cette entreprise, en évoquant cette fois la rupture amoureuse d'un couple adulte, donc vécu différemment que les ados ou jeunes gens naïfs des œuvres précédentes.

Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) pensent être arrivé au bout du chemin après 14 ans de vie commune, l'heure de la séparation est venue. Comme pour se convaincre mutuellement ainsi que leur entourage de la sérénité de cette rupture, ils vont décider d'organiser une fête afin de défier la norme et au contraire fêter cette séparation. Ils pensent que la rupture se fait dans l'idée d'un bien-être commun et mérite davantage d'être célébrée que le mariage, reposant sur une norme sociale mais plus incertain dans son bonheur futur. Les premières scènes sèment d'emblée le doute sur la détermination des deux personnages. Lorsque Alex propose l'idée dans l'intimité de leur chambre, Ales répond d'abord par l'interrogative sur le fait que la séparation conduirait à un avenir meilleur, puis par l'affirmative comme pour ne pas montrer une détermination plus faible que son futur ex-conjoint. De même, lorsqu'Alex doit appeler un ami musicien pour le convaincre de jouer à la fameuse fête, il tergiverse et hésite à téléphoner car ce geste officialiserait cette folle entreprise, mais surtout la rupture. La pénombre de la chambre avait masqué les doutes d'Ales en dissimulant l'expression de son visage durant la scène précédente, et c'est au contraire son expression déterminée et opaque qui force cette fois Ales à effectuer l'appel.

Cette décision farfelue s'avère finalement une manière de retarder l'échéance plutôt qu'une rupture avec pertes et fracas. Jonas Trueba fait de l'annonce à l'entourage (famille, amis, collègues) une sorte de running-gag pour nous signifier que la manœuvre tient davantage de l'auto-conviction mutuelle du couple que de la quête d'adhésion de leurs interlocuteurs tour à tour effarés, tristes ou amusé de cette décision. Si l'on sent la complicité et lien intact entre Ales et Alex, la séparation, sans dévoiler ses motifs, planent dans l'absence de tendresse et d'affection mutuelle témoignée lorsqu'ils sont ensemble. Jonas Trueba les sépare constamment dans l'espace de leur appartement, que ce soit dans ses compositions de plans, son découpage et son montage. Le rapprochement ne se fait que quand les défenses conscientes sont relâchées (Ales faisant un cauchemar et se rapprochant puis prenant la main d'Alex dans son sommeil), que quand l'autre ne peut remarquer le regard encore amoureux que l'on pose sur lui - Ales au montage des longues scènes du film qu'elle réalise et mettant en scène Alex. 

Dans le court laps de temps qu'ils se laissent avant la fête de séparation fixée au 22 septembre, on retrouve donc cette dimension temporelle par laquelle doit se fonder un renouveau. Ce renouveau passe selon eux par la rupture, mais Trueba par un jeu de mise en abyme et d'approche référentielle va remettre leurs certitudes en question. Plusieurs niveaux de lectures se jouent en effet tout au long du film. Le père d'Ales, responsable de cette théorie initiale sur la séparation, est joué par Fernando Trueba, réalisateur et père de Jonas Trueba. Fernando Trueba s'est fait connaître par son talent à revisiter à la sauce ibérique les motifs de la screwball comedy américaine (La Fille de tes rêves (1998), Belle époque (1992), Sé infiel y no mires con quién (1985)) et, dans Septembre sans attendre, son personnage donnent au couple les clés de possibles retrouvailles par ce prisme du cinéma, de la screwball comedy et plus précisément de la comédie du remariage. Il va recommander à Ales les ouvrages de Stanley Cavell, dont le fameux À la recherche du bonheur - Hollywood et la comédie du remariage où l'auteur théorisait justement ce concept, Jonas Trueba ne craignant pas de perdre ses spectateurs les moins cinéphiles en citant Indiscrétion de George Cukor (1940) ou Cette sacrée vérité de Leo McCarey (1937). 

C'est un constant double niveau de lecture qui maintient l'attention même sans avoir les références grâce à ce qu'il capture du couple quand il discute de ces éléments, et assez jubilatoire quand on sait de quoi il est question notamment l'échange vif ayant lieu autour du sens du Elle de Blake Edwards (1979). Trueba se place explicitement dans le sillage de ces comédies douces-amères sur le couple et le temps qui passe, tout en se les appropriant par des éléments de sa vie personnelle ainsi que de celle de ses interprètes - qui ont coécrit le script et formaient déjà un couple dans Eva en août et Venez voir. Le métier de réalisatrice d'Ales correspond par exemple aux vrais premiers pas de l'actrice Itsaso Arana dans ce métier (son premier film Les Filles vont bien étant sorti en 2023), les vieilles vidéos de leur voyage à Paris que regarde le couple à la fin du film sont celles prises par l'ex-femme de Vito Sanz, Itsaso Arana est la compagne de Jonas Trueba dans la vraie vie. 

Les raisons de la rupture, jamais vraiment expliquées, se devinent ainsi les non-dits divers les empêchant de se révéler et découvrir à nouveau l'un l'autre. Tout semble faussement joué dans leur décision de se quitter sans larmes et dans la fête. Les divers niveaux de lecture ne servent donc pas à nous perdre, mais à les rapprocher progressivement malgré eux, avec notamment cette poignante cette d'essai filmé où face à face ils n'arrivent pas à jouer la séparation sereine dont ils ont tant essayé de convaincre leur entourage. La scène sobre et poignante, martèle la dureté des mots en passant de la neutralité à une émotion palpable que les deux ne parviennent pas à dissimuler. C'est seulement là que les digues cèdent et que Trueba les films enfin sous un jour amoureux et sensuel. Le réalisateur équilibre brillamment son idée de conclusion et de renouveau, la répétition étant explicitement dépeinte comme un statut plus serein que le regret de la nostalgie de l'amour passé et la fébrilité de celui à venir. Une nouvelle merveille dans la filmographie décidément passionnante de Jonas Trueba.

En salle

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire