Fille de la haute
société de Philadelphie et de fort tempérament, Tracy Lord a gardé peu de temps
son premier mari, le playboy C.K. Dexter Haven. Deux ans plus tard, elle est
sur le point de se remarier avec un homme d'affaires en vue, ce qui intéresse
au plus haut point le magazine Spy, à qui Dexter promet les entrées nécessaires
à ses deux reporters, le journaliste Macaulay Connor et la photographe Liz
Imbrie.
Après avoir aligné sept échecs commerciaux avec ses derniers
rôles, Katharine Hepburn se voit qualifier par les exploitants de salle
américains du surnom peu glorieux de « box-office poison ». La star
va donc décider de relancer sa carrière sur scène en se façonnant un écrin sur
mesure avec la pièce The Philadelphia
Story. Philip Barry écrit donc le rôle spécifiquement pour Katharine
Hepburn en jouant justement sur cette image distant et hautaine qu’elle peut
dégager, pour mieux la fissurer et l’humaniser aux yeux du public. L’idée de l’actrice
est d’avoir un véhicule qu’elle sera la seule capable de porter aux yeux des
studios en cas d’adaptation cinématographique. L’immense succès de la pièce
impose l’idée et Katharine Hepburn sécurise sa présence en en achetant les
droits (avec l’aide de son ami Howard Hughes), devenant ainsi productrice et à
même de mieux imposer ses volontés à la MGM. Tous les atouts sont réunis avec l’engagement
de son réalisateur fétiche George Cukor tandis que le studio tente d’atténuer
les effets du « box-office poison » en alignant deux stars masculines
majeures avec Cary Grant et James Stewart.
The Philadelphia Story
est une continuité des comédies sophistiquées de George Cukor où il fustigeait
les mœurs aristocratiques comme Les Invités de Huit heures (1933), Haute Société (1933) ou encore le merveilleux Vacances
(1938). La donne change légèrement ici puisqu’il s’agit moins de critiquer
un milieu que les attitudes hautaines et la froideur qu’il suscite en
sacrifiant tout aux apparences. Tracy Lords (Katharine Hepburn) en est un
produit typique, s’habillant, causant et se comportant tel que son rang l’exige
et attendant la même perfection de son entourage. L’hilarante scène d’ouverture
montre la séparation muette d’avec son premier époux C.K. Dexter Haven (Cary
Grant), Tracy gardant dignité tout en affirmant un cruel mépris tandis que C.K.
plus humain et moins guindé la repousse d’une chiquenaude. Deux ans plus tard Tracy
semble avoir trouvé chaussure à son pied avec l’insipide George Kittredge (John
Howard), homme d’affaire qui voit justement en elle cet objet parfait dont l’image
contribuera à ses ambitions. Seulement la veille du mariage, C.K. revient
tourmenter son ex épouse accompagné de deux journalistes incognito venu couvrir
la cérémonie. L’un des deux, Mike Connor (James Stewart) est un écrivain sans
le sous qui est le pendant inversé de Tracy.
Cynique et revenu de tout, il juge
toute cette bourgeoisie d’un bloc méprisant et superficiel. Par la grâce de quiproquos amusants, Cukor pousse dans leurs
derniers retranchements les clichés que chacun se fait de l’autre. Connor est
regardé de travers par les majordomes dès qu’il approche une argenterie de
valeur, sa collègue photographe Liz (Ruth Hussey) mitraille de son appareil la
moindre situation croustillantes tandis que Tracy - ayant deviné les intentions
de ses « invités »- force largement le trait de l’aristocrate creuse.
Voix haut perchée, gestuelle maniérée et saillies cinglante sous la candeur,
Katharine Hepburn est grandiose dans ce registre revêche et sophistiqué. L’armure
glaciale des unes et les préjugés des autres vont pourtant progressivement s’effriter,
d’abord entre une Tracy étonnée de la sensibilité du livre de Connor, et ce
dernier tout aussi surpris de voir l’aristocrate réceptive à son œuvre. Cary
Grant est à la fois en retrait et essentiel. Présence gênante issue du passé,
il fut rejeté car n’entrant pas dans l’idéal de perfection rêvé par Tracy trop
égoïste pour voir sa détresse.
Désormais remis même si toujours amoureux, il
est l’agent de sa conscience qui lui révèlera son horrible rapport aux autres,
famille comme époux : elle est une icône lointaine qu’il faut admirer
respectueusement, à laquelle il faut se soumettre et se montrer digne. Tracy a
ainsi rejeté un premier époux, un père volage et choisit d’épouser un homme
sans éclat mais répondant à ce culte des apparences. Katharine Hepburn est
absolument bouleversante dans la façon dont cette diatribe la fait vaciller. L’écriture
brillante pousse chacune des situations suivantes à appuyer ce reproche,
notamment un tête à tête avec ce fiancé énamouré donc chaque compliment est un
coup de poignard tant son amour repose justement sur cette admiration
respectueuse d’une vestale dont il faut rester ç distance respectueuse. La gestuelle de Katharine Hepburn se fait
plus incertaine, la silhouette plus vaporeuse, le phrasé soudainement sans
répondant et l’œil malicieux se baigne de larme. Cukor plie l’environnement à
cette déchéance, faisant brutalement basculer le jour à la nuit comme pour
écraser un peu plus Tracy dans une idée formelle relevant autant du cinéma que
des racines théâtrales du récit.
Tout le reste du film ne sera qu’affaire de déconstruction,
l’alcool laissant transparaître l’excentricité et la fantaisie de caractère de
Tracy, mais aussi du bougon Connor. Cukor fait rebondir par le mouvement et le
verbe l’alternance entre l’abandon à la légèreté et les retours maladroits à la
retenue dans leur échange. Si James Stewart ne semble pas totalement à l’aise,
ces vas et vient de ton rendent Katharine Hepburn encore plus touchante et
vulnérable, si déçue quand la conversation reprend un tour guindé et poli. Le
montage (les inserts sur les bagues et montres abandonnés), le rôle du décor
(la piscine comme terrain de pertes des inhibitions) et le jeu sur la
temporalité (avec la nuit les attitudes deviennent plus libérées) contribue également
à exprimer ce changement d’attitude des personnages.
Cary Grant est parfait de
subtilité, observateur et acteur des évènements où l’amoureux transparait
constamment sous le détachement. Il n’est pas là pour inciter, mais seulement
aider Tracy à se révéler à elle-même pour faire naître cette flamme qui lui
manque. On sera d’ailleurs très étonné de la manière explicite dont la froideur
initiale de Tracy est associée aussi à sa sexualité, un dialogue cinglant
laissant entendre que la première union n’a pas été consommée. La nature
incomplète de Tracy se pare de niveaux de lecture osé et étonnamment direct. La
conclusion est sans doute un peu trop bavarde et confuse pour aboutir à la
fameuse « comédie du remariage » (la construction de Vacances amenait
un pic émotionnel bien plus fort) mais Indiscrétions n’en reste pas moins une
pure merveille de romantisme.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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