Tokyo. Une poupée
d’air habite l’appartement sordide d’un homme d’une quarantaine d’années. Elle
ne peut ni parler, ni bouger, mais elle est la seule compagne de son
propriétaire. Il lui parle, prend son bain avec elle, et lui fait l’amour
chaque soir, en rentrant du travail. Mais un jour, le fantasme devient réalité
: la poupée prend vie et développe des sentiments humains. Comme un nouveau-né,
elle découvre un monde inconnu qu’elle aspire à découvrir.
A première vue, Air
Doll semble bien éloigné des thématiques habituelles de Kore-Eda tournant
souvent autour de l’enfance et de la famille. Le film adapte le manga The Pneumatic Figure of a Girl de Yoshiie
Gōda paru en 2000, le projet attirant Kore-Eda dans l’idée de dépeindre un
personnage féminin. La candeur du conte de fée et la noirceur du réel s’entrecroisent
tout au long du récit, à commencer par son postulat. Nozomi (Bae Doona) la
poupée gonflable d’Hideo (Itsuji Itao) quarantenaire solitaire s’éveille miraculeusement
à la vie. Les scènes de vie quotidienne pathétique où Hideo déjeune, prend un
bain et bien sûr couche avec sa compagne de plastique précède la magie de la « naissance »
de Nozomi pour témoigner de cette dualité. Les gestes gauches, la marche
incertaine et le regard curieux témoigne de l’âme innocente qui habite ce corps
encore artificiel, avant qu’un léger panoramique lui donne des traits bien
humains. Kore-Eda lui accorde donc par cet effet le statut d’être vivant, tout
en lui maintenant – à la manière d’un Pinocchio – sa constitution de plastique.
La première partie du film accompagne le regard émerveillé
de Nozomi, avide de d’explorer le monde. Tout est prétexte à l’enchantement et à
la découverte pour notre héroïne, répétant les mots, mimant les attitudes et
finalement les vies des citadins croisées en se trouvant même un emploi dans un
vidéoclub. Bae Doona par sa gamme de jeu variée apporte de belles nuances au
personnage. L’émerveillement outré des premiers pas, avec ses grands gestes et
yeux écarquillés évoquerait presque un personnage d’animation plongé dans le
monde réel – élément renforcé par sa tenue de soubrette, une artificialité
tenant autant des Idol pop japonaise que d’un archétype d’héroïne d’animation.
Le phrasé incertain (aidé par le fait que l’actrice soit coréenne et pas
japonaise), l’attitude peu à peu plus contenue témoigne de sa compréhension
progressive du monde qu’il entoure et dans lequel elle souhaite se fondre
malgré ses maladresses.
Kore-Eda joue là-dessus dans des petites scènes
amusantes, sa méconnaissance des demandes des clients du vidéoclub ou le fait
qu’elle pense voir d’autres poupées incarnées à cause de subtilités
vestimentaires inconnues comme les lignes se dessinant dans les bas féminins.
Cette innocence lui fait oublier le statut d’objet auquel elle est constamment
ramenée, que ce soit le regard concupiscent d’un client sous ses jupes dans sa
vie humaine ou les retours chez Hideo où elle redevient le mannequin inanimé
destiné à subir les fantasmes de son propriétaire. L’initiation à la vie de
jour alterne donc à un sordide ordinaire la nuit, Nozomi ne parvenant pas à
totalement prendre son indépendance et ainsi devenir humaine à part entière.
Kore-Eda rejoint malgré les apparences les questionnements
de ses autres films sur l’enfance et la famille. Nozomi est un être pur,
innocent et en construction, un enfant aux même titres que les héros juvéniles
de Nobody knows (2004) ou I wish (2011). Les parents défaillants
sont souvent la cause des fêlures des enfants chez Kore-Eda et il en ira de
même ici, l’entourage de Nozomi étant incapable d’endosser ce statut formateur
pour la rendre complète, l’humanité étant l’équivalent de l’équilibre associé
aux enfants bien entourés. L’égoïsme et la dureté du monde moderne seront les
causes des tourments de Nozomi. Air Doll
est un grand film sur la solitude urbaine ordinaire. Au masculin, elle s’exprime
par un rapport à l’autre privilégiant le désir sans implication – Hideo démuni
face la vie habitant Nozomi et préférant qu’elle redevienne une poupée sans
vie, ce jeune homme se masturbant chez lui face à ses images de soubrettes
plutôt que de l’aborder directement – ou les pulsions de mort narcissique comme
le montrera un glaçant final. Au féminin, Nozomi est également un miroir
inversé des peurs de la femme moderne.
Elle jette la pompe à air qui la rendait
jeune et sans âge quand un personnage sera terrifié de vieillir, elle ne peut
pas manger alors qu’une autre femme s’enferme pour s’empiffrer afin d’étouffer
son mal-être. Sans guide dans son voyage initiatique, Nozomi ne trouve pas sa
place, ne connaît pas le rôle à tenir dans le monde. Elle n’est qu’un substitut
sexuel, sentimental ou existentiel aux personnes qu’elle rencontre. La deuxième
partie du film témoigne ainsi de ce désenchantement et répond à la candeur si
ce n’est mièvrerie de la première. Même si cette réflexion peut être universelle,
on a le sentiment que Kore-Eda les associe plus spécifiquement à la société
japonaise tant les maux évoqués semblent typés et répondent de manière plus
outrées à d’autres de ses films, en particulier l’indifférence urbaine de Nobody knows.
Le réalisateur en donne
ici le versant le plus sombre (on est loin des messages d’espoirs de I wish, Tel père tel fils (2013) ou Notre
petite sœur (2015)) mais aussi le plus poétique. Le dernier souffle d’une Nozomi
meurtrie se perdant dans la ville mais peut-être susceptible de ranimer une
autre âme solitaire. Le pessimisme et l’espoir se conjugue ainsi merveilleusement
dans les dernières images.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo
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