Dimitrios est un
criminel retrouvé assassiné sur une plage d’Istanbul. Un écrivain de romans
policiers en villégiature se prend de passion pour ce mystère et tente de
rassembler des éléments d’enquête à travers toute une partie de l’Europe. Il ne
cesse de rencontrer des personnes peu recommandables qui ont croisé le chemin
de Dimitrios, souvent pour leur malheur. L’écrivain est bientôt rejoint dans
son périple par un certain Mr. Peters qui semblait bien connaître le défunt.
Mais les raisons de ce dernier sont obscures...
Le Masque de Dimitrios
est le second film hollywoodien de Jean Negulesco et ce film noir tortueux s’inscrit
dans un registre différent de sa filmographie à venir, où on l’associe plutôt
au mélodrame (le superbe Johnny Belinda
(1948), La Mousson (1955)) ou les
comédies enlevées que sont Comment
épouser un millionnaire (1953) et Papa
longues jambes (1955). Comme tout bon réalisateur hollywoodien de l’âge d’or,
Negulesco donna dans tous les genres et surtout aurait pu voir son nom associé
de façon plus marquée au polar. Lorsque la Warner le sollicite pour choisir un
roman à adapter en vue d’un film noir, Negulesco se porte sur Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett.
Choix approuvé par le studio avec pour seul inconvénient de privilégier John
Huston à la réalisation. Ce dernier bon prince aiguille Negulesco sur un autre
roman noir à fort potentiel, Le Masque de
Dimitrios d’Éric Ambler paru en 1939.
La structure en flashback n’est d’ailleurs pas sans rappeler
Le Faucon Maltais, mais les enjeux
tardent un peu plus à se concrétiser dans le film de Negulesco tout en ayant
cette même aura de mystère. La fascination et la candeur de l’écrivain Leyden
(Peter Lorre) n’a d’égale que l’infamie de Dimitrios (Zachary Scott) dont il
remonte la longue piste des méfaits à travers l’Europe, entre victimes et anciens acolytes trahis. Une aura maléfique et quasi mythologique de ce génie du mal se dessine donc par sa seule évocation et quelques répliques marquantes. I've known many men, but I've been afraid of only one, Dimitrios. Negulesco oscille entre les tons et les genres au fil des retours en arrière et de l’ascension
criminelle de Dimitrios : film de gangsters brutal à Istanbul, espionnage
international à Belgrade, drame sentimental manipulateur à Smyrne. Visuelle l’ensemble
dénote donc du film noir classique, la quasi comédie des scènes au présent (le
jeu affecté de Peter Lorre, certaines rencontres pittoresques) se conjuguant à
la profonde noirceur des flashbacks avec un Dimitrios constituant le fil rouge
sinistre du récit.
Negulesco trouve toujours la petite idée narrative et/ou
esthétique qui marque chaque étape de l’enquête. La fatalité tragique du film
noir semble s’abattre sur l’acolyte innocent de Dimitrios, condamné à mort pour
le crime d’un autre et qui est écrasé par la sentence par le travelling avant
sur son visage, le tribunal éclairé comme dans un cauchemar par Arthur Edeson.
La douleur de l’amour bafoué se ressentira ensuite quand on comparera les
traits séduisants de Faye Emerson en flashback et prématurément marqués et
vieilli au présent après la rencontre fatidique avec Dimitrios. L’épisode à
Belgrade donne lui dans le raffinement et le luxe en forme de piège implacable
pour le malheureux Karol Bulic (Steven Geray).
La sophistication de ce cadre européen participe à l’atmosphère
inhabituelle de l’ensemble et ramène Jean Negulesco et Peter Lorre à leur
jeunesse et origines respectivement roumaines et autrichiennes. Zachary Scott
est remarquable, passant de la petite frappe féroce au dandy élégant et
manipulateur, toujours guidé par ce regard froid et impitoyable qui le rend
glaçant de bout en bout. L’énigme s’épaissit dans la dernière partie avec le
personnage de Sydney Greenstreet (qui lance le duo régulier qu’il formera avec
Peter Lorre durant huit films) et sa bonhomie inquiétante, poursuivant
Dimitrios de sa rancœur tenace jusqu’à un final haletant mais moins inventif que
ce qui a précédé. Une belle réussite qui en appellera une autre avec la même
équipe dans Les Conspirateurs, autre
suspense rondement mené.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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