Rocky Sullivan et
Jerry Connolly ont grandi ensemble dans Hell's Kitchen. Quand ils se retrouvent
quelques années plus tard, le premier est devenu un gangster, le second un
prêtre dont le but est de remettre dans le droit chemin des enfants
défavorisés. Par amitié, Rocky va faire pression à sa manière sur les notables
qui financent sans conviction les œuvres de Jerry dont l'idéalisme est peu en
accord avec les codes et les tentations de ses jeunes apprentis délinquants.
Les films de gangsters avaient représentés un lucratif
phénomène pour les studios au début des années 30 avec des classiques brutaux
comme Le Petit César (1931) de Mervyn
LeRoy, Scarface (1932) de Howard
Hawks ou encore L’Ennemi public
(1931) de William A. Wellman. Seulement avec l’application stricte du Code Hays
à partir de 1934, ces odes amorales aux malfrats s’avèrent plus problématique à
produire et son un temps délaissés par les studios. Tout en continuant à produire
des polars, les firmes célèbrent désormais la police dans un revirement cynique
voyant les ancien hors-la-loi vedettes de l’écran se muer en G-Men comme James
Cagney dans Les Hors-la-loi (1934) de
William Keighley. Les Anges aux figures
sales va relancer la mouvance du film de gangsters en se parant de
précautions morales qui le rendront plus acceptable aux yeux de la censure. Le scénario de Rowland Brown (auteur de
belles réussites du genre comme The Doorway to Hell (1930) d’Archie Mayo) va capturer l’attention de James
Cagney, désormais sous contrat avec la compagnie indépendante Grand National
Pictures (où il touche un pourcentage sur les recettes) après un énième départ
de la Warner pour brouilles financières. Suite à quelques échecs au box-office,
Cagney comprend que la Warner est bien sûr la plus apte à produire le film dans
les meilleures conditions et moyennant une substantielle augmentation il
retourne dans le giron du studio.
Les Anges aux figures
sales tout en maintenant la férocité et des productions du début de
décennies 30 inclut donc une dimension morale, rédemptrice et punitive pour le
gangster. Le scénario brillant n’en fait pas une contrainte mais bel et bien l’enjeu
du film, sans aucune lourdeur. La destinée joue d’emblée son rôle lorsque les
jeune Rocky Sullivan (James Cagney) et Jerry Connolly (Pat O'Brien) suite à un
larcin voir leur chemin prendre des directions très différentes. Jerry ayant de
justesse échappé à la police s’en repend pour endosser la carrière de prêtre
tandis que Rocky arrêté est perverti par les séjours en maison de correction
puis prison pour devenir un gangster chevronné. Sorti d’une énième peine, Rocky
retourne dans le quartier de son enfance où il va être déchiré entre cet
attachement et un royaume à reprendre à son ancien complice Frazier (Humphrey
Bogart). James Cagney est ici loin des brutes psychotiques de L’Ennemi Public ou plus tard L’Enfer est à lui (1949) et campe un
personnage attachant mais incapable de renoncer à ses instincts criminels.
Cela
passe par l’amitié profonde le liant à Jerry mais aussi le modèle ambigu qu’il
va représenter pour un groupe de jeunes délinquants - joués par le groupe d’enfants
acteurs Dead End Kids révélés par le Dead End (1937) de William Wyler. La gloire du malfrat rend les adolescents
admiratifs, celui-ci ancien enfant des rues sachant comment les prendre et les
rudoyer pour marcher droit - dans une veine proche du Bataillon des sans-amours (1933) d'Archie Mayo. La partie de basket où à force d’invectives, coups
de pieds aux fesses et gifles, il les contraint à jouer dans les règles en
offre une illustration pleine d’énergie. Michael Curtiz par sa mise en scène
exprime superbement la façon dont cette vie urbaine misérable semble amenée à
répéter inlassablement la corruption de la jeunesse, un même panoramique
arpentant le grouillement de ce quartier de Hell’s Kitchen étant repris dans
les deux époques. Rocky est la clé pour interrompre ce cycle sans fin mais pris
dans ses affaires il va entraîner ses jeunes acolytes sur le même chemin
tragique. Les gamins avaient au départ malgré leur larcin gardé une certaine
innocence qui se dilue progressivement au contact de Rocky. Le clou est atteint
lorsque après une distribution d’argent facile par Rocky, Jerry les retrouve
ces anges désormais aux figures sales arrogant et poseurs pariant dans un bar
enfumé. Le sacerdoce de Jerry sera ainsi de sauver ces jeunes âmes en
perdition, quitte à s’aliéner l’amitié de Rocky.
Le récit se partage donc entre ces préoccupations humanistes
et un vrai film de gangster bien nerveux. Michael Curtiz orchestre avec son
brio habituel de sacrés moments d’actions, que ce soit un guet-apens au
découpage époustouflant ou un spectaculaire gunfight final. La finesse du
script n’adoucit jamais artificiellement le personnage de Rocky, malfrat
impitoyable (voir le final où il abat sans états d’âmes plusieurs policiers)
mais pétri de principe et capable de compréhension. Pat O’Brien en prêtre féru
de justice est plus uniforme mais solidement campé et on s’amusera de la
prestation d’un Humphrey Bogart par encore star et en contre-emploi avec ce gangster
couard et embourgeoisé. Malgré une bonne introduction Ann Sheridan semble
malheureusement être une caution amoureuse un peu artificielle.
Quelques années
plus tôt certains montages du Scarface
de Hawks s’ornaient d’un épilogue grossier humiliant le gangster pour atténuer
le panache violent de sa vraie fin. Les
Anges aux figures sales reprend
cette idée avec plus de talent car cette « morale » est un vrai
aboutissement du récit et du cheminement de Rocky. Le vrai courage ne sera plus
de jouer les gros bras comme si souvent, mais de se renier volontairement pour
sauver d’autres âmes. Curtiz n’ose filmer la « lâcheté » de Rocky qu’en
faisant escamotant sa présence à l’écran, le visage fier de James Cagney
demeure l’image qu’on a de lui tandis que sa supposée vulnérabilité passe par
le son, les inserts sur ses mains crispée et des ombres chinoises. Le héros n’en
a finalement que plus de force dans ce sacrifice intime, Curtiz étant
brillamment parvenu à équilibrer la morale et la grandeur de son personnage.
Une grande réussite.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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