Pendant la guerre civile espagnole,
Soledad, une entraîneuse de cabaret, et Arturo Carrera, un prêtre, à qui
la vie a retiré la foi en toute valeur, vont se rencontrer et vivre un
amour sur fond d'aventures.
L'Ange pourpre
vient poursuivre l'histoire d'amour personnelle et cinématographique
qu'Ava Gardner entretient avec l'Espagne puisque succédant à Pandora (1951) d'Albert Lewin, La Comtesse aux pieds nus (1954) de Mankiewicz, Le Soleil se lève aussi d'Henry King et La Maja nue
d'Henry Koster (1958). C'est le film qui libérera l'actrice de son
contraignant contrat à la MGM et semble aussi constituer un véhicule
destiné à imposer Dirk Bogarde en jeune premier hollywoodien - étiquette
qu'il endosse déjà au sein du cinéma anglais. Ce sera la dernière
réalisation du célèbre scénariste et producteur Nunnally Johnson qui
adapte ici le roman The Fair Bride
de Bruce Marshall. L'histoire nous plonge en pleine Guerre d'Espagne
dans un ensemble où se disputent le romanesque, les conflits moraux et
une vision intéressante du conflit.
Le film s'ouvre sur la crise
de foi du père Arturo Carrera (Dirk Bogarde) qui ne se reconnaît dans
cette église inquisitrice et à la solde du pouvoir alors que le peuple
demande réconfort et bienveillance dans un pays à feu et à sang. Il
quitte donc ses habits de prêtre et retourne à la vie civile, le temps
de rencontrer et rassurer lors d'un bombardement la belle Soledad (Ava
Gardner) terrifiée. La romance qui va s'initier entre eux participe au
questionnement d'Arturo, partagé entre ses sentiments et sa vocation à
laquelle la détresse du peuple semble le rappeler. La première scène
d'amour avortée est symptomatique. L'église est saccagée et les prêtres
assassinés par une foule en furie, faisant d'Arturo un fugitif. Caché
par Soledad, celle-ci s'offre à lui sans qu'il cède. Par sa profession
d'entraîneuse de cabaret, Soledad y voit un mépris alors qu'Arturo est
ambigu dans son refus, autant pour ne pas l'impliquer en cas
d'arrestation que dans un mouvement de recul quant à son sacerdoce qu'il
n'a pas totalement abandonné.
Ava Gardner dont le visage commençait à
être un peu plus marqué par les excès alcoolisés divers (transformation
déjà sensible Le Dernier Rivage
de Stanley Kramer tourné l'année précédente) est très touchante par ce
mélange de vécu et de candeur qu'elle dégage. L'excitation de la jeune
fille amoureuse précède la déception de la femme bafouée lorsqu'elle
entraîne Arturo dans sa chambre et Nunnally Johnson par son sens du
détail (le bref insert où elle cache une photo d'elle en danseuse) et sa
mise en scène fait bien passer ce sentiment. Le plan d'ensemble avec le
visage vexé et honteux de Soledad plongé dans l'ombre à l'avant plan et
Arturo à l'arrière exprime parfaitement les émotions confus et
contradictoire qu'éprouvent les personnages. A travers leur romance, ils
effectuent des parcours inversés : Arturo éprouve enfin une existence
d'homme pour mieux retrouver l'habit et Soledad s'absout de son
existence scandaleuse en devenant presque une sainte par la tournure
tragique des évènements.
Le scénario intègre bien le contexte
politique à la romance. Arturo va s'engager auprès des Républicains pour
pouvoir même sans le statut ecclésiastique écouter et aider la
population. Les politiques le manipule pourtant afin de mettre la main
sur la relique de Saint Jean cachée par l'église mais dont la vision
pour galvaniser les troupes avant l'ultime combat. Cet objet sacré
s'opposera donc à celui amoureux et charnel que représente Soledad, le
divin et la collectivité contre l'intime. C'est un déchirement qui se
jouera jusque dans les dernières minutes du film où les personnages sont
poussés dans leurs retranchements. Arturo pétrifié face aux massacres
et mauvais traitement sait qu'il est le seul à même d'apaiser les âmes
avant la fin, et Soledad voit son amant lui échapper. Là encore le
regard désappointé d'Ava Gardner fait merveille, le seul amour qu’elle
n’ait jamais ressenti lui étant arraché pour un autre plus spirituel.
Ce
refuge du divin dans le chaos, Johnson le développe bien aussi dans la
hargne d'un capitaine (Enrico Maria Salerno) adepte de la torture à
retrouver la relique, y voyant tout autant un instrument de manipulation
qu'un réel talisman. A l'inverse Vittorio De Sica dans un petit rôle de
général incarne tout le pragmatisme, le cynisme et la lucidité des
guerres modernes. Visuellement Johnson reconstitue superbement ce
village espagnol en ruine à travers les décors impressionnants de Piero
Filippone mais aussi la photo de Giuseppe Rotunno (collaborateur
régulier de Visconti, Fellini ou Monicelli) qui imprègne l'ensemble d'un
climat poétique et oppressant à la fois. Ce romanesque côtoie une vraie
cruauté où massacre, torture et exécution sommaire ne nous sont pas
épargnées et le personnage de simili Ernest Hemingway joué par Joseph
Cotten apporte une certaine hauteur mêlée d'émotion à l'ensemble. Une
œuvre intéressante et rare donc.
Sorti en dvd all zone chez Warner dans la collection Warner Archives et sans sous-titres
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