Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 2 septembre 2024

Joe, c'est aussi l'Amérique - Joe, John G. Avildsen (1970)

Bill Compton, un riche publicitaire, ne supporte pas que sa fille Melissa soit en couple avec un dealer. Après une overdose qui la conduit à l'hôpital, Bill se rend chez le petit ami de sa fille et l'assassine dans un accès de colère. Peu après, il rencontre Joe Curran, un ouvrier à qui il confesse son crime.

 Joe est un des films fondateurs du sous-genre du vigilante movie, films d’autodéfense voyant les quidams ordinaires prendre les armes face à l’insécurité urbaine. Cette transposition dans le cadre contemporain de codes associés au western reflète un climat social très particulier de l’Amérique du début des années 70. Certains films comme Un shérif à New York de Don Siegel (1968) avaient joué la carte de la confrontation amusée entre la contre-culture émergente et un vision plus traditionnelle incarnée par le flic déraciné joué par Clint Eastwood. Les soubresauts politiques que représentent la lutte parfois violente pour les droits civiques de la communauté afro-américaine, les mouvements pacifistes de gauche s’opposant à la guerre du Vietnam, ainsi que les révolutions (culturelle, sexuelle) apportées par les mouvements hippies heurtent tout un pan conservateur WASP de la population américaine. 

Cette communauté représente une « majorité silencieuse » se réfugiant dans le vote pour Richard Nixon, président élu en 1968 en ayant su flatter la frustration de ce versant de son électorat. Les films capturant plus frontalement les peurs de cette « majorité silencieuse » vont progressivement émerger à cette période. Inspecteur Harry (1970) exploite dans sa description de la menace urbaine la peur de l’homme noir (la fameuse scène du monologue d’Harry autour de son magnum) mais aussi la méfiance envers les hippies avec son serial-killer Scorpio (Andy Robinson) en arborant tous les traits vestimentaires. Un Justicier dans la ville de Michael Winner (1974) franchit le pas en montrant un citoyen poussé à bout prendre les armes, avant que des œuvres tout aussi cathartiques et ambiguës que Rolling Thunder de John Flynn (1977) ou Taxi Driver de Martin Scorsese (1976) poussent ce schéma plus loin encore.

C’est un climat que sauront tout à fait saisir l’aspirant réalisateur John G. Avildsen et le scénariste Norman Wexler dans Joe. Végétant dans leurs carrières respectives, les deux se rencontrent alors qu’ils travaillent au sein d’une agence de publicité. Avildsen parvient à présenter le script de Joe rédigé par Wexler à la compagnie indépendante Cannon (pas encore reprise en main par le tandem Golan/Globus) qui acceptera de le financer pour un budget modeste. L’une des forces de Joe à rassembler toutes les couches sociales de cette majorité silencieuse. D’un côté, la classe aisée des white collar, représentée ici par Bill Compton (Dennis Patrick) pour lequel les changements sont un danger susceptible de lui arracher sa fille Melissa (Susan Sarandon dans son premier rôle), engluée dans l’enfer de la drogue par un petit ami toxique. De l’autre, la classe ouvrière que symbolise Joe Curran (Peter Boyle), blue collar dont les maux d’une vie médiocre viennent tous de « l’autre », le jeune, le métèque ou le gauchiste. Bill va accidentellement réaliser l’acte que Joe ne fait pour l’instant que fantasmer quand, excédé par l’arrogance du petit ami qui a conduit sa fille à l’overdose, il va assassiner ce dernier sous le coup de la colère. La rencontre improbable des deux, dans un bar où l’un rumine son acte et l’autre hurle sa rage de le réaliser un jour, débouche sur un semi-aveux de Bill en qui Joe reconnaît un des siens. 

Le montage échappa à Avildsen lors de la post-production, faisant ainsi basculer en partie la portée du film. La facette de mélodrame était plus prononcée avec une intrigue passant plus de temps du coté du nanti Bill et de sa famille – dont on devine un passif plus chargé durant la scène de dispute entre Bill et son épouse alors qu’ils se rendent à l’appartement de Mélissa. Mais la prestation tout en excès de Peter Boyle et son prolo plus grand que nature s’avère le principal pôle d’attraction durant le visionnage des rushes. Il passe de personnage secondaire apparaissant au bout d’une heure à véritable héros du film auquel il donne son titre. Le ton se fait dès lors bien plus satirique grâce à ce catalyseur, notamment lors du choc des cultures que sera la rencontre des deux couples de classes sociales opposées. Seul le secret du crime, et une haine (pour des raisons différentes) envers un monde en pleine mutation les réunit, la condescendance des riches tout comme la vulgarité des pauvres les renvoient dos à dos au sein d’une Amérique wasp au choix dégénérée ou poussiéreuse. 

L’empreinte de John G. Avildsen demeure néanmoins, tant le parcours cabossé de Joe, son absence de manière et même son look évoque un pendant négatif du futur Rocky (1976) incarné par Sylvester Stallone. Si l personnage de Joe est en prise avec les peurs du début des années 70 et le rejet de changement de la « majorité silencieuse », celui de Rocky est le reflet idéalisé d’une foi encore intacte en le Rêve Américain, l’espoir de réussite et de seconde chance. L’esprit de revanche d’un Joe le pousse à la destruction, celui de Rocky au dépassement de soi et à l’abnégation. Les deux films s’avéreront de véritables phénomènes quant à l’identification du public dans leur héros, flattant ses bas-instincts pour l’un ou provoquant l’empathie pour l’autre – même si dans le cas de Rocky ce fut parfois interprété comme une sorte de revanche du mâle italo-américain, d’ailleurs moqué par Eddie Murphy dans un sketch d’anthologie de son stand-up Raw

Mais en bonne œuvre désespérée du Nouvel Hollywood, Joe lève néanmoins les doutes sur son propos dans sa conclusion d’une rare noirceur. Le petit ami dealer assassiné de Mélissa s’était avéré un entrepreneur pathétique comme un autre en quête de profit, et anticipant le regard cinglant posé plus tard sur ces communautés juvéniles libertaires baignant dans un hédonisme opiacé et sexuel. Joe et Bill vont brièvement s’adoucir en goûtant à ces menus plaisirs auprès de jeunes hippies peu farouches, nous laissant entendre que seules la jalousie et la frustration d’une vie adulte rangée et ennuyeuse guide leur dégoût de cette modernité – les scènes d’usines pour Joe, le dégoût de ses collègues publicitaires pour Bill. Lorsque cet aperçu des charmes Flower power se retourne contre eux, l’humiliation va stimuler leur violence jusqu’au point de non-retour dans un scène finale cathartique et traumatisante.

Sorti en blu-ray français chez ESC éditions

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire