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mercredi 18 septembre 2024

Les Anneaux d'or - Golden Earrings, Mitchell Leisen (1947)


 À Londres, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le colonel Denistoun, des services secrets de Sa Majesté, reçoit une boîte contenant une paire d'anneaux en or. Dans un avion pour l'Allemagne, il raconte à Reynolds, un ancien correspondant de guerre, son périple de 1939. Une enquête avec un jeune officier sur un gaz asphyxiant l'a amené à la plus belle rencontre de sa vie...

Les Anneaux d’or est un agréable véhicule pour Marlène Dietrich, partageant ici la vedette avec un Ray Milland fraîchement auréolé de ses galons de star après le succès commercial et les récompenses individuelles (Oscar du meilleur acteur, Prix d’interprétation au Festival de Cannes) que lui a rapporté Le Poison de Billy Wilder (1945). Les Anneaux d’or représente en quelque sorte le chaînon manquant entre les mélodrames alarmistes dénonçant le régime nazi avant-guerre (Trois camarades (1938) et La Tempête qui tue (1940) de Frank Borzage)) et les fables/satires plus explicitement engagées (Le Dictateur de Charles Chaplin (1940), To Be or not to be d’Ernst Lubitsch (1942 mais tourné deux ans plus tôt) incitant les Etats-Unis à s’engager dans le conflit. La production en 1947 permet un ton plus léger et picaresque ne tombant pas dans le film de propagande, tout en rappelant sous le rire le contexte et les prémices de cette Allemagne nazie s’apprêtant à embraser le monde.

Mitchell Leisen retrouve ici un motif récurrent de sa filmographie, celui du personnage infiltré et « travesti » dans un milieu social différent du sien. Cela peut être un démuni expérimentant les plaisirs du monde des nantis (La Vie facile (1937), La Baronne de minuit (1939), La Duchesse des bas-fonds (1945)) ou à l’inverse un être « supérieur » retrouvant la flamme dans un environnement de plus basse extraction (La Mort prend des vacances (1934), L’Aventure vient de la mer (1944)). Leisen ajoute donc à cet argument la nature de film d’espionnage et d’aventures, cocktail qu’il avait d’ailleurs déjà tenté dans Arise my love (1940), œuvre qu’on pourrait partiellement ajouter au corpus évoqué plus haut concernant les films tirant la sonnette d’alarme avant l’entrée en guerre des Etats-Unis. 

Le transfuge et le travestissement est une question de survie pour le colonel Denistoun (Ray Milland) agent secret infiltré en Allemagne et qui, traqué, va rencontrer une aide inattendue en la gitane Liddie (Marlène Dietrich). Passé l’introduction avant le flashback laisse entendre que Denistoun était un officier psychorigide et froid avant l’expérience de la guerre, le début du film plus tendu confirme ce trait de caractère. Il a en effet du mal à sortir du cadre strict face à l’admiration que lui témoigne son partenaire Byrd (Bruce Lester) après leurs évasions d’une geôle allemande. L’exubérance et l’excentricité de Liddie va ainsi être l’occasion d’un choc de caractère avec Denistoun, pas dénué de quelques clichés assumés sur la communauté des gitans. Accent forcé, superstitions en tout genre, hygiène aléatoire, la mule est fortement chargée pour offrir un contrepoint comique idéal à la retenue british de de Denistoun.

Cette opposition est aussi formelle, le maquillage outré ainsi que les tenues luxuriantes de Dietrich s’ajoutent à son jeu expressif. Leisen rappelle son amour des actrices et son passé de décorateur dans la mémorable introduction du personnage, auréolé de mystère par sa seule voix chantée avant d’apparaître d’apparaitre dans toute son impudeur aux yeux de Denistoun. Le décor est théâtralisé à souhait tandis que la photo de Daniel L. Fapp souligne les traits métissés, le regard écarquillé et ardent de Liddie. Cette nature « autre » est appuyée de façon à marquer la surprise de Ray Milland, invité dans le monde de sa bienfaitrice quand, à l’opposé l’environnement de cette Allemagne nazie se fait plus hostile. Les circonstances vont forcer Denistoun à se grimer en gitan pour passer inaperçu, et être imprégné progressivement par cette identité d’adoption. 

L’amusante scène de transformation est une façon symbolique d’amorcer une mue le sortant de sa réserve anglaise, parfois non feinte par Ray Milland horrifié par certains artifices de jeu de Marlène Dietrich (la scène de repas de poisson), moins destinés à s’approprier son personnage qu’à signifier son mépris à Milland. Le contraste fonctionne en tout cas et Leisen rend indiscernables les dissensions de son casting dans la manière dont se développe la romance.  C’est en effet en expérimentant le rejet que subissent les gitans et parfois en reproduisant à son tour les clichés qui leur sont associés (le vol de poule) que Denistoun change peu à peu de regard sur Liddie. Nous restons dans une simplification tout hollywoodienne, notamment dans la description pittoresque du reste de la communauté gitane, mais la volonté bienveillante est là. L’ombre de l’oppression nazie sur les gitans plane sur le récit, en montrant déjà leur mise au ban de la société qui précède une authentique persécution.

Mitchell Leisen fait donc du monde des gitans, puis plus spécifiquement des moments intimes entre Liddie et Denistoun, un véritable cocon à l’abris des tumultes du monde. Dans cette idée la stylisation des espaces, les nuances de la photo et certaines atmosphères élégiaques s’éloignent du réel par une tonalité où l’humour du début s’estompe pour un romantisme plus prononcé. Le retour à une certaine noirceur dans la dernière partie nuance malgré tout ce regard uniforme sur l’Allemagne avec le personnage du professeur Krosigk (Reinhold Schünzel), dont le dilemme rappelle le tragique des œuvres de Borzage. Les Anneaux d’or, malgré quelques clichés et raccourcis, est donc sous son écrin romantique une piqûre de rappel réussie d’une sombre réalité récente.

Sorti en bluray français chez Elephant Films

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