L’obsession de Julián
(José Luis López Vázquez), médecin espagnol, pour l’épouse d’un ami revenu
d’Afrique (incarnée par Geraldine Chaplin), le pousse à progressivement
transformer son infirmière et maîtresse (idem) en un sosie de celle-ci.
Après le succès critique de son troisième film La Chasse (1966), récompensé de l’Ours d’Argent
à Berlin, Carlos Saura fut associé à un renouveau intellectuel du cinéma
espagnol fustigeant sous une forme cryptique le régime franquiste. Saura allait
pourtant déjouer les attentes avec ses œuvres suivantes et ce qu’on nomme la « trilogie
du couple » dans sa filmographie avec Peppermint
frappé (1967), Stress-es tres-tres
(1968) et La Madriguera (1969) dont
la continuité thématique est représentée par Géraldine Chaplin, compagne et
actrice fétiche du cinéaste qu’on retrouve dans les trois films. Peppermint
frappé ouvre donc le cycle et constitue un objet troublant qui croise les
influences d’Antonioni dans son ennui dissimulant la tension, Hitchcock par son
fétichisme et Luis Buñuel auquel Saura dédie explicitement le film lors du
générique.
Julián (José Luis López Vázquez, magnétique) est un médecin et
vieux garçon qui va retrouver Pablo (Alfredo Mayo), un ami d’enfance de retour
d’Afrique. Celui-ci est désormais marié à la belle Elena (Geraldine Chaplin),
jeune femme qui évoque à Julián un de ses premiers émois adolescent avec une
mystérieuse femme qu'il a vue jouer du tambour lors de la Semaine sainte à
Calanda. Julián va alors faire une fixette sur Elena, figure inaccessible d’une
obsession plus fétichiste qu’amoureuse. La preuve avec la relation trouble que Julián
va nouer avec Ana (Geraldine Chaplin), son infirmière amoureuse de lui et qu’il
va progressivement modeler pour la conformer physiquement à Elena. Saura fait
jouer à Geraldine Chaplin les deux rôles féminins (voire les trois si l’on
inclut le fantasme du passé), la blonde, glamour et sophistiquée Elena et la brune,
ordinaire et candide Ana dans une dualité qui évoque bien évidemment Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock. C’est
une manière de donner des traits à l’idéal féminin de Julián, celui iconique et
inaccessible d’Elena et l’autre plus familier et malléable d’Ana.
Ce souvenir
du passé ainsi que la solitude aura amené le héros à construire une image de la
femme parfaite d’après les magazines de mode qu’il collectionne et dont il
découpe méticuleusement les photos. Amoureux timide et éperdu face à Elena, il
retrouve ses instincts de mâle dominateur. Saura traduit parfaitement la
différence dans sa mise en scène où Elena semble constamment glisser face aux
approches de Julián, une silhouette proche et lointaine à la fois, que notre
héros ne peut capturer et figer qu’en la prenant en photo lors de cette belle
scène de danse dans la campagne automnale. A l’inverse Julián happe Ana dans
ses obsessions et son univers, d’abord par le dialogue où suave il fait
miroiter l’allure à adopter pour le séduire en lui montrant ses revues, puis
une fois l’ascendant pris en se montrant plus autoritaire. La scène dans un
premier temps comique où il oblige Ana à faire du rameur signe en fait l’assujettissement
de la volonté de la jeune femme par un travelling circulaire la capturant en mouvement,
faisant de ce corps épuisé par l’effort la possession de Julián. Elle sera victime
consentante pour être enfin aimée de cet homme.
Carlos Saura tisse une atmosphère faussement apaisée et
bucolique, faite des tranches de vie diverses de l’amitié en trio liant Julián,
Pablo et Elena. L’envie et le fétichisme maladif de Julián planent pourtant
dans ces instants, comme le montrera ce passage où il étudie méticuleusement la
trousse de maquillage d’Elena pour mieux en reprendre chaque élément pour
refaçonner la godiche Ana. Une humiliation jouant sur son précieux souvenir va
le faire basculer, poussant sa quête au point de non-retour. Le rebondissement
final désarçonne le spectateur au vu de la langueur qui a précédé et justifie
enfin le titre du film inspiré du cocktail favori de Julián, le peppermint
frappé qui illustre sa singularité, sa séduction puis sa profonde malveillance.
Vertigo plane également sur le final,
Saura reprenant le travelling à 360 sur Julián comblé face à une Ana complice ayant
définitivement endossé les traits de son fantasme. Sous l’intime et la critique
de la bourgeoisie, la facette politique se dessine subtilement. Saura fustige
le mâle espagnol et en fait une métaphore du franquisme, éliminant ce qu’il ne
peut s’approprier et soumettant les plus faible à son idée - le tambour de
Calanda, leitmotiv sonore du film prend d’ailleurs une rythmique quasiment
martiale et militaire lors du final en contrepoint du romantisme de la scène. Saura
use d’une approche vaporeuse et étrange qui n’en rend le message que plus
cinglant dans cette œuvre qui lui vaudra un nouvel Ours d’Argent à Berlin.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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