La saga Delinquent
Girl Boss est la première production Toei à surfer sur le phénomène sukeban (délinquante japonaise) suivant
ainsi la Nikkatsu qui a transposé avec succès cette culture adolescente avec sa
série des Stray Cat Rock (qui révéla Meiko Kaji futur icône pop de La Femme Scorpion et Lady Snowblood). Si la Toei basculera
plus franchement dans les excès du cinéma d’exploitation (plus de sexe et de
violence) avec ses deux autres sagas sukeban
que seront Girl Boss Guerilla et Terrifying Girls' High School (portée
par les deux stars du genre Reiko Ike et Miki Sugimoto), la saga des Delinquent Girl Boss s’avère
certainement la plus attachante tout au long de ses quatre volets (Delinquent Girl Boss: Blossoming Night
Dreams (1970), Delinquent Girl Boss:
Tokyo Drifters (1970), Delinquent
Girl Boss: Ballad Of Yokohama Hoods (1971) et Delinquent Girl Boss: Worthless to Confess) par son habilement croisement
de féminisme, préoccupation adolescente et action survoltée qui doit beaucoup
au charisme de son héroïne Reiko Oshida.. Delinquent
Girl Boss: Worthless to Confess, ultime volet de la série s’avère même un
des sommets du genre où s’entremêle imagerie pop et mélodrame flamboyant.
On comprend le lien unissant les héroïnes dans les épisodes
précédents sans qu’il soit nécessaire de les avoir vus grâce à une efficace
introduction où nous les croisons en maison de correction. Quelques éléments de
l’intrigue à suivre s’y amorcent avec le refus de Midori (Yumiko Katayama) de
voir son père venu lui rendre visite, ce dernier remettant le cadeau qu’il lui
destinait à Rika (Reiko Oshida) sa némésis des volets précédents. Le thème du
film sera l’impossible réinsertion des délinquantes, confrontées au machisme et
à la cruauté de la vie urbaine. Rika, sans famille ni toit est accueillie par Muraki
(Junzaburo Ban) le père de Midori qui tient un garage et va l’embaucher. Elle
va peu à peu retrouver les anciens membres de son gang toutes confrontée à un
triste sort. Mari (Yukie Kagawa) se tue à la tâche dans de sinistres emplois
(posant nue pour des photographes libidineux) afin de maintenir son foyer où
son époux ancien yakuzas est affaibli par la maladie.
De même Senmitsu (Mieko
Tsudoi) est entremetteuse dans un bar de charme et surtout Midori est la petite
amie de l’homme de main (Ichiro Nakatani) d’Ohya (Nobuo Kaneko habitué des
rôles de truands depuis la série des Combats
sans codes d’honneur de Kinji Fukasaku), chef yakuza qui terrifie par le
racket ce quartier de Shinjuku. Chacune des héroïnes est soumise à
l’inconséquence des hommes, que ce soit par la tyrannie, la faiblesse de
caractère ou un physique défaillant. L’ensemble du film déploie un crescendo
dramatique implacable où leur manque affectif va se confronter à la violence de
cet environnement urbain. Reiko Oshida campe une fille décidée à s'en sortir et
prête à tout pour aider ses amies, un beau personnage allant toujours de l'avant
en toutes situation et très émouvant dans son sentiment de solitude due à son
statut d'orpheline. Sa joie d’être « adoptée » se conjugue à
l’incompréhension face au ressentiment et à l’ingratitude de son amie pour ce
père auquel elle cause mille tourments en contractant une dette auprès des
yakuzas ravis de trouver un prétexte pour s’approprier son garage.
Le gang yakuza symbolise à lui seul cette faiblesse
masculine où ses membres sont les dominants par leur violence et leur machisme,
ceux s’y étant frotté sans en avoir « l’étoffe » (le fiancé de Midori
qui va y contracter des dettes fatidiques, l’époux de Mari y aura laissé sa
santé) étant désormais des fardeaux pour les héroïnes. Les seules figures
masculines positives offrent des images travailleuses et protectrices ayant su
se détourner de la facilité de la vie yakuzas avec Ryuji (Tsunehiko Watase)
entiché de Rika et bien sûr Muraki, ce père brisé dont nous découvrirons le
passé lors d’une scène mémorable. Kazuhiko Yamaguchi (réalisateur des quatre
films de la saga) trouve l’équilibre entre approche réaliste, puissance
dramatique et fulgurances formelles typique du cinéma japonais de l'époque. Il s’attache
avant tout à scruter le drame intime de ses héroïnes dans une narration
remarquable, l’imagerie pop se faisant sobre si ce n’est quelques vues
nocturnes tapageuses du quartier de Shinjuku, que ce soit les ruelles bardées
de néons ou les bars aux intérieurs bariolés, lieux de luxure et de perdition.
Les écarts du cinéma d’exploitation sont quasiment absents, les rares scènes de
nudité (Rika venant solliciter la clémence de yakuza libidineux) s’inscrivant
dans la tragédie en cours et ne cédant pas à un érotisme racoleur.
Malgré tous leurs efforts, le bonheur se refusera donc à
Rika et ses amies mais elles sauront s’offrir un baroud d’honneur et une
vengeance mémorable. Tous les codes sukeban
reprennent leurs droits (le salut final poignant au disparu dans la pose typique
des gangs) dans un final d’anthologie où nos cinq délinquantes traversent les
rues de Shinku telles des anges de la mort échappé du western, vêtue de long
imper rouge. Une tenue qu’elles vont tomber pour une allure aussi sexy que
guerrière afin de décimer du yakuzas au sabre, et où Yamaguchi déborde
d'invention : colorimétrie écarlate, geyser de sang digne du chambarra le
plus outrancier, contre-plongée déroutante (le chef yakuza qui se fait tuer à
travers le sol transparent) et une caméra mobile où transparait littéralement
la hargne de Rika et ses acolytes. Une conclusion « girl power » qui même dans son outrance formelle
ne néglige jamais l’émotion avec une dernière scène touchante qui condamne nos
bad girls à un éternel destin criminel.
Sorti en dvd zone 1 chez Panik House dans le coffret Pinky Violence et doté de sous-titres anglais
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