Mr Ogata vit avec une
veuve qui a eu deux enfants adolescents. Il est d'ailleurs attiré par sa
belle-fille tandis que sa compagne, qui est persuadée que son mari s'est
réincarné en une carpe, entretient une relation proche de l'inceste avec son
garçon. Pour faire vivre cette famille, Ogata tourne et vend des films
pornographiques clandestins.
Même s’il a jusque-là pu réaliser ses films en toute liberté
au sein de la Nikkatsu, Shohei Imamura y rencontre une certaine incompréhension
pour leur ton singulier et faible potentiel. Cela va l’amener à créer sa propre
société de production Imamura Productions dont le premier projet sera Le Pornographe, néanmoins coproduit et
distribué par la Nikkatsu. Le sujet est proposé au réalisateur par l’acteur Shōichi
Ozawa d’après le roman d'Akiyuki Nosaka (auteur à qui l’on doit Le Tombeau des Lucioles) et Imamura
décide de le réaliser tout en lui confiant le rôle principal. Le titre original
Erogotoshitachi yori Jinruigaku nyumon
(littéralement Une introduction à
l'Anthropologie au travers des Pornographes) reprend de façon plus radicale
encore la dimension anthropologique et la nature d’observateur étudiant des
spécimens qu’Imamura avait initié avec La Femme Insecte (1963). Il concrétise même visuellement l’idée ici avec l’ouverture
et la conclusion qui nous introduit puis nous sort d’un écran de cinéma, une
manière aussi de lier cette approche avec le métier de son héros. Même s’il s’en
éloignait grandement, on pouvait encore trouver une relative notion de
mélodrame dans la trajectoire de l’héroïne de La Femme Insecte, tout cela s’estompe ici dans un ensemble plus
dérangeant.
Le Pornographe
prolonge les thématiques de Cochons et Cuirassés (1961) et La Femme Insecte
mais dans un contexte radicalement différent pour le Japon. Les précédents
films présentaient un Japon colonisés, pauvre et encore en reconstruction où
les héros soumis à leurs désirs et appât du gain se perdaient dans une volonté
de survie et d’évasion. Les Jeux Olympiques 1964 de Tokyo ont signifié au monde
le redressement économique du pays et si les personnages s’abandonnent à une
même faiblesse de caractère, l’adversité n’est plus une excuse. Ogata (Shōichi
Ozawa) gagne sa vie en étant le pourvoyeur de plaisir de la haute société
japonaise. Il réalise leurs fantasmes par procuration en tournant des films
érotiques clandestins ou envoie aux hommes des jeunes femmes prêtes à
satisfaire leur demande les plus déviantes.
A l’époque la Nikkatsu entame son
virage vers le Pinku Eiga (cinéma érotique japonais) et Imamura tout en s’en
démarquant par sa vision très noire, anticipe nombres de pratiques et
perversions qui irrigueront le genre voire la sexualité japonaise au sens
large. Chacun de ces fantasmes participe à cette volonté de domination du mâle
japonais, d’une libido s’épanouissant par la soumission de la femme. Cela donne
quelques demande et situations sacrément dérangeantes. Un homme d’affaire
désire ainsi ardemment posséder une vierge, las d’avoir été toute sa vie le
second (y compris avec son épouse) et souhaitant à son tour être le premier
amant d’une femme à qui il laissera un souvenir inoubliable. Un autre rêvant du
viol d’une écolière en uniforme se verra fictionnaliser sa lubie dans un film
amateur mais le tournage s’interrompt lorsque Ogata à la stupeur de constater que
les acteurs recrutés sont père et fille… Imamura tout en nous déstabilisant arbore ce ton neutre où les éléments
tordus s’enchaînent au montage sans dramatisation ou être monté en épingle.
L’occupant américain ne sert donc plus de prétexte à l’avilissement
comme dans Cochons et Cuirassés, il s’agit
simplement d’une demande à satisfaire pour la classe aisée dans le capitalisme
le plus sauvage. Cette absence de scrupules va peu à peu se répercuter sur la
sexualité d’Ogata. Vivant avec une veuve et ses deux enfants adolescents, Ogata
nourrit un désir de plus en plus coupable - culpabilité rappelée par une cicatrice à la jambe - pour sa belle-fille Keiko (Keiko
Sagawa) âgée de quinze ans - une transgression qu’on trouve aussi à la fin de La Femme Insecte. La promiscuité nourrit
cet appétit sexuel insatiable du héros qu’Imamura capture dans les étreintes
ardentes avec sa compagne (Sumiko Sakamoto), et par les regards concupiscents à
la dérobée où il observe Keiko se changer à travers l’entrebâillement d’une
porte.
Il tentera bien de résister mais parallèlement tout son univers s’écroule
(son « commerce » racketté par les yakuzas, la police qui le harcèle…)
et le rendant plus maladivement encore que ses clients esclave de ses désirs
pervers. Déçu dans ses ambitions de fonder une famille (au passage le vaurien
qu’incarne le beau-fils n’a rien à envier au jeune coq de Cochons et Cuirassés pour une vision assez désabusée de la jeunesse
japonaise), de s’enrichir et surtout de satisfaire ses fantasmes, Ogata va
basculer. Les rêves d’abus et de soumissions étant impossible avec une femme
forcément infidèle et/ou traitresse, autant se façonner une compagne
artificielle.
Imamura anticipe donc à la fois les dérives fétichistes et otakus
de la société japonaise dans un final glaçant où la quête de virilité ultime
mène à la déshumanisation, le fantasme de la machine supplantant celui de la chair. Ogata dans son parcours symbolise ainsi une société japonaise malade, entre sexualité dérangée (les relents d'inceste entre la mère et le fils) et ignorance avec les superstitions d'Haru voyant le regard inquisiteur de son époux défunt à travers une carpe. Passionnant même si on put regretter que le côté
anthropologue empêche toute implication – dont une narration longuette et
monotone -, mais c’est aussi ce qui permet l’absence de jugement envers des
personnages qui ne sont que des spécimens soumis à leurs émotions.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Elephant Films
Je suis en train de le regarder, merci pour ta chronique, qui facilite ma compréhension.
RépondreSupprimerDe rien d'autant que ce n'est pas le plus simple d'accès et que ça peut être déroutant moralement. Mais captivant, un des sommets d'Imamura.
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