David Holm est un
ivrogne et un voyou. Georges, son compagnon de beuverie, vient d'être désigné
comme la prochaine victime d'une célèbre légende, selon laquelle celui qui rend
l'âme au moment où commence la nouvelle année est condamné à tirer pendant un an
la charrette fantôme, chargée d'emporter les morts. Sœur Edith, qui s'est
toujours vouée corps et âme aux défavorisés, s'est donné pour mission de le
ramener dans le droit chemin...
La Charrette fantôme
est un film précurseur de la vague du cinéma fantastique français qui
rencontrera le succès durant les années 40 avec Les Visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné, L’éternel retour (1943) de Jean Delannoy ou encore La Main du diable (1943) de Maurice
Tourneur. C’est également l’occasion pour Julien Duvivier d’entériner son
attrait pour le genre après Le Golem
(1936) et qu’il retrouvera dans des œuvres futures comme Obsession (1943) ou Marianne de ma jeunesse (1955). Le film adapte le roman Le Charretier de la mort de Selma Lagerlöf (auteur du classique de la littérature enfantine Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à
travers la Suède) qui avait connu une première version muette signée Victor Sjöström en 1921. C’est au départ pour
Duvivier une commande de la Transcontinental Films mais on peut tout à fait
voir ce qui a pu y susciter son intérêt. La profonde noirceur du récit mais
également son questionnement exalté sur la rédemption et la destinée
s’intègrent en tout point à ses classiques que sont entre autre La Bandera (1935), Pépé le moko (1937) et Obsessions
qui explore la question dans une veine purement surnaturelle.
L’argument fantastique sert de fil conducteur au récit mais
ne s’illustre réellement qu’en ouverture et conclusion du film. Au départ c’est
une superstition de Georges (Louis Jouvet), meneur d’un trio de misérables
croyant en la légende de la charrette fantôme qui condamne le dernier mort de
l’année à conduire le sinistre véhicule afin d’emporter tous les défunts. Le
grincement de ses roues, seulement audible par le condamné est un des signes de
mauvais augures annonçant son trépas. L’ignorance de la malédiction cueillera
paisiblement une vieillarde dans une magnifique scène enneigée tandis que sa
connaissance et sa crainte précipite celle de George. Son ancien compagnon de
beuverie David Holm (Pierre Fresnay) lui n’a cure d’aucune croyance, fut elle
superstitieuse, religieuse ou humaniste et noie son aigreur et sa haine du
monde qui l’entoure dans l’alcool. La dévouée Sœur Edith (Micheline Francey)
croit pourtant en la rédemption du malheureux et va le poursuivre de sa
bienveillance tout au long du récit. Julien Duvivier fait du film une suite de
tableaux aux atmosphères contrastées.
On a tout d’abord le monde de la fange,
grouillant, ténébreux et peuplé de figures rendues monstrueuses par
l’avilissement moral et le désespoir. C’est un univers de violence indistincte personnifiée
par un David Holme qui semble irrécupérable, notamment dans une séquence hallucinée
où aviné il s’attaque à la porte de sa maison à la hache (qui annonce Shining (1980) avec une même frustration
suscitant la haine des sien) pour en découdre avec sa malheureuse épouse. Le
cadre du refuge pour démunis arbore une esthétique bien plus apaisée, avec ce
décor espacé, dont les murs blanc donnent un aura positive qui va conférer aux
sans-abris qu’il accueille une facette humaine et chaleureuse les faisant
échapper à leur condition pour un court moment de répit. Néanmoins dès que la
religion se substitue à la bonté ordinaire, cette imagerie peut prendre un ton
plus inquiétant comme lors d’une scène d’épiphanie hystérique où l’âme
tourmentée des sans grade se mêle à l’atmosphère froide et inquisitrice de
l’église.
Le réalisateur cherche clairement à nous signifier que toute
la bonté du récit réside en la dévotion de Sœur Edith, portée par
l’interprétation habitée de Micheline Francey. C’est le seule protagoniste
traversant et imprégnant de son aura de quasi sainte tous les environnements du
film. Sa présence stoïque, son regard aimant et son phrasé doux semble
constamment altérer les penchants les plus néfastes de ses interlocuteurs. La
scène où elle se rend dans une sinistre taverne à la recherche de David Holme
est à ce titre très parlante, l’absence de réaction si ce n’est ce visage sans
ressentiment - et un sublime gros plan immaculé de Duvivier qui évoque le muet
- qui stoppe net l’attitude malveillante de la fange qui l’entoure.
Un plan d’ensemble
isolant l’embrasure illuminée de la porte de la taverne semble d’ailleurs nous
signifier que cette irruption n’a pas été vaine et qu’elle a éveillée le bien
encore tapis dans certaines âmes pécheresse. Là aussi le réalisateur déleste
légèrement le ton de sa possible veine bondieusarde en suggérant un possible
sentiment amoureux de Sœur Edith pour David Holme, comme le montrera sa
déception quand elle découvrira qu’il est marié. La profonde dévotion autant
que la folie amoureuse la guide donc mais sera bien mal récompensée par l’aigreur
qui habite David Holme. Malgré des sursauts de culpabilité (notamment la
destinée tragique de son frère innocent cédant finalement à l’avilissement
ambiant), le personnage retombera ainsi toujours dans ses travers immoraux.
C’est là que le surnaturel reprendra ses droits, l’ombre
sinistre de la charrette fantôme étant seule capable de faire changer David
Holme. Tout le film tend vers cette conclusion merveilleuse où Duvivier met
d’autant plus en valeur le travail de son équipe technique (les décors de Jacques
Krauss, la photo somptueuse de Jules
Krüger). Une poésie macabre se dégage des magnifiques effets de transparences
voyant la charrette fantôme arpenter ce cadre champêtre qui s’orne d’une
atmosphère gothique envoutante. Les compositions de plan sont d’une recherche
et beauté troublantes entre l’émerveillement du conte de fée et la terreur indicible
du cauchemar. C’est finalement l’heure du regret sincère pour David Holme,
Pierre Fresnay lâchant enfin son rictus haineux pour laisser couler des larmes
douloureuses en entrevoyant les conséquences de son attitude. Une nouvelle fois
c’est la sincérité de Sœur Edith qui décuple la force émotionnelle de ce final,
le monde des esprits perdant de sa frayeur en revêtant ses traits attachant. La
tragédie et la rédemption si chères à Duvivier se confondent dans une
conclusion poignante.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
Bravo et merci pour votre chronique.Une découverte. Un grand Duvivier. Visuellement, de fort belles choses (plans au montage nerveux, photo inspirée par l'expressionnisme allemand...). L'interprétation est sans failles : Louis Jouvet magnifique et poignant dans un rôle court et l'actrice Micheline Francey, sublime, irradie tel un ange de miséricorde. Plongée étonnante dans la misère (l'alcoolisme est le principal accusé) avec rédemption à la clé pour un Pierre Fresnay qui n'est pas encore Monsieur Vincent. Réalisme social et fantastique hérité du muet (le final aux effets très réussis) et teinté de mysticisme, habitent ce film méconnu et très attachant. Connaissez-vous cet autre Duvivier,disponible chez René Chateau, Le Paquebot Ténacity ? Mériterait une chronique...
RépondreSupprimerTout à fait vous avez raison pour la photo inspirée de l'expressionnisme allemand notamment la scène où Pierre Fresnay est stoppé quand il attaque sa maison à la hache. Vraiment une belle dcouverte et final assez stupéfiant formellement, j'aime vraiment beaucoup les incursions de Duvivier dans le fantastique. Pas vu Le Paquebot Tenacity je note merci du conseil !
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