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vendredi 18 octobre 2024

Valérie au pays des merveilles - Valerie A Týden Divů, Jaromil Jireš (1970)


 Agée de treize ans, orpheline, Valérie vit sagement avec sa grand-mère. Un mariage se prépare dans le village et on attend la visite de quelques missionnaires. Mais des événements étranges surviennent : un jeune homme, l'Aiglon, vole à Valérie ses boucles d'oreille. Et parmi les comédiens qui arrivent en ville, un personnage inquiétant, le Putois, semble très bien la connaître.

Jaromil Jires fut un des fers de lance de la Nouvelle Vague tchèque, son galop d’essai Le Premier Cri (1964) étant même considéré comme l’œuvre lançant le mouvement. Ses films suivants creuseront de nouveau le sillon d’ironie, de satire et de surréalisme typique de cette Nouvelle Vague tchèque, mais l’invasion russe marquant la fin du Printemps de Prague en 1968 viendra clore cette parenthèse enchantée de liberté artistique. Après l’ultime incartade que sera son troisième film, La Plaisanterie (1964), Jaromil Jires a le choix entre l’exil comme Milos Forman, ou rester sur place mais rentrer dans le rang. Il va décider de rester et Valérie au pays des merveilles, première production sous ce nouveau régime politique, va constituer un fascinant compromis.

Le film est adapté du roman Valérie ou la semaine des merveilles de Vítězslav Nezval publié en 1945 et constitue en quelque sorte le premier film gothique et d’horreur tchèque. Le cinéma des pays de l’est et plus particulièrement soviétique, versait dans un cinéma fantastique dont l’inspiration reposait beaucoup sur l’adaptation de contes traditionnels, et dont l’imagerie se voulait une réponse aux tentatives hollywoodiennes comme Le Magicien d’Oz (1939). Jires se démarque donc par la dimension plus explicitement horrifique de son film, tout en creusant le sillon allégorique et psychanalytique du conte traditionnel. L’ensemble du récit fonctionne en effet sur un double niveau de lecture, par le prisme de son héroïne adolescente Valérie (Jaroslava Schallerová).

Dès les premières scènes, le filmage de la jeune fille interpelle. Valérie, par la langueur de ses poses et les cadrages suggestive de Jires, est capturée dans une sensualité « adulte » contredite par les traits juvéniles de ses treize ans. Il y a une question de point de vue dans cette dichotomie, endossant le regard amoureux de Olrik (Petr Kopriva), jeune homme amoureux venu l’observer dans son sommeil, et celui de Valérie inconsciente de ses charmes féminins en germe. Ce schisme va se poursuivre tout au long du film dans une idée de transgression. 

C’est une transgression que Valérie subit en étant l’objet d’un désir incestueux (lorsque Olrik s’avérera être son frère), pédophile quand un missionnaire tentera de la violer, diabolique quand le Putois, créature monstrueuse avec laquelle elle entretient aussi des liens filiaux, cherchera ses faveurs intimes également. L’outrage que constitue la vision du religieux se fond l’idéologie communiste qui y voyait un opium bourgeois au peuple, et ne vaudra donc pas de soucis à Jires. Les autres éléments dérangeants obéissent à la logique de conte et de récit d’apprentissage.

Valérie désarçonne et révèle la face sombre du missionnaire venu l’agresser quand, après l’avoir repoussé, elle se laisse emporter dans une posture lascive et offerte. Chaque interaction de Valérie va obéir à cette ambiguïté, entre « séduction » et rejet, à la fois dans le langage corporel de l’héroïne et l’érotisme latent par lequel elle est filmée par Jires. Le réalisateur saisit dans un même geste trouble l’éveil au désir, à la sexualité de Valérie, tout en scrutant les dangers qui la guettent spécifiquement et au sens large les jeunes filles traversant cette transition. Le fait de faire jouer plusieurs personnages par un seul acteur ou actrice, les fait passer d’une scène à l’autre de parent à amant, de protecteur à tyran, d’humain à créature fantastique. Dans le même temps, Valérie découvre en observatrice cette dualité chez les adultes, le pendant propret et chaste de son environnement dissimulant les fantasmes les plus débridés, le désir le plus brûlant – la séquence où une procession religieuse défile à côté d’un couple en plein ébats.

Jires navigue ainsi entre plusieurs eaux, usant par exemple du motif vampirique pour faire ressentir par l’étreinte de la morsure la porosité des âges, des genres et des liens dans l’expression de ce désir. Le malaise provoqué par l’attirance des autres pour Valérie trouve son contrepoint dans la réceptivité fréquente de cette dernière. Cela se ressent notamment dans la nudité tour à tour volée à la jeune fille, ou décomplexée dans cette lascivité innocente. On sent bien que le film a été produit au moment charnière de la libération sexuelle, et ose certaines visions bien plus discutables désormais pour un spectateur contemporain. Néanmoins l’atmosphère vaporeuse et onirique, la teneur explicitement psychanalytique du propos, ainsi que le grotesque assumé de certains protagonistes/situations lèvent tout soupçon d’intention douteuse chez le réalisateur. Il en reste un objet inclassable et audacieux, belle illustration des émotions confuses du rêve et du conte. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Malavida

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