Voilà des lustres que, pour des raisons
ignorées de tous, y compris des intéressées, deux familles voisines du
Pays basque espagnol se sont prises en haine. Le film commence en 1875,
durant la seconde guerre carliste, et s'achève en 1936, alors qu'éclate
la guerre civile.
Premier essai et coup de maître pour Julio Medem avec ce
Vacas
qui lui vaudra d'emblée la reconnaissance critique à travers les
nombreuses récompenses obtenues par le film. On retrouve ici avec une
maîtrise déjà certaine toute l'étrangeté, la poésie et le mysticisme des
œuvres à venir dans une tonalité universelle et très personnelle à la
fois. L'intrigue se déroule en effet dans le pays basque natal de Medem
dont il explore la vie rurale et la nature sauvage tout en survolant
l'histoire de l'Espagne.
Ce contexte sert ainsi le récit du conflit
entre deux familles voisines sur près de 60 ans, de la première guerre
carliste en 1875 à la guerre civile de 1936. Medem réalise en fait là
une sorte d'adaptation officieuse et revisitée du
Cent ans de Solitude
de Gabriel Garcia Marquez, la grande Histoire et l'intime traversant ce
lopin de terre du Pays Basque comme elles le faisaient pour le village
colombien dans le roman de Marquez.
La répétitivité des noms des personnages rejouant le cycle de la haine
est ici repris visuellement par Medem qui réutilise les même acteurs
d'une générations à l'autre pour exprimer une continuité mais aussi les
variantes et le futur différent possible par des êtres plus jeunes et
ouverts. Le film s'ouvre sur les retrouvailles des deux voisins Manuel
(Carmelo Gómez qu'on retrouvera dans
Tierra et
L'écureuil Rouge) et Carmelo (Kandido Uranga) sur le champ de bataille
durant la première guerre carliste. Manuel par sa lâcheté cause
involontairement la mort de Carmelo qui cherchait à le protéger mais
survit miraculeusement après s'être couvert du sang de son ami.
Il parvient à revenir au pays dans un piteux état mais dès lors le
destin des deux familles est lié ainsi que leur haine respective, cela
étant établi comme un fait avéré sans que les évènements dramatiques
initiaux soient connus de tous. On retrouvera ainsi les descendants
trente ans plus tard à travers la rivalité entre Ignacio et Juan (joués à
nouveau par Carmelo Gómez et Kandido Uranga) pour le meilleur coupeur
de bois de la région.
Cette haine et amour s'entremêlent à travers la
romance entre Ignacio et la sœur de Juan, Catalina (Ana Torrent) dont
naîtra un enfant illégitime, Peru. Medem montre cette espace comme
étouffant à la travers l'antagonisme inconciliable des deux familles et
tout rapprochement sentimental ne peut s'épanouir qu'en le quittant.
Ignacio et Catalina tel des Roméo et Juliette basques vont ainsi vivre
une folle passion et surmonter l'opposition de leur entourage en fuyant
vers le nouveau monde plus moderne et ouvert que représente l'Amérique.
Medem tout en dénonçant ces archaïsmes bien humains va néanmoins montrer
un rapprochement possible par d'autres rites ancestraux, ceux liés au
rapport à la nature. La troisième génération aura ainsi été absoute de
cette guerre grâce au savoir du désormais patriarche Manuel (Txema
Blasco) qui contribuera à stopper le cycle de la violence après avoir
été cause de son commencement.
C'est en croisant le regard d'une vache
qu'il survécu miraculeusement à ses blessures et dès lors il détient
tous les secrets des rites et coutumes ruraux qu'il va transmettre à sa
petite fille Cristina (Emma Suarez pour sa première collaboration avec
Medem) et au fils illégitime Peru (qui retrouve adulte de nouveau les
traits de Carmelo Gómez).
Medem décrit avec un tonalité quasi documentaire la vie rurale et les
travaux fermiers, mais aussi les remèdes et solutions quelques peu
excentriques et magiques apportés au difficultés du quotidien. La forêt
est une entité libre et omnisciente observant l'agitation des hommes,
leur passions et violence à travers une caméra au regard incertain
traversant les fougères.
Alors que dans cette campagne la civilisation
est synonyme d'affrontement, la forêt fait office de lieu de guérison et
de purification (les morceaux de la vache malade jetés dans le trou),
et c'est en comprenant ses règles que la dernière génération pourra
enfin se lier lors de la romance entre Cristina et Peru. La dernière
partie montre ainsi les ravages de la guerre civile de 1936 et la
manière dont les descendants plus apaisés vont la surmonter.
Medem ne rend pas encore ici la dimension symbolique qui le caractérise
aussi accessible que dans ses films suivants. On est donc dans un
premier temps surtout envouté par l'atmosphère magique de
Vacas,
par ses envolées onirique sans immédiatement comprendre et s'attacher
aux personnages. Nous sommes comme ces vaches qui regarde placides les
hommes se déchirer, mais les bovins acquièrent une dimension sacrée
évoquant l'hindouisme dans leur façon d'être vecteur des bonds temporels
du récit et déterminer la destinée des héros.
Tous les autres
personnages les traitent comme les bêtes stupides qu'elles sont supposés
être et seul Manuel puis les amoureux Cristina et Peru sauront les
regarder et les comprendre (les scènes d'enfances sont somptueuses la
jeune actrice jouant Cristina jeune ayant une bouille des plus
attachante) ce qui leur vaudra le salut final contrairement à leurs
ancêtres.
Medem annonce ainsi une thématique au cœur de toutes ces œuvres à venir,
la paix intérieure constamment liée par le rapport à son environnement.
La nature peut être une amie ou une menace selon notre regard sur elle
et notre état d'esprit, choses qu'apprendront à leur dépend ou pour leur
bonheur les héros de
Lucia et le sexe,
Caotica Ana ou encore
Les Amants du cercle polaire.
Une merveille et vu la haute tenue de cette adaptation officieuse, on
se prendrait à rêver que Medem transpose effectivement sur grand écran
Cent ans de solitude, il est le candidat idéal pour le faire.
Sorti en dvd zone 2 espagnol et doté de sous-titres français
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