Le film suit Alice Liddell, la jeune fille qui avait
inspiré Les Aventures d'Alice au pays des merveilles à Lewis Carroll,
qui est devenue une femme âgée. Les personnages du conte, qui auparavant
l'amusaient tant, sont devenus dans son esprit plus obscur et
commencent même à la hanter. Se replongeant dans son passé, elle repense
à sa relation privilégiée avec le timide écrivain, en l'envisageant
maintenant sous un angle nouveau, auquel son âge lui permet désormais
d'accéder…
En cette année 1985 il semblait en vogue d'offrir des relectures de mythes populaires enfantins, que ce soit avec
Le Magicien D'oz revisité par Disney dans son
Return to Oz (réalisé par Walter Murch) et donc ce magnifique
Dreamchild qui retourne aux sources du classique de Lewis Caroll
Alice au pays des merveilles.
Le film offre une variation à la fois nostalgique et ludique en partant
de la "vraie" Alice pour nous faire retrouver l'héroïne de Caroll.
L'auteur imagina en effet le livre au cours d'une excursion en barque
qu'il effectua avec le révérend Duckworth et les trois filles d' Henry
Liddell (Chancelier de l'université d'Oxford) Lorina, Alice et Edith.
Alice, la plus espiègle des trois fillettes s'ennuyant durant la ballade
lui demande de leur raconter une histoire et Caroll improvise alors les
prémices de son futur ouvrage en basant le caractère de son héroïne sur
Alice Lidell et c'est d'ailleurs à sa demande qu'il décide de coucher
son récit sur papier. Il lui dédicacera et offrira le premier exemplaire
du livre à sa parution trois ans plus tard.
Dreamchild reconstitue donc la fantaisie du livre
mais dans une tonalité différente en nous faisant accompagner une Alice
Lidell désormais âgée mais toujours hantée par le Pays des Merveilles.
Le scénario prend pour cadre le vrai voyage effectué à New York par
Alice Lidell (Coral Browne) en 1932 pour célébrer le centenaire de la
naissance de Charles Dodgson (vrai nom de Lewis Caroll) et recevoir le
diplôme honorifique de docteur ès-lettres à l'université Columbia.
Seulement la petite fille enjouée semble devenue une vieillarde quelque
peu acariâtre, à cheval sur les bonnes manières et malmenant sa jeune
dame de compagnie Lucy (Nicola Cowper).
Le récit va ainsi osciller entre un présent terne où la vieille dame
n'assume pas cet héritage pas son attitude rustre, des flashbacks de son
enfance tissant son lien avec Dodgson/Caroll (Ian Holm) et de vraies
envolées oniriques revisitant certaines situations du livre. Les
souvenirs et hallucinations assaillent progressivement Alice qui perd
alors pied avec la réalité, son esprit s'envolant vers ces contrées
imaginaires à tout moment. La fillette Amelia Shankley incarne une jeune
Alice pleine d'allant et de malice qui subjugue rapidement Caroll.
On a
là de magnifiques séquences enfantines où la mise en scène sobre de
Gavin Millar est magnifiquement mise en valeur par la photo élégiaque de
Billy Williams dans sa description des pérégrinations d'Alice dans la
campagne anglaise dont la fameuse ballade inspiratrice. Un voile trouble
est néanmoins jeté sur la relation entre Dodgson et Alice. Ian Holm et
son jeu anxieux suggère ouvertement que Caroll était amoureux d'Alice à
travers les regards appuyés, la manière dont il épie la fillette à son
insu et quelques moments équivoque comme lorsqu'il lui propose une
séance photo dans ses appartements.
Ainsi on peut s'interroger sur le rejet ou du moins la minimisation que
fait Alice Lidell dans le présent quant au lien avec son mentor. Simple
amitié ou transgression inavouable ? L'ambiguïté se maintien avec
l'illustration très particulière des passages du livre. Loin de
l'émerveillement de la version Disney ou de la tonalité décalée de
la version anglaise de 1972 on navigue ici presque dans une sorte de
cauchemar surréaliste.
Le bestiaire créé par le Jim Henson's Creature
Shop possède une allure réellement effrayante, certains moments léger
sur le papier prenant un tour nettement plus inquiétant notamment la
partie de thé avec le Chapelier Fou et le Lièvre de Mars.
La direction
artistique (dans l'esprit de la fantasy début 80's pas vraiment
rassurante avec des œuvres sombres comme
Le Dragon du Lac de Feu ou
Return to Oz justement)
donne aussi un tour nettement plus sombre et oppressant qui tranche
avec l'imagerie bariolée des adaptations les plus célèbres. Dans tous
ces instants, la petite et la vieille Alice s'alterne constamment,
amusée ou effrayée par cet univers et son armada de créatures. Cet
élément donne alors une idée du véritable enjeu du film, retrouver pour
Alice la légèreté qui charma Caroll.
Le scénariste Dennis Potter connaît son Lewis Caroll sur le bout des
doigts et aura habilement brouillé les pistes sur des éléments connus
concernant l'auteur. Lewis Caroll seul garçon d'une fratrie de onze
enfants affectionnait ainsi particulièrement la compagnie de ses sœurs
et souffrit beaucoup de la séparation lorsqu'il entra au collège où la
promiscuité masculine le rebutait.
Dès lors sa complicité avec Alice
s'explique sans chercher le mal et l'auteur fut un précurseur de l'usage
de la photo en Angleterre prenant de nombreuses fois les filles Lidell. Caroll est autant un amoureux qu'un compagnon de jeu mais plus dans un registre innocent
dans la veine des
Dimanches de Ville D'Avray (et évidemment pareil traitement serait impossible aujourd'hui). Nul
besoin de toutes ses explications dans le film où une superbe séquence
finale explique tout et notamment que la culpabilité n'est pas forcément
chez qui l'on pense.
La cruauté enfantine ordinaire se confond avec l'amertume de l'âge mûr
pour une poignante conclusion teintée de regret et de pardon où la
lecture des lignes de Caroll résolvent tout.
Les séquences
contemporaines sont moins palpitante à cause du manque de charisme des
jeunes acteurs malgré des pistes potentiellement intéressante (dans la
lignée de la version récente de Tim Burton il y aurait eu quelque chose à
exploiter autour de l'émancipation de la jeune nurse) mais on
appréciera la piquante critique des médias et la dimension toujours
habilement référentielle avec l'évocation ici de l'adaptation de la
Paramount réalisée l'année suivante. Belle pépite méconnue qui parlera à
tous les amoureux de Lewis Caroll.
Sorti en dvd zone 1 chez MGM et sans sous-titres
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