En ce début des années 60, le studio Hammer va ajouter une corde à son arc dans ce qui constitue ses genres de prédilection, le thriller. Jimmy Sangster, scénariste vedette de la Hammer et à l’écriture de certaines de ses plus belles réussites gothiques (Frankenstein s'est échappé (1957), Le Cauchemar de Dracula (1958)), commence à éprouver une certaine lassitude face à la formule s’installant sur ce créneau. Le thriller est alors en train de se mettre à l’heure moderne avec les deux immenses chocs que seront Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955) et Psychose d’Alfred Hitchcock (1960). L’écriture de Sangster va alors s’orienter vers ces deux influences avec toute une série de récits à suspense en revisitant les éléments les plus marquants. L’excellent Hurler de peur de Seth Holt (1961) inaugure le cycle, suivit d’autres réussites comme Maniac de Michael Carreras (1963) ou Confession à un cadavre du même Seth Holt (1965).
Paranoiac appartient à ce courant et va reprendre de façon génialement outrée les gimmicks de Clouzot et Hitchcock. Formellement le noir et blanc est privilégié pour se démarquer des pétaradantes couleurs des films gothiques et instaurer un mystère plus inquiétant, mais le récit se déroule néanmoins dans un vieux manoir anglais n’estompant pas cette identité du studio. Les chocs graphiques et narratifs que furent la scène de douche et le twist de Psychose sont ici démultipliés et, à défaut de créer la même surprise et sidération, rendent le récit imprévisible à force de coup de théâtre. La santé mentale fragile d’Eleanor (Janette Scott) et l’appât du gain manifeste de son frère Simon (Oliver Reed) laisse croire à un récit de manipulation à cause de ses hallucinations où elle voit leur frère aîné disparu Tony ? Tout cela est désamorcé lorsque celui-ci (Alexander Davion) réapparaît bien vivant à la surprise générale. Le doute entourant sa véritable identité provoque des remous quand survient la question de l’héritage à partager ? La vérité est éventée rapidement et à défaut de complot une autre menace plus trouble se révèle. Au vertige de ces poupées russes dont un seul mystère suffirait à nourrir un film entier, s’ajoute la dimension psychologique et torturée là aussi héritée d’Hitchcock et Clouzot. Le spectre de l’inceste plane à plusieurs niveaux, telle la tendresse trop insistante d’Eleanor envers Tony, celle plus implicite mais bien présente entre Simon et sa tante Harriet (Sheila Burrell), tout cela teintée d’imagerie religieuse culpabilisante. La vieille chapelle jouxtant la maison est ainsi à la fois le théâtre des troubles psychiques (Simon expiant une faute secrète à travers ses envolées d’orgue) et des menaces criminelles pesant sur les personnages, notamment avec une saisissant apparition nocturne masquée préfigurant le giallo. Freddie Francis, directeur photo vedette du cinéma anglais signe là sa quatrième réalisation et semble parfaitement s’épanouir dans le thriller psychologique. Les atmosphères se font délicieusement inquiétantes avec un travail sur l’obscurité qui dissimule autant un supposé danger surnaturel que les desseins et désirs coupables des protagonistes dont il sait capturer les regards anxieux, les attitudes ambiguës. L’interprétation participe à cette réussite, grâce à un Oliver Reed totalement halluciné en héritier psychotique et alcoolique (rôle de composition sur ce point), aussi inquiétant que pathétique dans ses excès, notamment une scène finale magistrale. Le scénario horrifiera la censure anglaise lors de sa présentation en amont, mais même avec les légers ajustements de Jimmy Sangster (la dimension incestueuse atténuée, la chapelle qui devient une bâtisse abandonnée pour atténuer le blasphème) la provocation est bien là et maintient Paranoiac dans sa volonté de thriller psychologique vénéneux.
Sorti en bluray français chez Elephant Films





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