Jerry Lewis découvre à l’adolescence l’adaptation de Victor
Fleming de Docteur Jekyll and Mister Hyde (1941) qui le marquera durablement.
Il en donnera donc une version toute personnelle avec The Nutty Professor, quatrième film de la série de comédie à succès
(Le Dingue du palace (1960), Le Tombeur de ces dames (1961), Le Zinzin d’Hollywood (1961)) qu’il
signa après la fin de son duo comique avec Dean Martin. Tout en retrouvant la
loufoquerie et les gags délirants des films précédents, The Nutty Professor développe une gravité et une noirceur qui le
rendent plus adulte. Dans un premier temps le professeur Kelp, ses expériences
tournant à la catastrophe et sa manière irrésistible d’agacer ses supérieurs (l’entrevue
hilarante avec le doyen d’université joué par Del Moore) en fond un empêcheur
de tourner en rond innocent dans la lignée du Zinzin d’Hollywood.
Pourtant en forçant le trait sur son physique
disgracieux et son timbre de voix nasal, Lewis lui confère une dimension à la
fois monstrueuse et pathétique. Le complexe de Kelp se reflète de manière
exacerbé dans son allure et ses manières et il cherchera constamment des
éléments superficiels plus que psychologique pour le surmonter. Alors que c’est
cette maladresse et fragilité qui le rendent si attachant, Kelp cherche à
incarner une image de perfection masculine sans âmes. Ce sera d’abord par le
culte physique, ce qui sera l’occasion de quelques gags mémorables où s’alterne
jeu sur les échelles entre le l’allure malingre de Kelp et les colosses
sportifs, l’absurde le plus désopilant avec un bowling très particulier puis l’outrance
cartoonesque lors d’une malheureuse tentative de lever d’haltère.
Mettant ses connaissances scientifiques au service de son
mal-être, Kelp va ainsi concevoir une formule chimique propre à le transformer
en un homme, un vrai. Ce sera le double mufle et arrogant Buddy Love. Jerry
Lewis renoue avec l’imagerie horrifique de l’adaptation de Fleming lors de la
scène de l’expérience, la mise en scène baroque troquant les jeux d’ombres
expressionnistes de l’original pour une folie plus bariolée tout en maintenant
le malaise avec un Kelp plus savant fou que jamais. La première sortie en
caméra subjective de Buddy Love joue également des codes de l’épouvante, chaque
passant paraissant horrifié par le visage de l’alter-égo. Le choc n’en sera que
plus grand lorsque l’on découvrira son visage, un séducteur gominé débordant d’assurance.
Lewis semble avoir façonné un avatar odieux de son ancien partenaire Dean
Martin, la désinvolture suave de « Dino » devenant goujaterie chez le
mâle alpha qu’est Buddy Love. Par un jeu de miroir entre des situations
identiques vécues par Kelp et son double, Lewis développe subtilement à quel
point l’image que l’on renvoie aux autres ou du moins celle qu’ils se font de
nous transforme le rapport. Kelp malmené par un de ses élèves joueur de
football le ridiculise plus tard en Buddy Love, il en va de même avec l’entretien
chez le doyen d’université où Kelp est engoncé et pathétique quand Buddy Love
saura se le mettre dans la poche comme un rien. Cependant quand il sera affaire
de sentiment le roulage de mécanique superficiel ne fera pas le même effet sur
la belle Stella Purdy (Stella Stevens), le jeu de répétition n’étant pas à l’avantage
de Buddy Love même si Lewis ne néglige pas la fascination que peut dégager ce
type de figure arrogante mais superficielle.
C’est là que Jerry Lewis s’approprie son sujet et s’échappe
du modèle de la version Fleming. C’est notre regard biaisé qui est incapable de
voir la beauté d’âme se dissimulant sous la bizarrerie de Kelp quand le vrai
monstre arbore les traits charmeurs de Buddy Love. Celui-ci n’incarne pas
seulement l’inversion des défauts de Kelp, mais aussi un modèle masculin de
virilité exacerbé mais néanmoins existant dans cette transition fin 50’s et
début 60’s. Les pulsions primaires se dévoilaient dans la bestialité
monstrueuse de Mister Hyde et l’innocence dans les traits apaisés de Jekyll, c’est
tous l’inverse que propose Lewis où le laid cache le beau et inversement. La monstruosité physique et morale ne se confondent plus.
Le
réalisateur explore à sa manière toute personnelle cette fameuse thématique du
fantasme irréalisable qui obsède les réalisateurs de comédies américaines
depuis les années 50 (Preston Sturges et son Infidèlement votre (1950), Billy
Wilder avec Sept ans de réflexion
(1955) et Certains l’aiment chaud
(1959), Frank Tashlin et son diptyque La
Blonde et moi et La Blonde explosive (1957)).
Il reprend en partie le côté rêvé (scène sensuelle en diable où Kelp imagine
Stella dans les tenues les plus sexy), parodique et décalé de ses prédécesseurs
- en toujours plus grotesque – mais en y ajoutant une émotion inattendue en fin
de parcours. La dernière scène où Buddy Love s’estompe face à la foule pour ne
laisser que le malheureux Kelp est un grand moment d’émotion, réalisé avec une
vraie pudeur par Lewis. Tout cela se fait d’ailleurs sans message bienpensant
sur l’acceptation de soi, la dernière scène hilarante ne négligeant qu’une
forme d’artifice reste parfois ludique en amour.
Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount
Silence pudique concernant le remake d'Eddie Murphy ? :mrgreen:
RépondreSupprimerE.
Voilà j'ai évité de parler des choses qui fâchent ^^ Et pourtant j'adore Eddie Murphy mais ses choix de carrière douteux en auront usé plus d'un...
Supprimer