Le richissime
financier Horace Vendig annonce publiquement qu'il se retire des affaires. Ses
proches cependant ne voient dans cette décision qu'une nouvelle ruse pour
tromper le fisc. À l'aide d'une série de flash-back, l'ascension fulgurante
d'un homme et les germes de son propre anéantissement nous sont exposés.
Edgar G. Ulmer reste aujourd’hui dans la mémoire cinéphile
comme ce réalisateur génial dont le brio élevait à des hauteurs insoupçonnées des
productions fauchées telles que le célèbre Détour
(1945). Par une série d’heureux hasards, la période 1946-1949 va pourtant
constituer une parenthèse enchantée où Ulmer va délaisser les tournages à l’économie
pour signer des œuvres plus nanties et ainsi montrer ses capacités lorsqu’on
lui donne les moyens. Cette série de film comprend Le Démon de la chair (1946), Carnegie
Hall (1947), Les Pirates de Capri
(1949) et donc ce Impitoyable.
Le film s’avère formidablement précurseur tout en étant une œuvre
bien de son temps. Le sujet et la narration en flashback évoque immédiatement Citizen Kane (1941) d’Orson Welles par
approche morcelée de l’ascension d’un loup de la finance. Ulmer se déleste
cependant de la dimension baroque et opératique de Welles, ramenant son film
sur terre par sa thématique novatrice. Il s’agit ici de montrer l’envers sombre
du rêve américain, la réussite d’Horace Vendig (Zachary Scott) en épousant tous
les contours mais de manière monstrueuse. L’ouverture nous montrant l’homme d’affaire
sous son jour le plus imposant trouve au départ son contrepoint émouvant en
flashback où l’on découvre son enfance. Rudoyé par une mère aigrie pour
laquelle il est un fardeau et délaissé par un père sans le sou, Vendig va
trouver le salut dans sa seule action désintéressée du récit, lorsqu’il sauvera
sa camarade Martha (Diana Lynn) de la noyade. Attendri par la situation du
sauveur, les parents de Martha vont l’accueillir au sein de leur foyer. Cette
ouverture touchante sera teintée d’ambiguïté au vu de la suite des évènements
et il faudra sans doute surtout en retenir la courte entrevue de Vendig avec
son père (Raymond Burr) où ce dernier lui recommande de d’employer tous les
moyens possibles pour s’en sortir. La scène qui suivra, toute émouvante qu’elle
soit semble donc être une application du conseil lorsqu’il ira larmoyant devant
la maison des Burnside qui vont le recueillir.
Toute la première partie du film tend vers cette ambiguïté
des intentions de Vendig avant que le pouvoir et l’ambition aidant, ses
manigances apparaissent au grand jour. Chaque mouvement de l’ascension de
Vendig passera par la séduction et la trahison d’une femme. Là encore Ulmer
passe de l’ambiguïté à l’infamie ouverte et assumé au fil de la réussite du
héros, porté par un montage remarquable qui aiguille à chaque fois en amont sur
ses véritables intentions. Ainsi la scène d’anniversaire de Martha où Vendig complexe
face à ses amis étudiants dans de prestigieuses facs est suivie d’une
déclaration d’amour où il obtiendra de son beau-père une inscription à Harvard.
Plus tard bien qu’humilié par Buck Mansfield (Sydney Greenstreet) rival en
affaire, Vendig n’aura pas laissé échapper l’information comme quoi son épouse
(Lucille Bremer) possède 48% des parts de ses affaires. Dès lors la séquence
qui suit les montre tous les deux dînant en tête à tête, amorçant une cruelle revanche.
La construction du récit rend plus cinglants encore les méfaits de notre héros,
dévoilant ses victimes passées au
présent avant de révéler leur sort en flashback. On découvre ainsi la tension
entre Sydney Greenstreet et Lucille Bremer lors de la soirée rédemptrice de
Vendig, avant d’en comprendre plus tard la raison en comprenant qu’ils ont été
mari et femme. Ulmer en joue également dans sa mise en scène, laissant
longtemps hors-champs Lucille Bremer lors de la scène du dîner, son apparition
amenant le nous coup bas de Vendig de façon percutante.
L’ensemble du film semble d’ailleurs construit de cette
façon. D’abord la phase de séduction, d’enjôlement d’une femme/d’un partenaire
dont on obtient ce que l’on veut et dès lors le dialogue, la rencontre ou la
situation qui suit semble rebondir vers un autre objectif sous forme de
nouvelle victime à manipuler. Chaque protagoniste croisé par le héros n’est qu’un
pion, une marche pour l’étape suivante de son insatiable ambition. Cette
fluidité semble atténuée par les scènes au présent semblant montrer un Vendig
repenti, ou encore les rencontres avec son meilleur Vic (Louis Hayward),
caution morale qui l’humanise un peu. Il n’en sera pourtant rien, Vendig
retrouvant ses instincts carnassiers pour tenter de séduire comme jadis la
compagne de son ami jouée par la même Diana Wynn pour renforcer la répétitivité
de cette avidité.
Le film fut parmi les premiers à dépeindre autant dans le
détail les tractations du monde de la finance, Ulmer équilibrant en alimentant
les informations techniques aux trahisons bien humaines de Vendig. L’ensemble
anticipe donc grandement les biens plus tardifs Wall Street (1987) d’Oliver Stone (Vendig lâche presque une tirade
équivalente au célèbre « Greed is good » de Gordon Gecko) ou Le Loup de Wall Street (2013) de Martin
Scorsese. Cependant Ulmer troque la bonhomie de ses héritiers à une froideur
oppressante où la forme chatoyante (décors, costumes, photo somptueuse de Bert Glennon) constitue un voile et un écrin
illusoire à une véritable jungle où il s’agit de dévorer le plus faible. Même
le semblant de morale finale est teinté de doute (Mallory souhaitait-elle donner
une leçon à Vendig ou peut être partir avec lui ?), sauf pour la nature
irrécupérable de Vendig résumé par ce dialogue cinglant : Not a man, a way of life…
Sorti en dvd zone 2 français cz Sidonis
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