Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 15 avril 2025

Temptation of a Monk - You Seng, Clara Law (1993)


 Au VIIe siècle, au début de la dynastie Tang, le général Shi Yan-sheng (Wu Hsing-kuo) est trahi par le général Huo Da (Zhang Fengyi) qui assassine brutalement le prince héritier afin de s'emparer du trône. Shi est contraint de s'exiler mais est déterminé à se venger de Huo Da. Les choses ne tournent cependant pas en sa faveur, et tous ses proches, y compris sa mère (Lisa Lu) et sa fiancée la princesse Hong-e (Joan Chen) sont également tués par Huo Da. Dévasté, Shi erre sans but jusqu'à se retrouver dans un monastère bouddhiste où il devient moine et adopte le nom de Jing-yi.

Temptation of a Monk voit Clara Law adapter pour la seconde fois un roman de Lilian Lee après The Reincarnation of Golden Lotus (1989). Le film s'avère néanmoins moins romanesque et luxuriant que son prédécesseur, présentant sous un jour plus épuré et austère les grands thèmes de Lilian Lee sur la destinée, la fatalité. Bien que dénué des éléments fantastiques que l'on trouve souvent chez la romancière, Temptation of a Monk est néanmoins empreint d'un certain mysticisme qui sied bien également au style de Clara Law. Le cadre historique semble être un prétexte, ou du moins un simple arrière-plan, pour placer les personnages face à leurs dilemmes. Encouragé à se montrer neutre durant la guerre de succession entre les princes héritiers du trône de la dynastie Tang, le général Shi (Wu Hsing-kuo) est trahi lorsque la prise de pouvoir pacifiste vire au véritable massacre. Il se trouve alors accusé de traitrise par les siens et traqué par le clan au pouvoir. La première partie enchaîne les drames sans discontinuer, voyant Shi tout perdre et notamment l'honneur de sa famille quand sa propre mère va se suicider de honte en constatant son rôle dans les bouleversements sanglants du pouvoir.

Tout le reste du récit consistera ainsi dans l'hésitation de Shi à poursuivre sa vengeance sur Huo Da (Zhang Fengyi), le général ennemi qui l'a trompé, ou renoncer aux tumultes de la civilisation pour mener une existence de moine bouddhiste. Au départ cette vocation est une simple retraite en vue de préparer sa revanche à l'abris des regards, avec ses compagnons restants. Dès lors il y a un ton presque comique dans la désinvolture adoptée par ces soldats aguerris face aux différents règlements du monastère. N'ayant appris à s'imposer que par la force, Shi se montre d'autant plus méprisant face aux injonctions monacales, d'autant que celui supposé être son supérieur dans l'apprentissage est un enfant de dix ans. 

La dimension mystique et inquiétante s'incarne par l'esthétique baroque adoptée par Clara Law pour illustrée la tentation du monde s'imposant à Shi. Une excursion des apprentis moines dans un bordel adopte ainsi une quasi-imagerie de fantasy, travaillant le contraste entre leurs tenues sobres et celles bariolées et provocantes des prostituées. La rupture entre le jansénisme formel et moral du monastère et le faste de la maison close est également frappant mais, comme pour montrer l'embryon de rédemption en cours de Shi, cette bascule n'est pas filmée comme une libération mais plutôt une régression. Le terrible rebondissement à suivre voit d'ailleurs le héros perdre définitivement ses derniers liens à son ancienne existence dans un combat sanglant.

Dès lors Shi accepte son destin de moine et va intégrer un monastère tenu par des prêtres centenaires. Malgré sa bonne volonté, la quête du personnage est encore imprégnée de sa vie précédente. Shi semble vouloir absoudre ses fautes passées en adoptant de façon radicale toutes les règles bouddhistes qu'il avait initialement rejetées, mais davantage dans une logique de discipline militaire (et d'auto-flagellation) que de croyance. Les vieux prêtres d'une personnalité très facétieuse font peu à peu le dérider et rendre plus instinctive, naturelle et sincère son immersion dans le rythme du monastère. Clara Law parvient à une équilibre formel brillant entre naturalisme et mysticisme, alternant scènes d'un quotidien terre à terre avec une imagerie grandiose des monts enneigés du nord-est de la Chine. Cela fonctionne aussi lorsque la "tentation" va prendre les atours charmant d'une veuve de général venue incinérer son époux au monastère selon ses vœux. 

Cette femme est jouée par Joan Chen qui incarnait l'amante de Shi durant la première partie, un choix narratif fait pour exprimer le point de vue du héros n'ayant pas renoncé à ses désirs charnels - et pour une autre raison sujet à un rebondissement marquant. Là encore la proximité avec cette femme ainsi que le désir réciproque et étouffé entre elle et Shi donne lieu à des moments visuellement somptueux, la photo bleutée d'Andrew Lesnie (futur directeur photo de la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson) installe une atmosphère tour à tour sensuelle puis onirique, et même les deux à la fois durant une scène de sexe à l'intensité incroyable - équilibrant la solennité du monastère et l'emphase du décor naturel. 

Ce n'est que lorsque ce passé le rattrape concrètement et le menace directement que Shi, après toutes ces épreuves, se montre assez apaisé pour lui faire face et renoncer à toute vanité - face à son vieil ennemi qui à l'inverse est resté hanté par lui. Clara Law nous a si bien mené en bateau qu'il faut attendre la toute fin pour comprendre que l'on a vu une variation décharnée et arty de films plus explicitement divertissant comme La 36e Chambre de Shaolin (1978). La réalisatrice choisit l'épure dans la narration, l'imagerie et le décor avec ces montagnes désertiques, pour traduire sans artifices la sagesse nouvelle de Shi dont l'esprit apaisé n'a plus besoin (au propre comme au figuré) d'un lieu où se dissimuler. Cela donne un ensemble très original mais aussi très cohérent avec le versant justement plus austère et torturé (le traumatisant Farewell China (1990)) ou au contraire lumineux (le magnifique Autumn Moon (1992)) de son œuvre.

 Sorti en dvd hongkongais

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