Lors d'un voyage au
Mexique, alors qu'elle assiste à une bagarre au couteau dans la rue entre deux
hommes qui se disputent une femme, Celia Barett, jeune héritière, croise le
regard de Mark Lamphere. Sous le charme de cet homme elle décide de l'épouser. Lors
de la cérémonie elle se rend compte qu'elle ne sait rien de lui si ce n'est
qu'il est architecte et directeur d'une revue en difficulté financière. Elle
découvre que son mari a également une étrange passion : il collectionne des
chambres dans lesquelles des meurtres ont eu lieu. Cependant, l'une de ces
pièces est toujours fermée à clé, et le mari refuse d'en parler: y va-t-il un
secret derrière la porte?
Fritz Lang se sera plu dans nombre de ses films à scruter les
instincts meurtriers enfouis en l’homme, notamment avec M le Maudit (1931). Dans ce dernier la monstruosité prenait un
visage humain (Peter Lorre) provoquant une pitié dérangeante dans la traque
subie par le meurtrier et donnant un tour plus universel à ce mal. Lang
rattache la naissance du mal à deux mythes bibliques fondateur : Eve
incitant Adam à gouter au fruit défendu et provoquant l’expulsion du Jardin d’Eden
mais aussi le premier meurtre de l’humanité avec Caïn tuant son frère Abel. C’est
précisément deux éléments qui seront explorés sous toutes leurs formes dans le
film noir à travers la femme fatale et aussi le meurtre vecteur de toutes les
pulsions malsaines que recèle tout être humain. Chez Lang cela se manifestera
dans de nombreux films notamment ceux de sa carrière américaine dont La Rue rouge (1945), remake de La Chienne (1931) où l’on retrouve à la
fois la femme fatale source de tourment et les pulsions meurtrières qui en
découlent.
Avec Le Secret
derrière la porte, Lang approche cette thématique dans une veine plus
psychanalytique. Au premier abord, le postulat ne semble être qu’une énième
variation façon Jane Eyre/Rebecca : une jeune femme tombe
amoureuse et épouse un homme qu’elle connaît à peine mais va découvrir sa face
obscure à travers le souvenir d’une épouse disparue/assassinée ( ?) et sa
demeure encore chargée de sa présence. Ici ce sera Celia Barett (Joan Bennett),
jeune et riche new yorkaise indépendante qui va tomber sous le charme du
mystérieux architecte Mark Lamphere. Un amour placé sous le signe du macabre
puisque le premier regard et coup de foudre se fait en assistant à une violente
bagarre de rue au couteau.
La différence avec le mélodrame gothique au féminin (Rebecca donc mais aussi Hantise (1944) de George Cukor ou Le Château du Dragon de Mankiewicz) en vogue alors se fait par le
rapport de force très différent du couple. Celia n’est pas une innocente
découvrant le monde, tout en étant éperdument amoureuse elle ne se laissera
jamais intimider par les sautes d’humeur inattendue de Mark, ni par l’étrange
cours naviguant autour de lui comme son fils (Mark Dennis très inquiétant) ou
sa secrétaire défigurée (Barbara O’Neil). A l’inverse Mark parait certes
inquiétant et imprévisible dans son caractère ombrageux et changeant mais
surtout terriblement vulnérable à travers l’interprétation fébrile de Michael
Redgrave.
Dans cette idée l’utilisation des décors, la photo tout en
jeux d’ombres extraordinaire de Stanley Cortez ne semblent jamais verser dans
le surnaturel et suggérer la présence maléfique de l’épouse défunte mais
surtout un prolongement de l’équilibre mental ténu des personnages et surtout
Mark. Dès la séquence du mariage, l’ombre sur le visage Mark interroge les
secrets tapis au cœur de cette âme tourmentée. Lorsque Celia explorera la
maison, ce sera comme un voyage aux tréfonds de la psyché torturée de son
époux.
La nature du mal repose dans l’idée sur un traumatisme enfouit au plus
profond et Lang le manifeste physiquement en faisant de chaque étape vers le
mal originel un espace clos et isolé. Ce sera d’abord la fabuleuse idée de cette
collection de chambres théâtres de meurtres terribles par Mark, une lubie
macabre qui révèle son déséquilibre lors de la visite guidée et riches en
détails qu’il offrira à ses convives. Une chambre reste pourtant à l’abri des
regards et fermées à double tour, celle où repose le secret qui empêche son
bonheur. Celia devra en forcer l’entrée physique et symbolique pour percer l’origine
du malaise de son époux.
Cette facette psychanalytique n’est jamais lourde car
fonctionnant avant tout par l’image, l’élément puissant de cette porte close et
la prestation de Michael Redgrave suffisant amplement à exprimer brillamment la
thématique. On évite ainsi pas mal d'écueils comme l'analogie au conte, la référence attendue à Barbe Bleue étant habilement détournée ici. A l’image de cette pièce verrouillée dans les entrailles de cette
maison, le mal n’est pas extérieur mais est bien né de l’intérieur et des
souvenirs rattaché à ces lieux. Cela n’empêche pas Lang de s’abandonner à une
esthétique gothique absolument flamboyante qui culmine lors de la traversée
nocturne de la maison par Celia, avec ces corridors interminables plongés dans
l’obscurité, ces présences indicibles qu’on devine nous attendant en haut des
escaliers ou ces bois baignés de brume. Le score torturé et tortueux de Miklós Rózsa y contribue grandement aussi.
Joan Bennett, égérie de Lang et
incarnation de la femme forte pour le meilleur et pour le pire dans les quatre
films qu’ils tourneront ensemble (Chasse
à l’homme (1941), La Femme au portrait
(1944), La Rue Rouge (1945) auront
précédés) impose ici une présence à la fois fragile et déterminée, féminine et
imposante. Plus que la psychanalyse, c'est finalement son parcours initiatique d'héritière oisive et encadrée vers la femme mettant en ordre son foyer qui passionne. Malgré un final un peu expédié, c’est captivant de bout en bout et
multiplie les audaces narratives dans ce qui est un des Fritz Lang les plus
brillants.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Carlotta
Extrait
Évidemment, présenter comme cela, on ne peut qu'avoir envie de voir ce film dans les plus brefs délais ! Quelle photographie superbe en plus. Et ces jeux d'ombres et de lumières... ohlala, que c'est beau !
RépondreSupprimerOui le bluray est vraiment somptueux et rend justice à la superbe photo de Stanley Cortez. En plus le film évite habilement le piège de la "psychanalyse pour les nuls" en faisant passer tout cela par l'image pour l'essentiel justement vraiement à voir :-)
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