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mercredi 18 août 2021

L'Ami de mon amie - Éric Rohmer (1987)

 Blanche vient de s'installer à Cergy-Pontoise. Lors d'une pause déjeuner, elle fait la connaissance de Léa, enjouée et d'emblée sympathique. Bien que peu sportive, Léa accompagne Blanche à la piscine. Elles y croisent Alexandre, une connaissance de Léa. Blanche tombe sous le charme de ce jeune ingénieur. Lorsque Léa part en vacances, Blanche retrouve par hasard Alexandre et Fabien, le petit ami de Léa, dans les rues de Cergy.

Avec ce sixième et dernier film de son cycle Comédie et Proverbes, Éric Rohmer signe un de ses plus délicieux récit de marivaudage. Comme dans les autres films du cycle, Rohmer endosse un point de vue féminin à travers des héroïnes fragiles et hésitantes dans leurs sentiments et aspirations. Il entrecroise ici une forme de tradition du marivaudage à la modernité avec une vision de la jeunesse française des années 80. Dans Les Nuits de la pleine lune (1984), Rohmer faisait hésiter son héroïne entre la frivolité des nuits parisiennes et le conformisme d’une vie de couple rangée rattachée au cadre d’une « ville nouvelle » de banlieue. La modernité se rattachait au mode de vie (musical, vestimentaire, festif…) d’un lieu mais également à l’esthétique d’un autre. De même la tradition pouvait tout autant évoquer une vision ancestrale hédoniste de Paris que la normalité d’une vie domestique dans la ville nouvelle. On retrouve tout ces questionnements intimes et sociaux dans L’Ami de mon amie

Blanche (Emmanuelle Chaulet) est une jeune femme aux idéaux romanesques associés à une certaine superficialité quand son amie Léa (Sophie Renoir) en apparence plus frivole a des attentes plus terre à terre. Blanche, timide, solitaire et longuement célibataire est engoncée dans un terne emploi de mairie qui (comme on lui soulignera à la fin du film) ne correspond pas à son tempérament romantique et rêveur. Dès lors elle se raccroche désespérément à une image, une belle allure de façade représentée par l’aussi creux que séduisant Alexandre (François-Éric Gendron). Léa sous sa nature plus libre semble plus attachée à une forme traditionnelle de séduction, préférant être courtisée (ce qui empêche le rapprochement avec le séducteur Alexandre naturellement poursuivi par les femmes) et placée sous « l’autorité » d’un homme, d’un point de vue social ou matériel. Les conflits avec son petit ami Fabien (Éric Viellard) viennent ainsi de la nature attentive et sensible de celui-ci, ne souhaitant jamais imposer ses vues (ce moment où Léa s’offusque qu’il ne se soit pas énervé face à un de ses caprices) et toujours à l’écoute.

Un schisme social se joue donc dans le marivaudage amoureux du film. Si Blanche se tourmente de l’indifférence d’Alexandre, c’est par une attirance presque enfantine du « beau », du prince charmant qu’il représente par son aisance verbale et son port élégant. Léa tout en jouant l’entremetteuse sait voir en Alexandre ce qu’il est, un bon parti qu’elle laissera venir en temps voulu dans une stratégie qui s’ignore. Léa et Alexandre représentent une forme d’idéal d’union bourgeoise classique et passéiste, quand Blanche et Fabien par leurs doutes, atermoiements et petits hasards qui les réuniront symbolisent la romance contemporaine, plus naturelle des années 80. Fasciné par l’émergence ces « villes nouvelles, Rohmer fait donc de Cergy-Pontoise (à laquelle il a consacrée le documentaire Enfance d'une ville diffusé à la télévision en 1975) et sa topographie un véritable miroir des enjeux sociaux et romanesques du film.

La modernité de la ville, ses grands espaces immaculés et froids, font pourtant ressentir un côté étriqué du rapport humain avec la répétition du passage dans ces galeries marchandes, cette grande place et ses petits cafés où l’on sait que forcément, à un moment où un autre, on croisera de manière calculée (ce que sous-entend toutes les rencontres « impromptues » entre Léa, Blanche et Alexandre) celui que l’on recherche. Ces mêmes lieux endossent cependant un côté plus spontané, naturel et romantique chez les êtres qui doutent. Le fabuleux décor de la cité du Belvédère (dont l'architecture urbaine d'inspiration antique renforce l'entre-deux temporel et émotionnel du film) et la magnifique vue qu’offre la fenêtre de l’appartement de Blanche exprime toute l'attente et la quête d’absolu de celle-ci. Le hasard heureux reprend ses droits lorsqu’elle y recroise à plusieurs reprises lors du même après-midi Fabien et qu’ils poursuivront la journée ensemble. Les étangs de Neuville où ils font de la planche à voile, la Promenade des Deux-Bois ou le Bois de Cergy qu’ils parcourent nonchalamment change la couleur du film qui passe du bleu des environnement modernes au vert des espaces naturels où la notion de temps et de classe disparait. C’est souligné par un dialogue entre Blanche et Fabien où ils rapprochement ce doux moment passé en ces lieux à la tradition des travailleurs qui venaient là se détendre le dimanche avec famille ou fiancés. Éric Rohmer introduit une imagerie impressionniste contemporaine dans les tranches de vie qu’il capture, mais retrouve aussi le temps d’une scène le vertige irrationnel, introspectif et romantique de Le Rayon vert (1986) – Blanche est clairement une cousine de la Marie Rivière de ce film. Soudain consciente de l’oubli et du bonheur que lui donne ces instants, Blanche fond soudainement en larme, réconfortée par Fabien. Le vent souffle et ploie la végétation alentours, le silence s’instaure, les confidences se font (le rêve de Fabien) et les corps se rapprochent enfin. 

Pour que les couples naturellement assortis se fassent et que d’autres se défassent, il faudra que les personnages acceptent ce qu’ils sont pour certains, et renoncent aux chimères pour d’autres.  Rohmer construit cela de manière presque froide et ironique entre Léa et Alexandre, où sous le cadre contemporain toute la dimension traditionnelle évoquée plus haut (Alexandre courtisant Léa qui n’attendait que cela, et la « prend en charge » dans son appartement et l’invite en vacances, l'échange faussement badin est presque une négociation) noue le rapprochement du couple. Au contraire c’est dans est espace naturel, au bord de l’eau, que les vérités sont dites entre Blanche et Fabien qui peuvent enfin s’aimer sans entraves. Cette approche sans doute un peu trop schématique s’estompe heureusement par une merveille de dernière scène de quiproquo où les masques tombent, où tout s’avoue entre rires, larmes et petites rancœurs. Un délice de tous les instants. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine

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