François et Anne s'aiment, mais ne peuvent jamais se voir : lui travaille la nuit, elle, le jour. François fait une scène à la jeune femme, parce qu'il l'a vue sortir de chez elle en compagnie d'un aviateur. Plus tard, il retrouve cet aviateur avec une femme inconnue à la terrasse du café. Il suit le couple...
La Femme de l’aviateur inaugure le cycle Comédies et Proverbes d’Éric Rohmer, et par la même la tradition de reprise, détournement ou totale invention d’un proverbe qui guidera la thématique du film. Il s’agira ici de On ne saurait penser à rien », antithèse l'œuvre d'Alfred de Musset On ne saurait penser à tout. Le film installe les préceptes de ce cycle Comédies et Proverbes sans toutefois s’y plier complètement. On y trouve certes une jeune femme en plein questionnement à un moment clé de son existence, mais sans qu’elle soit totalement au centre du récit. C’est plutôt le point de vue François (Philippe Marlaud), fiancé malmené, que l’on va adopter quant à ses amours compliquées avec l’inconséquente Anne (Marie Rivière). Tous deux semblent en décalage dans un quotidien amoureux qui ne peut s’installer (il travaille la nuit et elle le jour), dans leur différence d’âge (il a 20 et poursuit ses études, elle en a 25 et est installée dans la vie active) mais surtout dans leurs sentiments réciproques. François est constamment préoccupé d’Anne et prévenant au point d’en devenir étouffant, quand elle n’a jamais complètement oublié son ex Christian (Mathieu Carrière), aviateur et homme marié qu’elle n’a pas revue depuis trois mois.
Lorsque par un concours de circonstances Christian ressurgit un matin chez Anne et que François les surprend, toute la fragilité du couple s’expose, ainsi que le sentiment d’insécurité de chacun. Marie Rivière développe là les esquisses de son héroïne dépressive de Le Rayon vert même si l’émotion fonctionne un peu moins. Si dans Le Rayon vert les caprices du personnage s’entendaient au vu de la nature insaisissable de son mal-être, l’empathie fonctionne un peu moins ici au vu du traitement reçu par le malheureux François. Philippe Marlaud, par ses traits doux et son allure juvénile dégage une belle vulnérabilité qui amuse et désole le spectateur à chacune de ses déconvenues. Le film ne trouve pas encore tout à fait l’équilibre parfait entre trivialité, gravité et romantisme qui fera le sel des opus suivants du cycle. Ainsi les disputes entre François et Anne prennent un tour assez répétitif sans que la réconciliation soit un enjeu suffisamment prenant et émouvant jusqu’au bout, malgré l’excellente prestation des acteurs.En fait il y a un autre film qui se dessine au cœur de La Femme de l’aviateur et que l’on aurait aimé voir durer plus longtemps. Repérant son rival au côté d’une femme qu’il soupçonne d’être son épouse, François les prend en filature jusqu’aux Buttes-Chaumont où il va être aidé dans son espionnage par une lycéenne espiègle, Lucie (Anne-Laure Meury). La présence lumineuse et amusée d’Anne-Laure Meury donne soudain un tour plus enlevé et réjouissant au film. Le génie de Rohmer pour capturer la topographie d’un lieu étincelle ici. La disposition en hauteur du parc amène un amusant jeu d’échelle où les enjeux et intérêts se déplacent entre les épiant et les épiés. Les dialogues piquants entre François et Lucie amènent une dynamique screwball comedy se fondant parfaitement à ce contexte français, et servent de vrais révélateurs quant à leurs personnalités. La gaucherie et le chagrin se lisant comme un livre ouvert de François l’expose tout en servant de prise de conscience, quand Lucie sous les rires intrigue par sa nature finalement plus secrète. C’est pétillant, enlevé et alerte en façonnant des petits rebondissements très amusants (les touristes se prenant en photo). Ce quasi-aparté dans la trame principale s’estompe malheureusement pour revenir aux amours décousus et geignards nettement moins intéressants. La longue discussion dans la chambre de bonne est assez poussive même si elle est la matrice de séquences similaires bien plus réussies dans la suite du cycle (et ce dès Le Beau Mariage (1982) pour une scène voisine). Reste la vraie belle mélancolie de la dernière scène en forme de promesse de ce que le film aurait pu être, de ce qu’il a laissé entrevoir.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine
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