Pages

dimanche 5 mars 2023

Le Vaisseau fantôme - The Sea Wolf, Michael Curtiz (1941)

Le film se déroule en 1900, au large de San Francisco. Les circonstances réunissent sur un voilier chasseur de phoques, le Ghost, un pickpocket poursuivi par la police, une délinquante, évadée d'un bagne de femmes, et un écrivain. Le navire est dirigé par le terrible capitaine « Wolf » Larsen qui exerce une autorité implacable sur un équipage de repris de justice, mais est la proie de ses propres démons. Les morts violentes se succèdent et la situation à bord devient critique : qui réussira à quitter vivant le navire ?

Le Vaisseau fantôme est une magnifique adaptation du roman Le Loup des mers de Jack London publié en 1904. Jusque-là le récit maritime avait pour Michael Curtiz rimé avec les films d'aventures d'Errol Flynn (Capitaine Blood (1935), L'Aigle des mers (1940)) qui sous le panache n'étaient pas dénués de certains vrais moments de noirceurs. Le récit de Jack London va lui permettre d'aller plus loin dans cette direction, notamment à travers les choix d'adaptations de Robert Rossen qui en signe le scénario. Jack London à travers la figure du terrifiant Wolf Larsen (Edward G. Robinson) cherchait à fustiger la théorie du surhomme de Nietzsche ainsi que l'application frontale de la sélection naturelle de Darwin, par la domination physique et psychologique qu'impose Larsen à son équipage - et représenté par les lectures de sa bibliothèque dans le film. Avec le contexte politique d'alors, Robert Rossen semble davantage avoir orienté cet aspect vers une réflexion sur le totalitarisme l'hitlérisme. 

Le film n'est plus seulement un duel psychologique et intellectuel entre Larsen et l'écrivain Van Weyden (Alexander Knox) comme dans le livre, mais met tout autant en avant George Leach (John Garfield) et Ruth Webster (Ida Lupino) qui y tenait un rôle plus secondaire. Van Weyden fait office d'observateur quand Leach et Ruth s'inscrivent d'abord naturellement parmi les damnés de la terre qui forment l'équipage avant par leur rapprochement de représenter des symboles de rédemption, de renouveau. Cela est appuyé par leur passé chaotique fait d'avilissement, de solitude, de séjours en prison qui fait de cette honte et ressentiment envers le monde des proies faciles pour Larsen qui se nourrit des faiblesses de son équipage pour les dominer - avec quelques saisissants moments de cruautés, le destin tragique du docteur déchu, Ida lupino démasquée. Puis la symbolique de la transfusion sanguine de Leach pour sauver Ruth va façonner un autre lien, celui de l'espoir et de l'amour pour les deux protagonistes.

Ce côté romanesque ajoute à l'attrait du film et le rend moins sombre et désespéré que le livre, d'autant que Michael Curtiz l'enrichit d'une vraie dimension formelle et spectaculaire. Les effets de brumes (somptueuse photo de Sol Polito) durant les séquences maritimes débouchent sur d'impressionnantes collisions de navires, tout en faisant sens métaphoriquement. La brume où se tapissent les navires correspond aussi à la nature de parias voulant se dissimuler de la société, mais c'est aussi cette même brume qui obscurcit la vue de Larsen lors de ses crises de migraine, manière de se voiler la face devant ce qu'il est réellement. 

Son sentiment de toute-puissance masque une peur du monde et des autres, qui n'est rassurée qu'en divisant et piétinant les plus faibles. L'analogie avec l'hitlérisme fonction, tout comme celle avec le capitalisme si l'on connaît l'engagement de gauche de Robert Rossen (et de John Garfield souvent dans cet emploi de prolo rebelle). Michael Curtiz mène tout cela avec l'efficacité qu'on lui connaît, bien aidé par une prestation assez fabuleuse d'Edward G. Robinson, sorte d'ogre aux pieds d'argiles à la fois très intimidant et finalement assez pathétique. L'aspect huis-clos psychologique est assez frappant sorti de quelques morceaux de bravoure et ennemis invisibles, le navire Ghost est donc avant tout un espace mental, un enfer flottant qui nous noie où duquel on est capable de s'extraire. Une nouvelle belle réussite de Curtiz.

Sorti en bluray Warner zone free et doté de sous-titres anglais

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire