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dimanche 14 mai 2023

Crusher Joe - Kurasshâ Jô, Yoshikazu Yasuhiko (1983)


 Années 2100. Les humains ont colonisé une bonne partie de leur galaxie. Dans cet immense espace, la guilde des Crushers, réunie en Conseil, se charge, moyennant paiement, des travaux les plus difficiles et dangereux. Et parmi toutes les équipes de Crushers, il en est une d’élite: celle de Crusher Joe. Ayant accepté une mission de transport d’apparence anodine, l’équipe de Joe se réveille à la sortie d’un saut hyperspatial sans passagers, sans documents, sans paiement et… avec les Forces Spatiales aux trousses et leur licence de Crushers révoquée. Mais Joe, Alfin et Talos sont bien décidés à mettre la main sur ceux qui ont cherché à les doubler…

Crusher Joe est un film culte de l’animation japonaise des années 80, et plus particulièrement un fleuron de l’âge d’or du space opera que vit le Japon dans le sillage du succès de Star Wars. Ce déferlement de SF spatiale va couvrir tous les pans de l’industrie du divertissement, notamment le cinéma et la télévision avec la production des films Space Cruiser Yamato (1979 et 1980), l’avènement de l’univers Gundam grâce au remontage de la série tv sous forme de trois films de cinéma (1981, 1982) la série tv et le film Cobra (1982) et également la saga Macross avec la série tv (1982) et le film Macross, Do your remember love (1984). 

Crusher Joe est emblématique de cette période, notamment par la nature de ses participants. A l’origine, il s’agit d’une série de 13 romans écrit par Haruka Takachiho entre 1977 et 2016. Il s’agit au départ d’une activité parmi d’autres pour cet auteur surdoué, puisqu’il est également un des fondateurs du studio Nue, qui produira justement la série à succès Macross. Le succès de Crusher Joe en fera un écrivain SF à succès et reconnu, d’autant que sa renommée grandira encore avec Dirty Pair, son autre série la plus fameuse qui connaîtra aussi les joies de plusieurs adaptations animées.

En 1983 un film d’animation est financé par le studio Sunrise et le staff constitue une sorte de rêve éveillé. Haruka Takashiko s’attèle au scénario, le film est réalisé par Yoshikazu Yasuhiko co-créateur de la licence Gundam et de ses multiples déclinaisons, les designs des multiples engins SF est conçu par Shoji Kawamori, créateur de la saga Macross. Comme si cela ne suffisait pas, la crème des dessinateurs manga de l’époque est sollicitée pour les designs avec rien moins que Akira Toriyama (Dragon Ball), Katsuhiro Otomo (Akira), Rumiko Takahashi (Lamu, Ranma ½, Maison Ikkoku), Keiko Takemiya (Destination Terra)… Avec pareil dream team, le résultat s’avère forcément mémorable. Crusher Joe nous dépeint un futur lointain où les humains ont colonisé l’espace, et fondé une société au sein de laquelle officient les Crushers, sorte d’aventuriers aux compétences multiples (combat, pilotage, infiltration) auxquels on confie les plus périlleuses mission à travers la galaxie. Nous allons suivre parmi eux l’équipe de Crusher Joe, mené par le héros éponyme entouré de jeunes loups comme la belle Alfin et l’adolescent Ricky, mais aussi le vétéran Talos qui accompagna jadis Crusher Dan, père de Joe et légendaire fondateur de l’ordre des Crusher.

Le scénario privilégie un récit alerte et démarrant pied au plancher, le riche background des personnages évoqué plus haut ne se dévoilant progressivement qu’au fil de ce scénario alerte. Notre équipe est engagé par un mystérieux commanditaire pour transporter une jeune héritière plongée dans le coma, mais va vite être doublée et se faire dérober sa marchandise. Comprenant qu’ils ont été doublés, les Crusher à bord de leur vaisseau Minerva se lancent sur les traces de leur ennemi sur la planète Lagos, terre d’accueil de tous les criminels en fuite de la galaxie. On reconnaît vraiment le style de récit de Haruka Takashiko qui sera largement décalqué dans les adaptations de Dirty Pair/Dan et Danny (la série de 1985, le film Project Eden (1987) et les OAV Affair of Nolandia (1985) et Flight 005 Conspiracy (1990)) avec cet alliage de mystère, d’humour, d’action démesurée et ininterrompue.  Cela est servi ici dans un époustouflant écrin porté par l’immensité, la variété et le détail des décors, des morceaux de bravoures frisant l’overdose avec leur lot de combats aériens, batailles spatiales et affrontement armés destructeurs. 

L’animation est sidérante de fluidité tandis que la mise en scène de Yoshikazu Yasuhiko allie avec brio gigantisme, sentiment de vertige spatial et malgré tout une certaine dimension intimiste qui parvient à faire exister les personnages. On ressent vraiment une mélancolie en creux et le passif de chacun même si l’histoire ne s’arrête pas tant que cela dessus, le film parvient à créer l’envie d’en savoir plus sur eux et davantage explorer cet univers une fois le générique de fin arrivé. Il y a quelques archétypes inhérents à l’époque (Alfin un peu trop demoiselle en détresse énamourée de Joe pour une Crusher) et le récit tout à sa volonté d’en mettre plein la vue manque un peu de respiration, ce qui atténue le virage plus sombre de la dernière partie.

Néanmoins sous le spectaculaire le scénario s’avère plutôt ambitieux, le postulat initial nous emmenant vers des terres de corruption et de banditisme spatial sur fond d’espionnage par des coups de théâtres bien senti. L’arme destructrice que nos héros vont devoir stopper permet à Yasuhiko de faire montre d’une belle inventivité pour en illustrer les dramatiques conséquences en usant d’une imagerie convoquant 2001 l’odyssée de l’espace ou encore les passages en hyperespace du Falcon Millenium dans Star Wars. Loin d’un plagiat, il parvient un créer un effet inquiétant et hypnotique dans une course contre la montre finale à la James Bond.

Crusher Joe est une grande réussite qui sera saluée à l’époque par le Grand Prix Animage en 1983. Crusher Joe bénéficiera d’une seconde adaptation moins nantie sous forme d’OAV en 1989, avant de (contrairement à Dirty Pair qui bénéfice d'ailleurs d'un clin d'oeil annociateur de leurs aventures animées dans le film) tomber dans l’oubli malgré une tentative pourtant bien avancée (Katsuhiro Otomo ayant commencé à travailler sur les storyboards) mais avortée de produire un second film. Cependant rien que par le succès du digne héritier que sera la série Cowboy bebop, l'héritage de Crusher Joe reste vivace.

Sorti en bluray français chez Dybex

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