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vendredi 24 novembre 2023

Déviation mortelle - Road Games, Richard Franklin (1981)


 En Australie, Pat Quid est un conducteur de semi-remorque. Lors de ses trajets il prend souvent des auto-stoppeurs. Un de ses passe-temps préférés est de jouer à des jeux pendant le trajet (comme imaginer la vie quotidienne des gens qu'il croise). Pamela est une auto-stoppeuse qu'il fait monter dans son camion. Lorsqu' elle disparaît, il soupçonne le conducteur d'un camion dont le comportement suspect lui fait penser au tueur en série dont tout le monde parle à la radio. En prenant en chasse le suspect, il attire l'attention de la police qui se pense alors croire qu'il est le suspect...

Road Games est un des fleurons de Ozploitation, cet âge d’or du cinéma de genre australien qui entre le début des années 70 et celui des années 80 offrit son lot de films singuliers. Une des particularités de ces films consistaient à revisiter les grands genres hollywoodiens ou européen par le prisme des particularismes culturels australiens. Road Games en est un bon exemple avec le réalisateur Richard Franklin qui, en féru du cinéma d’Alfred Hitchcock, parvient à réaliser une sorte de Fenêtre sur cour à ciel ouvert dans le bush australien. Le premier réflexe dans ce jeu de chat et la souris routier serait pourtant de penser tout d’abord à Duel de Steven Spielberg (1971). 

Le rapport de force est cependant inversé puisque c’est le héros Pat Quid (Stacey Keach) qui est au volant du semi-remorque et traque plus ou moins celui qu’il soupçonne être un serial-killer au volant d’une camionnette. Le scénario est d’ailleurs suffisamment habile pour être par moment interprété comme une relecture de Duel du point de vue du méchant puisque (tout comme dans Fenêtre sur cour) les « crimes » sont soumis au point de vue de celui qui les imagine, sans preuve concrète – malgré une saisissante scène de meurtre en ouverture.

Richard Franklin capture « l’inquiétante étrangeté » de l’espace immense du bush australien, ces étendues sauvages et désertiques où l’on peut se dissimuler, cet asphalte sans fin dans lequel Quid doit dialoguer avec son chien pour maintenir son attention et sa raison pour échapper à la solitude. Le réalisateur teinte ces moments de route d’aparté surréaliste et parfois inquiétante, telle cette auto-stoppeuse faisant une barrière de papier toilette pour forcer l’arrêt des automobilistes, et la réaction absurde de certains d’entre eux (l’homme remorquant son bateau) reflétant les attitudes kamikazes typiques des routes australiennes qui inspireront George Miller pour Mad Max (1979).

Le réalisateur travaille ainsi constamment l’ambiguïté du regard distant d’un potentiel thriller, en l’alternant avec l’effet de loupe d’un pittoresque bien réel dans les interactions de Quid avec les autochtones lors des différentes haltes et rencontres. Ses réactions logiques dans le danger qu’il soupçonne apparaissent inquiétantes face aux quidams ordinaires (la scène des toilettes), et on constate la différence entre l’effroi qu’il provoque chez la madame tout le monde qu’il prend en stop en premier, et l’acceptation immédiate de sa paranoïa quand il voyagera avec Pamela (Jamie Lee Curtis) jeune femme rebelle et excentrique plus à même de le croire. 

Par ce choix, le film fait le plus souvent office de road-movie décalé, et n’en rend que plus efficace les sursauts de tension assez mémorables, notamment l’intrusion de Jamie Lee Curtis dans la camionnette du tueur. Cet équilibre entre normalité et dérèglement provoque une hésitation équivalente dans les réactions du héros dont les élans d’héroïsme se dispute à la rationalité et travaille l’ambiguïté du point de vue. Ainsi, lancé à toute berzingue aux trousses du serial-killer et l’ayant rattrapé, Quid prend conscience de sa propre folie et se ravise pour un temps. 

C’est une idée assez géniale qui voit ce bush australien comme un déclencheur des folies et névroses enfouies, seulement s’agit-il de celles du serial-killer ou de son supposé poursuivant ? Le morceau de bravoure final avec sa double poursuite creuse ce sillon jusqu’au bout et il faut attendre la toute fin de la séquence pour que la narration assume une orientation claire. Et même en revendiquant objectivement sa nature de thriller, l’épilogue par un beau débordement sanglant assume l’ironie mordante faisant tout le sel de ce Road Games.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Studiocanal

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