Tu es mon fils - La finestra sul Luna Park, Luigi Comencini (1957)
Les souffrances affectives d'un enfant, Mario,
dont le père est contraint de travailler à l'étranger (en Afrique), et
dont la mère vient d'être tuée dans un accident de la circulation. Le récit tragique des difficultés de compréhension entre un fils et son père.
Tuesmonfils
est un beau et méconnu jalon du cycle rattaché à l'enfance au sein de
la filmographie de Luigi Comencini. Dans chacun des films évoquant cette
thématique, il est souvent question d'un lien rompu avec les parents
quant aux tourments rencontrés par les enfants. Il peut s'agir de
parents irresponsables et cause de l'adulte immoral façonné par leur
traitement dans Casanova, un adolescent à Venise (1969), la séparation brutale et douloureuse peut se faire par le deuil avec le bouleversant L'Incompris (1966), le conflit parental laisse leur progéniture à sa solitude avec le divorce de Eugenio(1980) et enfin la rébellion de l'enfant est une construction
nécessaire pour le rapprochement au terme du récit d'apprentissage de Les Aventure de Pinocchio (1975). Le scénario de Tuesmonfils
(coécrit par Luigi Comencini et Suso Cecchi D'Amico) porte en germe
tous ces éléments et le film, loin de constituer un brouillon des chefs
d'œuvre à suivre s'affirme déjà comme une belle réussite.
La mort frappe dès la scène d'ouverture avec la mort accidentelle de Ada (Giulia Rubini), laissant son jeune fils
Mario livré à lui-même. En effet Aldo (Gastone Renzelli), son père, est
un travailleur exilé en Afrique qui ne faisait que des retours
intermittents pour revoir sa famille et s'avère presque un étranger pour
son fils. Le film est donc le récit d'un lent et difficile apprivoisement mutuel où père et fils devront apprendre à se découvrir. La distance entre Aldo, son fils
et son épouse disparue n'était pas seulement géographique ou même
émotionnelle, mais temporel. Le sacrifice de vivre loin des siens était
pour Aldo une manière de leur offrir un avenir meilleur, mais en les
séparant finalement faute de vivre avec eux un présent commun qui
contribue à nouer ou renforcer les liens.
On le constate tout d'abord à
travers les rapports entre Aldo et Mario, où bien que partant de bonnes
intentions le père s'avère toujours en décalage avec son fils.
Il se préoccupe de son avenir en s'inquiétant de ses notes, mais sans
se renseigner des évènements passés causes des absences scolaires de
Mario. Il découvre finalement un environnement social et urbain qu'il
n'a pas connu du fait de son exil, et n'y vois une nouvelle fois pas la
solidarité du présent mais davantage la médiocrité qu'il exerce sur le
développement de Mario. Ce dernier semble devenu un véritable enfant des
rues débrouillard, faisant des "borgate" (bidonville) romains un véritable
terrain de jeu pour lui et ses amis.
Ce décalage augure une probable nouvelle séparation, Aldo devant
repartir en Afrique tandis que la communication avec Mario se résume à
des gronderies, de l'incompréhension et de lourds silences (poignantes
scènes où Mario pleure le souvenir de sa mère et que Mario ne sait pas
s'y prendre pour le réconforter). La mise en scène de Comencini travaille cela dans des compositions de plan où dans les intérieurs comme extérieurs, père et fils semblent éloignés et toujours s'observer de loin, se jauger comme des bêtes curieuses sans jamais se comprendre. Le personnage de Righetto (Pierre
Trabaud) semble être un des responsables de cette distance, mais aussi
le moteur d'un possible rapprochement. Marginal et homme à tout faire de
la communauté, il a occupé une sorte de rôle de père de substitution
pour Mario qui lui est très attaché, mais une encore une fois Aldo voit
en lui un obstacle, un mauvais exemple et même un rival posthume quand
il soupçonnera Righetto d'avoir peut-être été un peu trop proche de sa
femme. Luigi Comencini dépeint tous ces sentiments contenus et
contradictoires avec une grande justesse, excellent déjà dans la
direction de jeune enfant, Giancarlo Damiani dans le rôle de Mario
passant du mutisme renfrogné à l'espièglerie, de la froideur à
l'enthousiasme au gré de ses interlocuteurs lui inspirant confiance ou
crainte.
Tout cela serait déjà fort réussi en l'état, mais un flashback
final vient montrer tout ce qui avait été évoqué implicitement en
développant notamment le personnage de la mère Ada. Elle est touchante
dans son rejet du relatif confort matériel au détriment d'une cellule
familiale incomplète, laissant progressivement son foyer
artificiellement fonctionner sur le modèle "classique" en donnant
certaines prérogatives à Righetto à la fois suffisamment sensible et
trop tendre pour remplacer la figure paternelle. Une des plus belles
scènes est certainement celle où Ada dépassée demande à Righetto de
frapper Mario pour son mauvais bulletin. Il s'avèrera incapable
d'occuper cette place paternelle sous le genre viril encore attendu dans
ce contexte, mais sera bien plus à l'écoute d'Ada et Mario. Il
représente un présent rassurant et tendre quand Aldo est un passé de
plus en plus flou et un futur incertain.
La belle conclusion semble enfin offrir la fulgurance d'un instant complice entre père et fils
durant une sortie en parc d'attraction (donnant son titre original au
film), reconstruisant un nouveau modèle oubliant le passé, vivant le
présent et acceptant le risque d'un futur moins tracé (le risque
économique du père choisissant son fils plutôt que son travail). Luigi Comencini est loin ici de la noirceur et du pessimisme de ses futurs odyssées enfantines.
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