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mardi 23 avril 2024

Les Criminels - The Criminal, Joseph Losey (1960)


 Johnny Bannion a passé ses trois dernières années de prison à mettre au point le plus gros vol de sa carrière. A sa sortie de prison, il met son plan à exécution. Il enterre l'argent dans un champ, mais il est arrêté avant qu'il ait pu révéler la cachette à ses complices. Ceux-ci s'empressent de le tirer de sa prison, mais ils commettent l'erreur fatale de le tuer avant qu'il ait pu leur révéler son secret...

Le renouveau de Joseph Losey dans les premières années de son exil anglais (après avoir fuit les Etats-Unis où il fut blacklisté dans le cadre du Maccarthysme) passera grandement par le film noir.  C’est dans ce genre qu’il signe plusieurs grandes réussites qui renforcent son statut sur sa terre d’accueil avec La Bête s’éveille (1954), Temps sans pitié (1957) et L'Enquête de l'inspecteur Morgan (1959). Les deux derniers vont rencontrer une certaine reconnaissance publique et critique qui va permettre au réalisateur d’orienter sa carrière vers d’autres voies à partir de Eva (1962) qui lance sa grande période des années 60. Les Criminels sera donc son dernier polar avant ce virage, notamment grâce à Stanley Baker avec lequel il avait travaillé sur L'Enquête de l'inspecteur Morgan

Le postulat a tout du film de casse classique, mais Losey déplace ou escamote les moments attendus de ce type de récit pour explorer une autre voie. Le film évoque en effet une certaine mue du monde criminel d’une relative « fraternité » des petites mains vers un capitalisme carnassier où ces dernières ne s’avèrent plus qu’un rouage périssable d’un grand ensemble. Cette bascule s’observera à travers Johnny Bannion (Stanley Baker), truand s’apprêtant à sortir de prison et ayant déjà son prochain coup en vue. La longue introduction en prison montre une hiérarchie carcérale et donc criminelle fonctionnant sur la notion de dure à cuire, ce qu’est assurément Bannion. 

On l’observe tenir tête à Barrows (Patrick Magee) le gardien-chef, et décider quasiment à lui seul du sort d’un nouveau prisonnier détesté qui finira tabassé sur ses instructions implicites. La silhouette massive de Stanley Baker et ses airs goguenard installent ainsi cette personnalité hors-normes, même si dans la prison comme à l’extérieur, on comprendre que d’autres plus discrets disposent du véritable pouvoir. Le nom d’un certain Saffron circule donc avant la sortie de Bannion, qui devra lui donner un pourcentage de son futur coup, et à l’extérieur le plus voyant Carter (Sam Wanamaker) s’avérera le grand argentier du futur braquage et lui aussi amené à en toucher sa part.

Sous ses airs fiers, Bannion est finalement un exécutant, un « ouvrier » qui se salit les mains aux profits « d’actionnaires » du crime attendant leurs dividendes sans prendre le moindre risque. Ces nantis opèrent et attendent silencieusement dans l’ombre tandis que l’orgueil et la désinvolture du « pauvre » vont perdre Bannion, trahit par une ancienne compagne blessée (Jill Bennett). La fatalité propre au film noir n’a donc pas ici sa place, tout comme le morceau de bravoure du casse que Losey ne prend pas la peine de montrer – et s’éviter la comparaison avec les fleurons récents du genre comme Quand la ville dort de John Huston (1950), L’Ultime razzia de Stanley Kubrick (1956) ou Le Coup de l’escalier de Robert Wise (1959). 

Alors que la première partie en prison montrait un relatif esprit de camaraderie dominé par Bannion dans le filmage de Losey (humour, figure pittoresque, longues scènes de groupe), le retour derrière les barreaux de notre héros change la donne. N’ayant pas payé son tribu (le butin ayant été caché avant son arrestation), Bannion n’est plus ce mâle alpha intimidant, mais un employé sommé de rendre des comptes. Le vrai maître Saffron (Grégoire Aslan) le convoque alors et l’allure chétive du boss face à Bannion n’a aucune valeur, les cordons de la bourse tenu par Saffron prennent le pas sur la seule force physique de notre héros.

Le scénario réserve encore quelques coups d’éclats à Bannion (la correction infligée à des codétenus supposés le mater, l’évasion et la poursuite finale) sa seule hargne est impuissante face à la toile d’araignée d’un monde criminel capitaliste. La dernière partie est une longue fuite en avant dont on devine aisément l’issue, la seule victoire de Bannion étant d’emporter le secret de la planque du butin, mais à quel prix. Joseph Losey équilibre ainsi habilement l’étude mœurs et le polar, annoncé par le titre original plaçant The Criminal au singulier comme pour marquer l’isolement de Bannion, mais le titres français au pluriel est bien vu aussi en noyant justement son protagoniste dans un ensemble où il ne peut plus se distinguer. 

Sorti en bluray français chez StudioCanal

4 commentaires:

  1. La scène,sur le lac gelé, enneigé, est toujours restée dans mon esprit. Ce genre de choses qui arrivent avec certains films sans qu'on le décide.
    Sinon j'espère que tu vas bien Justin Kwedi, tes raisonnements artistiques et historiques sont toujours aussi intéressants et accessibles, c'est ce qui fait ton originalité je trouve.
    Je vais peu sur le Net actuellement mais je jette un oeil sur ton blog...
    Amicalement, Catherine.
    P.S: J'ai découvert récemment le thriller original et passionnant " LIGHT SLEEPER " de P.Schrader (1992), avec une Susan Sarandon et un Willem Dafoe étonnants et je persiste à penser que le meilleur est dans le "passé", avec des films peu connus. Merci J.B Thoret pour celui là en tout cas.

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  2. Et du même Schrader j'ai aussi découvert " BLUE COLLAR " , le meilleur film social sur des ouvriers américains que j'ai jamais vu !!
    Avec R.Pryor, Yaphet Kotto (Alien) et Harvey Keitel.

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  3. Hello Catherine ça faisait longtemps ! Oui effectivement conclusion très marquante d'autant plus après l'ambiance renfermée et claustrophobe qui prédomine durant le reste du film. Merci de ta fidélité et de toujours suivre et venir commenter ;-) Cool pour les Paul Schrader, il y a encore pas mal de pépites à découvrir avec lui : Mishima, Affliction, Autofocus, et dans les plus récent First Reformed est un très grand film aussi.

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  4. Pour revenir à une autre " fin dans la neige " marquante ( c'est un genre en soi ha, ha ), il y a aussi celle du film (noir) de Jacques Tourneur NIGHTFALL ( 1957 ), que j'aime beaucoup aussi. Le mot FIN et l'image sur lequel il s'inscrit est encore une partie du film.

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