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jeudi 26 septembre 2024

Les Anges de la nuit - State of Grace, Phil Joanou (1990)

Après plusieurs années d'absence, Terry Noonan revient dans le quartier newyorkais de Hell's Kitchen, fief des irlandais. Il y retrouve Jackie Flannery, ses amis d'enfance et Kathleen, son amour de jeunesse. La guerre avec la mafia italo-américaine bat son plein.

Les Anges de la nuit est une superbe fresque criminelle malheureusement restée dans l’ombre de Les Affranchis de Martin Scorsese, sorti la même semaine aux Etats-Unis et qu’il l’éclipsera médiatique ainsi qu’au box-office. A la chronique virtuose scorsesienne, Phil Joanou pour ce second film (après le brillant teen movie Trois heures, l’heure du crime (1987) fait davantage le choix du drame et de l’étude de caractères. Le quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen, à la fois une prison et un lieu scellant le socle fraternel de sa communauté irlandaise. Ce lien communautaire et d’amitié profonde se rattache à ces origines irlandaises, à une enfance commune fait de tradition et de solidarité pour les personnages. Cependant y rester, c’est souffrir des faibles perspectives d’avenir et basculer dans la criminalité.

Tous les protagonistes sont dans une perspective contradictoire quant à leur immersion ou rejet de cet environnement. Terry (Sean Penn) l’a fui un temps avant de renouer de vieilles amitiés, mais aussi de nouveau céder aux mauvaises tentations, même si ses intentions apparaîtront progressivement plus complexes. Son meilleur ami Jackie (Gary Oldman) baigne quant à lui dans l’illégalité avec délectation, en véritable chien fou imprévisible. Frankie (Ed Harris) sous prétexte de protéger les siens, témoigne de la bascule identitaire en se soumettant à la mafia, puissance criminelle supérieure et communauté dominante. Il a perdu le fil de ses racines en s’embourgeoisant et vivant dans le New Jersey, et il est devenu le bras armé de « l’étranger » mafieux, mais avant du capitalisme en rackettant les commerces locaux irlandais. Enfin Kathleen (Robin Wright) s’est éloignée autant qu’elle le pouvait du quartier géographiquement, mais les attaches filiales (elle est la petite sœur de Frankie et Jackie) et amoureuse (la flamme d’antan ravivée avec Terry) l’y ramènent constamment.

La narration se fait à la fois ample et intimiste pour dévoiler ces différents enjeux, ménageant un équilibre délicat entre caractérisation sobre et vrais moments chocs par les révélations ou les morceaux de bravoures. Phil Joanou apporte un grand soin aux détails insignifiants mais qui auront leur importance dans la trajectoire des personnages (le côté « parvenu » de Frankie moqué par les italiens lorsqu’il mange avec eux, annonçant sa bascule finale par cette soif de reconnaissance), rend palpables et poignant les élans sentimentaux (magnifiques scènes entre Terry et Kathleen, bien aidé par la romance naissante en coulisse de Sean Penn et Robin Wright) et est aussi aidé par la prestation exceptionnelle d’un Gary Oldman dangereux, pathétique et touchant. 

Le périmètre finalement restreint de l’intrigue contribue bien à cette atmosphère introspective magnifiée par la photo de Jordan Cronenweth), où la proximité exprime ce sentiment de solidarité et de fraternité, mais aussi l’étouffement, la menace et la paranoïa. La perspective de croiser ou d’être épié par une connaissance ne laisse jamais totalement libre de ses gestes, pour les bons comme les méchants d’ailleurs, Joanou jouant de cela pour faire naître les tensions. Un commerçant qui l’a connu enfant freine les ardeurs de Stevie (John C. Reilly) au moment de le racketter, tout comme Terry rencontrant un ami de son père (Burgess Meredith). Dans une perspective plus topographique, Joanou use de panoramiques prolongeant l’étendue d’une ruelle, offrant un autre angle d’un lieu familier, pour y superposer le regard d’un individu dont on ne soupçonnait pas la présence et qui va agir en conséquence de ce qu’il a observé – Hell’s Kitchen en devient un personnage à part entière.

Lorsque les évènements s’accélèrent pour le pire, le réalisateur se montre particulièrement brillant dans l’action et le suspense. Une séquence entière dont l’issue paisible ou belliqueuse tient à un coup de téléphone est une véritable prouesse de montage et d’escalade anxiogène. L’ultime fusillade en montage alterné avec une fête de la Saint-Patrick est très impressionnante aussi, dans son travail d’alternance des sons musicaux celtiques et de la sécheresse sourde des coups de feu, ainsi que des temporalités opposées entre les deux évènements voisins. 

Ainsi à la fluidité des festivités extérieures répondent les ralentis, les impacts douloureux et le décor détruit de l’intérieur du bar. On peut soupçonner que les films de John Woo circulaient déjà sous le manteau à Hollywood tant ce morceau de bravoure évoque le cinéma hongkongais, d’ailleurs mieux digérés que des films américains qui s’en réclameront plus explicitement par la suite. Les Anges de la nuit est vraiment un grand polar à redécouvrir, son insuccès ayant malheureusement mis un gros frein à la carrière prometteuse d’un Phil Joanou qui ne retrouvera plus ces sommets ensuite.

Sorti en bluray français chez Rimini

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