À Ascoli Piceno, un jeune homme réservé nommé Alfredo
fait la cour à la jolie Maria Rosa. Son rêve s'accomplit lorsqu'elle accepte de
l'épouser, mais la situation n'est pas celle qu'Alfredo avait imaginé…
Alfredo, Alfredo est l’ultime film réalisé par Pietro
Germi qui mourra prématurément en 1974, même si son œuvre connaîtra un
prolongement posthume avec le génial Mes chers amis (1975) dont il
confiera la réalisation à son ami Mario Monicelli après en avoir écrit le
scénario. Dans ses comédies les plus brillantes, la critique d’un contexte
social découlait d’un environnement géographique, reflétant ainsi l’importance
des codes et de la culture régionale au sein de la société italienne. Ainsi des
mœurs archaïques du sud pauvre de l’Italie découlaient les situations absurdes
et tragiques de Divorce à l’italienne (1961) et Séduite et abandonnée
(1964), alors que l’hypocrisie et la façade bourgeoise du nord riche
dissimulaient les scandales et attitudes les plus révoltants - le Trévise de Ces messieurs dames (1966).
L’intrigue d’Alfredo, Alfredo se situe dans la ville
d’Ascoli Piceno, dans la région centrale des Marches. Cette aspect topographique
central offre donc au réalisateur une forme de synthèse thématique où les
personnages véhiculeront les particularismes régionaux observés dans les
précédents films, mais dans une sorte de variation évitant la redite complète. C’est
notamment le cas du héros, Alfredo (Dustin Hoffman), jeune homme rêveur et
romantique aux antipodes du Marcello Mastroianni de Divorce à l’italienne
mais dont il va pourtant partager certains déboires. Fou amoureux de la belle
Maria Rosa (Stefania Sandrelli), il va lui faire une cour maladroite qui à sa
grande surprise va susciter un intérêt réciproque chez la jeune femme.
Réciproque est d’ailleurs un terme faible tant la passion et la soif d’amour de
Maria Rosa va rapidement dépasser Alfredo. Appels intempestifs à toute heure et
réclamation éplorée de gages d’amour, manifestations de désir sauvages en tout
lieu, soudain réprimé par une pudeur imprévisible, Maria Rosa est un ouragan
dont les sentiments ardents réclament l’exclusivité. Dans un premier temps
cette fougue a son charme tel le jeu de piste que va créer Mario Rosa pour être
rejointe par Alfredo durant un week-end où elle est absente. Mais même cette
intention romantique relève de l’emprise qu’elle désire avoir sur son amoureux
qui même loin d’elle, n’aura pas d’autres préoccupations. Notre héros va
rapidement se trouver pris au piège du mariage.
La situation rappelle une nouvelle fois le Mastroianni de Divorce
à l’italienne, mais de nouveau le cadre géographique change tout. Alfredo,
Alfredo est un film moderne et urbain où le piège n’est plus
obligatoirement pour les femmes contraintes à un rôle domestique symbolisé par
le mariage, mais plutôt pour l’homme devenant une proie apte à sécuriser
socialement et matériellement une épouse potentielle. Les gags reposent ainsi
sur « l’hyper » épouse qu’incarne Stefania Sandrelli, excessive au
lit, tyrannique en maîtresse de maison, et pressante dans la conception de l’ultime
maillon du piège, un enfant.
La famille de Mario Rosa déploie aussi dans un
cadre plus moderne tous les particularismes envahissants « à l’italienne »
et associés à des mœurs et environnement plus arriérés. Pietro Germi effectue
là une rupture passionnante en associant à la vie urbaine, professionnelle
comme domestique, les maux les plus aliénant du quotidien tandis que les
respirations viendront des week-ends à la campagne que s’accorde (de moins en
moins) Alfredo. La femme est un être qui vous aliène de vous-même, de vos
aspirations et de votre entourage.
L’idée de génie est le casting de la belle Stefania
Sandrelli, n’ayant pas exactement les traits de l’affreuse mégère castratrice.
L’amour toxique prend des atours sensuels, innocents et angélique qui ramènent toujours
malgré lui Alfredo au bercail. Pietro Germi ne fustige pas les femmes ou l’institution
du mariage en particulier, mais semble observer et accepter une Italie où la relation
amoureuse peut exister dans la durée sans être « institutionnalisée ».
Le propos n’est pas si éloigné en définitive de Divorce à l’italienne (ou de pur mélodrame de Germi comme L'Homme de paille (1958)), le
vrai bonheur d’Alfredo se manifestant le temps d’une romance libre de toute
contrainte avec Carolina (Carla Gravina) jeune femme moderne dont Germi s’amuse
à faire l’inverse de Maria Rosa jusqu’à l’absurde – cette fois la famille
craint plutôt que force la perspective du mariage. La dernière partie est ainsi
une fausse redite des œuvres précédentes de Germi, avec son héros devenu
soudainement un militant de la légifération du divorce (effectif en Italie à
partir de 1970 et renforcé par un référendum en 1974) mais qui paradoxalement
retourne dans le rang par son action. La voix-off à la fois candide et ironique
valide cela et le « happy-end » est d’un réjouissant décalage. Pietro
Germi avait encore beaucoup à dire, comme le prouve ce dernier film entre
réinvention et variation.
Inédit en dvd français vu dans le cadre de la rétro consacré à Pietro Germi à la Cinémathèque française
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