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lundi 18 novembre 2024

Snow Woman - Kaidan Yukijorō, Tokuzô Tanaka (1968)

Alors qu'ils font étape durant une tempête de neige, un jeune sculpteur et son maître rencontrent la femme des neiges. L'esprit épargnera le jeune apprenti, à condition qu'il n'évoque à quiconque leur rencontre.

Snow Woman est l’adaptation libre du conte traditionnel japonais Yuki-onna, évoquant le yokai de La Femme des neiges. Le film de Tokuzo Tanaka s’inscrit dans le courant des relectures montrant ce yokai comme une figure tragique, mais jusqu’au 18e siècle on l’associait davantage à un être inquiétant et cruel, une émanation hivernale du vampire aspirant l’énergie vitale des victimes ayant eut le malheur de croiser sa route. Le célèbre ouvrage Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges de Lafcadio Hearn va contribuer à auréoler la Femme des neiges d’une aura plus dramatique et compassionnelle qui demeure encore aujourd’hui. Les adaptations cinématographiques du conte iront souvent dans cette direction, notamment dans la seconde histoire de Kwaidan de Masaki Kobyashi (1964) d’après le livre de Lafcadio Hearn, et même certaines relectures de la pop culture comme le personnage de Yukina dans le manga/animé Yu Yu Hakusho de Yoshihiro Togashi.

Snow Woman est totalement dans cette lignée et ses ajouts à la trame du conte (qu’il suit assez fidèlement) sont essentiellement là afin d’accentuer la dimension mélodramatique du récit. L’histoire s’équilibre ainsi dans un souffle de terreur et de passion dès les premiers instants. La scène d’ouverture voyant Yosaku (Akira Ishihama) assister impuissant à la mort de son maître sous l’étreinte glaçante de la Femme des neiges (Shiho Fujimura) pose immédiatement une saisissante atmosphère. L’enfer blanc d’une tempête de neige (précédé d’une inquiétante introduction en voix-off) force les voyageurs à se réfugier dans une cabane, lieu propice à être piégé par le yokai. L’introduction du spectre joue sur toute la gamme de la frayeur avec inventivité. Bande-sonore progressivement envahie par les bruits de vent et de flocons, faux-raccords illustrant la nature « autre » de l’intruse dans ses déplacement glissants et hiératiques, tandis que les effets spéciaux instaurent un onirisme faisant du lieu un espace hors du temps. Le contraste entre la tenue immaculée et le visage blafard du yokai avec ce regard jaune démoniaque est introduit avec des gros plans sidérants et la gamme chromatique bleu-nuit de la photo de Chikashi Makiura. Ce dosage subtil de chaque effet permet ainsi de distinguer le regard bel et bien amoureux de la Femme des neiges alors qu’elle fait promettre à un Yosaku terrorisé de ne jamais raconter à quiconque leur rencontre. 

Le scénario intègre ensuite au conte original des éléments de drame féodal et d’éléments mystique visant à mettre les sentiments à l’épreuve. La femme des neiges finit par se rapprocher de Yusaku sous l’apparence humaine de Yuki (terme signifiant neige en japonais) et va devenir sa femme ainsi que la mère de leur enfant. Le manichéisme avait été mit à mal par l’introduction, l’instinct de la Femme des neiges se disputant à sa clémence avec la naissance du sentiment amoureux. Tout le récit va creuser cette porosité émotionnelle dans le fond et la forme. Les figures d’autorités, officielles avec l’intendant (Masao Shimizu), et spirituelle pour la prêtresse (Sen Hara), représentent ce manichéisme humain dans le rapport qu’ils entretiendront avec Yuki. L’intendant cherche à posséder par de vils procédés cette femme dont la beauté le trouble, la prêtresse ayant décelé le yokai sous l’humaine ne souhaite que le détruire. Tokuzo Tanaka, autant rompu au drame historique qu’au fantastique (ces débuts d’assistant réalisateur auprès de de Kurosawa ou Mizoguchi sur Rashomon, Les Conte de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho) fait montre d’une remarquable sobriété pour capturer les tourments de cœur de Yuki tandis que l’expérimentation s’invite face aux attaques d’exorcismes – belle idée que cette eau sacrée dont les gouttes fendant les ténèbres telles des braises.

Le réalisateur façonne une sorte de réalité alternative rêvée saisissant le bonheur familial de Yosaku et Yuki dans des plans d’ensemble saisissant leur déambulations pastorale radieuses. L’origine surnaturelle de Yuki vient s’immiscer le temps d’une comptine enfantine apprise par leur fils Taro, ou lorsque l’image semble marquée d’un trouble indicible quand Yosaku observe son épouse de loin. Les compositions de plan semblent inviter une anomalie invisible dans les lents travellings faisant dérouler l’image comme des emakis, ces rouleaux illustrés via lesquels étaient narrés les contes et récit traditionnels japonais. La distance et mise en abyme s’invite donc au cœur de ce bonheur pur en signaler la nature éphémère.

Yuki par sa dévotion humaine et sa nature surnaturelle représente les deux points de force de l’histoire et son équilibre. C’est un être dénué de binarité primitive et qui souffre de cette hauteur d’esprit, vulnérable lorsque sa part humaine domine par l’attrait qu’elle provoque, et affaibli en tirant son énergie de yokai pour faire le bien. L’actrice Shiho Fujimura passe d’une teinte de peau presque translucide et cadavérique à des couleurs pleines et sensuelles comme pour exprimer cette dualité - une simple variation de lumière pouvant faire passer son expression de la douceur à la menace sourde. La somptueuse scène de guérison d’une fillette joue des mêmes effets de transparences et de bascule des décors, niveau de réalité, qu’au début du film mais cette fois au service d’une bonne action. C’est donc bien la cruauté et la faiblesse des hommes qui pousse au retour de l’incarnation de la Femme des neiges sous son jour le plus impitoyable dans un moment d’épouvante vengeresse grandiose. La neige et la glace ne sont qu’une manifestation du frisson de la peur chez la victime, et de l’évaporation des sentiments nobles chez Yuki altérant l’espace pour frapper de son courroux.

La sous-intrigue de la statue de la déesse Kannon que doit sculpter Yosaku sert en quelque sorte de pont physique et émotionnel entre les niveaux de réalité. L’amour que l’on refuse à Yuki d’exprimer dans le monde humain, ne pourra être figé que dans l’expression de du visage de la statue achevée. Tokuzo Tanaka n’a pourtant nul besoin de nous montrer cet objet, la désolation du paysage enneigé dans lequel disparaît progressivement la silhouette de Yuki suffit à nous faire ressentir la détresse du yokai condamné à la solitude.

Sorti en bluray français chez Roboto

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