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samedi 10 mai 2025

Allons z'enfants - Yves Boisset (1981)

Un jeune homme, fils d'adjudant de carrière, est forcé par son père d'entrer dans une école militaire. Profondément antimilitariste, il subit des brimades de ses supérieurs, bien que très bien classé (dans le peloton de tête à l'école des enfants de troupe des Andelys, deuxième de la classe, 13.82 au Brevet de Préparation militaire supérieure). Attiré par la littérature et par le cinéma, il sera rattrapé par les débuts de la Seconde Guerre mondiale.

Allons Z’enfants est une des œuvres les plus personnelles d’Yves Boisset, qui adapte là le roman autobiographique de Yves Gibeau publié en 1952. Le livre eut une résonnance particulière pour le réalisateur, puisqu’il en fit la lecture durant son propre service militaire en Algérie à la fin des années 50 alors qu’il vivait très mal l’expérience dans le contexte politique de l’époque. C’est le récit d’une quête de liberté entravée par une institution, celle de l’armée, et d’un contexte social et de la mentalité qui en découle avec une France clivée entre les cicatrices non refermées de la Première Guerre Mondiale, l’espoir contesté de l’accession au pouvoir du Front Populaire, et les angoisses d’un nouveau conflit qui se déclenchera en 1939.

Le jeune Simon Chalumot (Lucas Belvaux) est un « enfant de troupe » subissant le désir de son père, vétéran de la Grande Guerre, de le voir intégrer une école militaire. La dimension éventuellement formatrice de l’armée est totalement absente durant les rudes années de lycée de l’adolescent, subissant les brimades de supérieur outrés par son esprit rêveur, la liberté de pensée. Le contexte évoqué plus haut amène un étouffement de toute notion d’individualité, au privilège d’une pensée obtus rejetant tout progressisme. La chronique des désagréments subits par Chalumot est aussi celle de la formation d’un tempérament antimilitariste de plus en plus affirmé par cette figure franche et incomprise. 

Toutes les figures d’autorité sont des murs auquel se heurte Chalumot, parfois sommairement caractérisé par Boisset au sein du corps de l’armée, ou avec une finesse bouleversante avec le père incarné par Jean Carmet, manifestement meurtri par sa propre expérience du front mais y voyant la seule voie valable pour la construction d’un individu, donc son fils. Carmet exprime de façon poignante la détresse de cet homme dont le conditionnement et le bagage intellectuel limité rend totalement indifférent aux aspirations de Simon sans que l’on doute un seul instant de l’amour qui éprouve pour lui.

Boisset capture certes l’entre-soi autoritaire de l’école militaire (dont le microcosme anticipe les sociétés réactionnaires que le réalisateur traitera dans ses œuvres plus contemporaines), mais aussi l’esprit d’une autre France plus ouverte durant les rares échappées de Simon à l’extérieur. Les rencontres furtives (les deux routiers, le paysan antimilitariste) tout comme celle plus appronfondie (l’amitié teintée de romance avec la nonne) donne à voir ce monde ouvrier imprégné des acquis du Front Populaire, aspirant à une existence plus sereine. La dimension autobiographique pour Boisset opère d’ailleurs avec le personnage du professeur Brizoulet (Jacques Denis), enseignant de français attaché à cet élève singulier, créatif et curieux. Il fait montre d’une compréhension et d’une volonté d’étendre les horizons de Simon par des sorties et conseils de lecture, pour certains rapidement punis par cette institution de l’armée comme A l’Ouest rien de nouveau, horreur antimilitariste écrte par un Allemand (Erich Maria Remarque) de surcroît. Le réalisateur souffrit lui-même du manque de communication avec son propre père professeur et projette sans doute la relation qu’il aurait aimé entretenir avec lui à travers le personnage de Brizoulet.

Lucas Belvaux pour son premier rôle au cinéma crève l’écran avec ce personnage d’écorché vif attachant, fragile et droit. Il dégage un mélange de vulnérabilité et de détermination le rendant charismatique et humain, un être sensible existant vraiment sans en faire un archétype angélique. Formellement il s’agit d’une des œuvres les plus soignée de Boisset qui se déleste de sa forme sur le vif et de sa narration urgence habituelle, le soin des cadres et de la belle photo de Pierre-William Glenn installant ce climat de mélancolie et ce sentiment de temps long ressenti par Simon. La reconstitution est superbe et l’on sent les moyens alloués, notamment durant la dernière partie montrant le début de la Deuxième Guerre Mondiale sur la ligne Maginot. Une des grandes réussites de Boisset qui sera malheureusement un échec commercial à sa sortie.

Disponible sur la plateforme MyCanal

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