Un Ange pour Satan est une œuvre marquant les derniers feux du cinéma gothique italien, à l’aune de l’émergence d’un autre créneau lucratif du cinéma d’exploitation local, le western spaghetti. Les Vampires de Riccardo Freda et Mario Bava, mais surtout Le Masque du Démon de Mario Bava (1960) avaient initié toute une vague de productions gothiques italiennes, en forme de réponse au renouveau du genre proposé par la Hammer. Par sa dimension latine plus prononcée, son goût du noir et blanc et sa veine macabre plus marquée, le gothique italien s’est donc taillé une place de choix durant quelques années.
Un Ange pour Satan est un film hybride, inscrit dans certains codes installés par ce gothique italien mais s’en démarquant aussi grandement sur d’autres aspects. L’aspect le plus identifiable repose sur la présence de Barbara Steele, icône du genre intronisée dans Le Masque du Démon. Elle y retrouve l’emploi d’un personnage double, à la personnalité et au physique partagés entre une incarnation passée maléfique et une contemporaine plus innocente. Le récit se garde pourtant bien, contrairement au Masque du Démon, d’expliciter par le fantastique cette dualité puisque la malédiction du film repose sur des situations rationnelles. La superstition des villageois, une possible schizophrénie d’Harriet (Barbara Steele) tous les évènements tragiques pourraient avoir une explication tout à fait tangible. De cette nature « réaliste » du récit découlent d’ailleurs des choix surprenants, comme le fait d’adopter une identité italienne devant et derrière la caméra. Habitués à angliciser les crédits pour donner le change pour la distribution internationale, l’équipe technique est ici créditée sous ses patronymes transalpins, tandis que l’environnement cède moins qu’à l’accoutumée aux archétypes narratifs et esthétiques gothiques. L’arrivée du héros dans le village prend le temps de nous montrer la vie régnant dans les lieux, son école, sa taverne, même les jeunes femmes croisées échappent en partie à leur statut de simples victimes plus tard par le bref laps de temps leur étant accordé durant cette introduction. Cette approche est sans doute dû au réalisateur Camillo Mastrocinque, figure du cinéma d’auteur italien des années 30 et 40 avant de devenir une touche à tout plus versatile. Il ne s’était essayé au gothique et de manière plus déférente qu’une fois avec La Crypte du vampire (1964) avant Un Ange pour Satan. Dès lors il installe une atmosphère inquiétante et austère (notamment la formidable scène d’ouverture avec sa barque accostant dans la brume) qui lorgne plus qu’elle ne bascule dans le fantastique, et est une sorte de retour aux origines du gothique. Les romans gothiques anglais fondateurs comme ceux d’Ann Radcliffe jouaient en grandes partie du point de vue de leurs héroïnes en détresse, traquée et manipulées dans des livres comme Les Mystères de la forêt ou Les Mystères d’Udolphe – le premier moins célébré que le second étant d’ailleurs le plus intéressant – dont la finalité s’avérait réaliste. Les bascules de la personnalité d’Harriet construisent d’ailleurs un pont entre ces deux approches du gothique. La candeur et l’innocence d’Harriet s’inscrit dans ce sillage classique alors que quand elle se laisse gagner par le tempérament sulfureux et lascif de Belinda, le stupre d’un gothique plus fantastique ressurgit. Cela passe par des éléments explicitement empruntés au Carmilla de Sheridan Le Fanu avec l’attirance lesbienne assez claire de Belinda pour sa servante, elle-même ambiguë dans l’expression de son refus ou de son consentement – domination de classe ou vrai penchant ? La persona filmique de Barbara Steele (ce visage anguleux, ses grands yeux expressifs où la tendresse se dispute à la haine) fait le reste avec ce jeu soudain plus outré quand Harriet se laisse dominer par sa facette Belinda, mais une veine psychologique se délestant des effets spéciaux fameux de Mario Bava. Le réalisateur joue astucieusement de nos attentes, annonçant de façon démonstrative la rupture schizophrène par un ensemble de gimmicks (Harriet devant son miroir se maquillant agressivement pour vriller en Belinda), ou au contraire nous la faisant comprendre par un changement d’attitude, de gestuelle ou de phrasé subtil. Ces quelques trouvailles narratives et formelles permettent au film d’en partie se distinguer, même si la construction est tout de même assez classique et attendue – une scène de rêve/flashback donnant toutes les clés assez tôt en définitive. Pas le fleuron du genre mais un objet indiscutablement soigné.
Sorti en bluray français chez Artus Films
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