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lundi 7 juillet 2025

Twisted Nerve - Roy Boulting (1968)

 Martin est un jeune homme dérangé. Avec une mère qui tient absolument à continuer à le traiter comme un enfant, un beau-père qui ne le supporte pas, et un frère trisomique placé dans une institution, rien d'étonnant à ce que Martin ait trouvé refuge dans une double personnalité... celle du petit Georgie âgé de six ans ? C'est Georgie qui se lie d'amitié avec Susan Harper, mais cette amitié tourne bien vite à l'obsession et, quand Susan commence à prendre ses distances, Georgie perd les pédales...

Twisted Nerve est un thriller anglais dont les œuvres et auteurs qu’elle a influencés ont assez injustement mieux passé la postérité. Peu de temps après sa sortie, Le Chat à neuves queues de Dario Argento (1971) semble s’être inspiré dans un de ses rebondissements d’un des éléments les plus controversé du film de Roy Boulting, tournant autour des chromosomes et de la trisomie 21. Quant à Quentin Tarantino, son art du mash-up fait sien le mémorable thème sifflé de Bernard Herrmann pour installer la tension dans KillBill Volume 1 (2003).

Le film offre une intéressante continuité thématique à ses différents participants. Le scénariste Leo Marks revisite ainsi la figure du psychopathe après le mémorable Le Voyeur de Michael Powell, ajoutant aux prémices de l’enfance meurtri et de l’artiste démiurge criminel cette dimension « scientifique » pour expliquer les méfaits de Martin/Georgie (Hywel Bennett). Roy Boulting avait produit Le Gang des tueurs réalisé par son frère John dans lequel, sans forcément parler de psychopathie, la figure d’une jeunesse corrompue et maléfique apparaissait déjà sous les traits de Richard Attenborough. Justement, l’innocence bafouée et le mal se dissimulant sous la candeur est un des aspects les plus captivants du film à travers ses deux interprètes principaux. En 1966, Roy Boulting signe avec The Family Way un magnifique mélodrame réunissant déjà Hayley Mills et Hywel Bennett. 

Tous deux y jouent des jeunes mariés empêchés de consommer leurs nuits de noces, incident qui tout au long du récit les figent dans l’enfance, et empêche en quelque sorte leur passage à l’âge adulte d’autant que faute de moyens ils sont encore installés chez leurs parents. Le film remporte un immense succès et suscite la controverse en coulisse qui il marque la romance puis le mariage entre Hayley Mills et Roy Boulting, de plus de 30 ans son aîné. Hayley Mills, star juvénile des productions Disney y trouvait là un de ses premiers rôles de femmes adultes. Le pas franchi à l’écran par son personnage est en somme la conjugaison de celui qu’elle opère dans sa vie et change son image auprès des spectateurs britanniques. L’idéal de jeunesse pure et innocente que représente le couple qu’elle forme à l’écran avec Hywel Bennett dans The Family Way n’aura ainsi de cesse d’être plusieurs fois revisité sous un jour plus sombre dans deux autres productions, Twisted Nerve donc, mais aussi Endless Night de Sidney Gilliat (1972).

Dans Twisted Nerve, cette figure de l’adulte/enfant est donc représenté de différente façon par Hywel Bennett et Hayley Mills. Martin (Hywel Bennett) est en quelque sorte l’enfant trop choyé, couvé et étouffé venant juste après la perte douloureuse d’un premier-né. La différence est que cet aîné est pourtant bien vivant, mais séparé de sa famille et placé en institution à cause de sa trisomie. Le scénario explique, maladroitement lorsqu’il convoque la génétique (ce qui provoquera des controverses à la sortie et nécessitera une justification en voix-off durant l’introduction) et brillamment quand il introduit ce contexte familial, les raisons des élans meurtriers de Martin. Il est à la fois hanté par ce frère rejeté, et par une mère dont l’amour maladif dissimule l’angoisse constante qu’il soit lui aussi « handicapé » par les mêmes troubles mentaux – ce qui en conséquence lui placera des œillères face à ses comportements erratiques qu’elle lui pardonne constamment. Martin, sournois à l’intérieur, provoque à l’extérieur la bienveillance « maternelle » des femmes qu’il croise. Si ce bon vieux complexe d’Œdipe l’empêche de consommer avec sa mère et lui fait rejeter son bon père, la gentillesse de Susan (Hayley Mills) lui permet d’invoquer la quête de protection de l’enfant en se faisant passer pour un attarder, tout en ayant pour elle un désir masculin bien adulte.

Le jeu de manipulation par lequel il s’immisce dans son quotidien est d’autant plus réussi que Susan traverse en parallèle une crise pas si éloignée. Elle rejette aussi la possibilité de la libido encore active de sa mère en rabrouant un de ses locataires (Barry Foster futur étrangleur du Frenzy d’Alfred Hitchcock (1972)) et possible amants, tout en ce montrant fuyante avec les jeunes hommes qui la courtisent et la désirent. La présence masculine mais l’esprit supposé d’enfant de Martin sont donc rassurants pour Susan, facilitant une promiscuité sans danger. Il est d’ailleurs assez fascinant que le devenir femme d’Hayley Mills et plus particulièrement la perte de sa virginité (car c’est aussi ce que l’on suppose dans Twisted Nerve) ait pu occuper une place aussi centrale dans les intrigues de ses films, puis c’est l’enjeu principal de la comédie Take a girl like you de Jonathan Miller (1969). Susan et Martin forment deux les deux revers d’une même pièce, un cadre familial bancal ayant provoqué une fuite et rejet du sexe pour Susan (dont on apprendra que le père a prématurément quitté le foyer), et son attrait le plus névrotique et inquiétant chez Martin.

Roy Boulting illustre son propos par des situations équivoques qui conservent encore aujourd’hui leur caractère provocateur. La mère de Susan (Billie Whitelaw qui n’avait que 14 ans de plus que sa « fille » à l’écran) a ainsi des attentions maternelles envers Martin, partageant son lit avec « l’enfant » après un cauchemar tout en jetant un regard concupiscent sur le torse nu t ferme du jeune homme adulte. A l’inverse la camaraderie infantile entre Susan et Martin durant une scène de pique-nique distille son trouble érotique avec davantage d’ambiguïté, Hayley Mills exprimant brillamment le contraste de ses émotions entre attirance, rejet du sexe et choc de voir que le petit frère à protéger est en fait un homme qui la désire et veut la posséder comme les autres.

Malgré la vraie nature de thriller du film, les meurtres ne sont finalement pas si nombreux (mais les deux seuls du récit débouchent sur de vraies scènes-chocs très giallesque) et repose sur une atmosphère malaisante et brillamment mise en scène par Roy Boulting, notamment un climax mémorable. Le cinéaste fait montre d’une vigueur et d’une inventivité assez remarquable sur ce film de fin de carrière, qui est aussi un de ses plus marquants. 

Sorti en bluray français chez Studiocanal 

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