Pages

jeudi 9 octobre 2025

9 semaines ½ - Nine ½ Weeks, Adrian Lyne (1986)

 Elizabeth, divorcée, travaille à la Spring Street Gallery, une galerie d'art de New York. C'est en faisant ses courses chez un épicier chinois qu'un homme la remarque et provoque chez elle un certain émoi. Ce mystérieux inconnu ne tarde pas à l'aborder et l'invite à déjeuner dans un restaurant italien.

Le temps d’une scène de danse lascive de Kim Basinger sous un éclairage tamisé, accompagné du You Can Leave Your Hat On de Joe Cocker, et les bases de l’érotisme soft hollywoodien étaient posées. 9 semaines ½ souffrira ainsi d’un malentendu multiple quant à ses intentions, ses initiateurs et sa descendance. A l’origine, il y le roman Le corps étranger d'Elizabeth McNeill, récit bien plus sombre dépeignant une relation toxique sans le vernis chatoyant de sa version filmée. Adrian Lyne et sa star Mickey Rourke très impliquée envisagent le projet dans cet esprit, avec dans l’idée d’offrir un pendant 80’s de Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci (1972) – une manière pour Rourke de valider son statut d’alors de nouveau Marlon Brando. Le film, tourné en 1984 mais resté dans les tiroirs jusqu’à sa sortie tardive en 1986, semblait donc creuser ce sillon dans ses premiers montages, mais des projections-test catastrophique et un studio refroidi par la portée sulfureuse de l’ensemble en décideront autrement. 9 semaines ½ sera un échec à sa sortie aux Etats-Unis, mais rencontrera un vrai succès en Europe dans un montage révisé par Adrian Lyne.

Sans en être véritablement un, 9 semaines ½ installe les codes et les ambiguïtés du thriller érotique dont Lyne sera un des chantres. Ce sous-genre, sous la provocation, pu parfois masquer un certain retour à l’ordre moral sous l’Amérique reaganienne avec une œuvre comme Liaison Fatale (1987). De même, la célébration de femmes fortes se conjugue à une exploitation assumée de leur plastique avantageuse, tel le Basic Instinct (1991) de Paul Verhoeven (qui y manie certes l’ironie en jouant sur les codes du film noir qui avait la même problématique pour les femmes fatales). 

Adrian Lyne est au centre de ces contradictions, en membre émérite du clan décrié des « pubards » anglais à succès durant les années 80 avec Ridley Scott, Hugh Hudson ou Alan Parker. Chacune de ses œuvres culte oscille, dans un équilibre ténu, entre des postulats exprimant véritable regard social voire sociétal, et des éléments plus putassiers et/ou discutables dans l’esthétique tape à l’œil et la tournure des récits : Flashdance (1983), Liaison Fatale évoqué plus haut, Proposition indécente (1992). Cela n’est pas toujours de son fait (la nouvelle fin voulue par le studio accentuant la dimension moralisatrice de Liaison Fatale), notamment sur 9 semaines ½.

En accompagnant les émois érotiques et sentimentaux de Elizabeth (Kim Basinger), une trentenaire new-yorkaise fraîchement divorcée, le film adopte un point de vue résolument féminin. La manière de la fondre dans la foule durant la scène d’ouverture, et tout le début la montrant esseulée, uniquement accrochée à son métier au sein d’une galerie d’art, dessine une figure indépendante mais profondément solitaire. Cela s’appuie, notamment par le contrepoint avec sa colocataire à la libido décomplexée, sur une vie sentimentale morne. Adrian Lyne introduit John (Mickey Rourke), comme une véritable émanation de l’inconscient frustré d’Elizabeth. Sa première apparition où il se substitue à un autre client dans la file d’une épicerie en témoigne, et le voit se volatiliser immédiatement. 

Tout au long du film, John restera invisible de l’entourage d’Elizabeth, ils ne se rencontreront que dans des lieux isolés, ou du moins dans lesquels ils n’auront aucune interaction avec le monde qui les entoure. Sans remettre en question l’existence concrète de John dans la réalité d’Elizabeth, ce dernier est un fantasme avec tout ce que cela comporte d’ambiguïté. On retrouve là cet aspect questionnable chez Lyne montrant l’assouvissement du fantasme (filmé comme tel à force d’artifices formels) et le retour de bâton qui en découle. John n’existe que pour provoquer et dominer Elizabeth, la testant verbalement (la première entrevue sur le bateau où il lui explique quelle est à sa merci), moralement et physiquement avant de la placer sous le joug de ses exigences érotiques.

Adrian Lyne capture la perplexité et la curiosité initiale d’une Elizabeth revenant toujours dans les bras de cet homme qui la bouscule et la malmène, avant d’équilibrer la relation lorsqu’elle va se prêter au jeu. Le brio filmique de Lyne fait que même les situations les plus ringardes avec le recul fonctionnent, tant dans leur érotisme soft que par la dynamique qu’elles expriment dans la relation du couple – le passage de glaçon sur le corps d’Elizabeth les yeux bandés. Au-delà des scènes sensuelles attendues dont le fameux strip-tease (qui constitue le moment le plus iconique mais pas forcément le plus « chaud » du film, ce titre revenant à une étreinte sous la pluie en pleine rue), c’est lorsque cette complicité s’équilibre dans une subversion des codes sociaux que le film est le plus original. 

On pense à ce moment très queer durant lequel Elizabeth s’immisce déguisée en homme dans un club masculin de yuppies, dans une transgression à la fois de genre et sociale. Cependant, le danger du fantasme, c’est de se heurter à sa vérité douloureuse après l’avoir réalisé. Lyne altère l’environnement et le plie à la furie érotique du couple lorsque celui-ci est en communion. L’éclairage de l’appartement durant la séquence de strip-tease n’a aucune logique rationnelle si ce n’est sa dimension scénographique et clippesque, et l’étreinte sur le toit d’un immeuble associe par le montage les mouvements de bassin et le mécanisme d’une horloge.

Lorsque les effets s’estompent, ne reste que la relation dominant/dominée où John reste opaque dans l’expression de ses sentiments, et toujours à l’initiative parfois brutale des jeux érotiques. Même s’il s’égare parfois dans l’excès et les effets faciles, 9 semaines ½ tient encore puissamment le coup grâce à son couple vedette. Les deux sont au sommet de leur photogénie et incarne bien l’image du couple sensuel, tourmenté, vénéneux. Mickey Rourke a juste ce qu’il faut de finesse pour dessiner le trouble entre la pure masculinité toxique et une vraie vulnérabilité. 

Quant à Kim Basinger, elle porte tout le poids émotionnel du film par son alternance entre abandon lascif et vulnérabilité écorchée. Tout tient finalement dans cette scène de séparation finale où la relation déséquilibrée empêche la réconciliation, John compte en attendant qu’Elizabeth lui revienne penaude, et que cette dernière le quitte tout en espérant secrètement qu’il la rattrape. 9 semaines ½ est une œuvre qui est, pour le meilleur et pour le pire, ancrée dans son époque mais dont les qualités n’ont pas trouvé de résonance dans le cinéma contemporain – la saga Fifty Shades of Gray (Kim Basinger jouant d’ailleurs dans le deuxième volet Cinquante nuances plus sombres (2017)) en étant un bien piètre descendant. 

Sorti en bluray français chez LCJ édition 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire