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mardi 9 septembre 2025

Chantage - Blackmail, Alfred Hitchcock (1929)

 Alice White est la fille d'un commerçant londonien. Son petit ami, Frank Weber, est policier. Alice s'ennuie avec Frank et rencontre secrètement un autre homme, Tracy, qui tente de la violer. En se défendant, elle le tue avec un couteau de cuisine. Quand le corps est découvert, Frank est sur l'affaire et se rend compte qu'Alice a commis le crime. Et quelqu'un essaie de la faire chanter...

Chantage marque un passage important dans la carrière d’Alfred Hitchcock puisqu’il s’agit de son premier film parlant. La relative simplicité du récit (adapté d’une pièce de Charles Bennett) se conjugue à la complexité et stylisation qu’y apporte Hitchcock pour exploiter cette nouvelle possibilité technique. L’introduction, montrant la mécanique d’appréhension d’un suspect par des policiers de Scotland Yard, fonction sur une pure logique de muet, par la seule image. Approche véhiculée des lieux, concertation, introduction dans la demeure et immobilisation du coupable, tout brille par la limpidité du processus et l’installation de la tension – ce panoramique du suspect apercevant les policiers dans un miroir et s’apprêtant à user de son arme. 

Les sons diégétiques sont absents dans cette pure démonstration de force d’un corps de métier, et la musique ne s’estompe et ne laisse entrer le bruit que quand la vie hors de la fonction s’amorce. Cela marque les retrouvailles entre le policier Frank (John Longden) et sa petite amie Alice (Anny Ondra). Lorsque l’existence ordinaire s’invite, elle introduit les petites inconséquences et incompréhensions des relations humaines, ici exprimées par la dispute entre Frank et Alice. Lorsque le premier, excédé, laisse sa compagne à son sort dans un restaurant, celle-ci se console en compagnie du peintre Crewe (Cyril Ritchard). Mal lui en prendra quand, invitée dans l’appartement de celui-ci, il tentera de la violer.

Hitchcock fait glisser, doucement mais sûrement, le marivaudage et la séduction vers l’agression sexuelle avec brio. Le verbe est justement très important entre les intonations candides d’Alice (l’actrice tchèque Anny Ondra étant en fait doublée par Joan Barry) et le phrasé plus sournois et charmeur de Crewe. La distance chaste et amicale installée entre eux dans le décor de l’appartement s’estompe au fil des paroles rassurantes de Crewe, le sommet étant atteint lorsqu’il entame une chansonnette au piano tandis que la composition de plan montre Alice se changer littéralement à côté de lui. Après avoir modelé une silhouette nue sur une toile pour amuser Alice, son cheminement l’amène à exécuter son geste sur l’intéressée qui ne devra son salut qu’au couteau à portée de main avec lequel elle va tuer son agresseur, hors-champ.

Hitchcock travaille le motif de la frayeur et de la culpabilité de la même façon, en alternant la force évocatrice du muet avec la puissance de la parole. Ainsi le retour hébété d’Alice se fait par la réminiscence de son acte où la moindre main gisante lui rappelle celle du cadavre qu’elle a abandonné. Le martèlement du mot couteau aboutit à une séquence presque subliminale traduisant la confusion mentale de l’héroïne. Le récit est vraiment un terrain de jeu aux expérimentations du réalisateur, qui saura néanmoins se montrer plus sobre mais pas moins virtuose durant la longue joute verbale introduisant le maître-chanteur (Donald Calthrop). Hitchcock jongle entre ce bagage du muet et l’explicite du parlant, l’imagerie expressionniste côtoyant un relatif naturalisme, sans jamais tomber dans l’aspect figé et théâtre filmé qui plombe encore certains des premiers films sonores. 

C’est particulièrement vrai durant le grand morceau de bravoure qu’est la course poursuite dans le British Museum. La pure énergie de cette séquence bascule en montage alterné à la douleur figée d’Alice désormais décidée à se dénoncer à la police. Le travail sur la lumière amène d’ailleurs un saisissante image à la portée implicite, lorsqu’un jeu d’ombre dessine la forme d’une corde sur le cou d’Alice. Hitchcock ne pourra cependant pas totalement aller au bout de sa démarche, puisque l’introduction procédurale devait se rejouer de manière moins neutre et plus dramatique en ayant désormais Alice comme suspecte à arrêter. Hitchcock se pliera à ses producteurs pour une happy-end plus convenue mais Chantage n’en reste pas moins un plaisant thriller voyant le maître du suspense dompter les nouvelles possibilités techniques de son média. 

Sorti en luray français chez Carlotta 

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