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mardi 24 août 2010
Jude - Michael Winterbottom (1996)
A la fin du 19e siècle, Jude, un jeune paysan auquel son maître d'école, Phillotson, a fait prendre conscience que l'élévation sociale passe par le savoir, rêve de s'inscrire à l'université voisine de Christminster. Après l'échec de son union avec Arabella, il part pour Christminster où il veut poursuivre ses études tout en gagnant sa vie comme tailleur de pierres. Il fait la connaissance de Sue, sa belle cousine à l'esprit indépendant...Ayant terminé récemment le roman de Thomas Hardy Jude l'Obscur j'étais assez curieux de découvrir cette adaptation très réputée de Winterbottom. Grosse déception puisque paradoxalement tout en respectant très fidèlement la trame du roman, Winterbottom passe complètement à côté de l'essentiel. Le roman narrait comment la société anglaise fermée et opressante de l'époque entravait dans un premier temps les aspirations intellectuelle et d'élévation sociale de son héros Jude aux origines rurales modeste, puis comment son union libre avec sa cousine en faisait les proies de la vindicte morale.
L'aspect concernant le savoir est sans doute le plus raté. Passé une belle scène d'ouverture, l'attrait quasi mystique exercé par Christminster la cité universitaire sur Jude est totalement absent et son goût et plaisir d'acquérir de la connaissance ne se ressent absolument pas (ce n'est pas quelque vagues scènes ou on le voit lire du latin et du grecs qui suffisent). Du coup lorsque ses ambitions échouent à cause de sa provenance modeste on ne ressent absolument pas la même détresse, puisque le film n'a pas insisté là dessus pour embrayer dès le début sur le mariage raté avec Arabella assez expédiée et où la prestation de Rachel Griffiths n'est guère convaincante.
La relation avec la cousine Sue ensuite prouve le total manque de vision de Winterbottom, qui respecte vraiment le roman mais illustre ses thèmes et idées de manières brouillonnes. Sue est dans le livre un personnage très moderne, mais à la fois très ambivalent dans son amour pour Jude et décrite comme frigide et dépourvue de sensualité charnelle. Elle se donne à son mari par obligation et ne cèdera à Jude que quand elle se sentira menacée par une autre femme. Cette idée qui s'exprime en filigrane de manière subtile, Winterbottom la résume en une scène où Sue s'offre enfin à Jude (et un passage un peu gratuit de Kate Winslet nue) son aversion du sexe passant presque pour de la simple timidité. C'est cette propension à aller au dénominateur le plus simple et basique systématiquement qui est le plus agaçant à la longue.
Le poids moral de la société sur le couple illégitime (encore plus dans le film où ils ne divorcent pas) entre Jude et Sue était une vraie toile de fond du livre pesant comme une chape de plomb sur les héros. Là encore jamais on ne ressent cela, Winterbottom fait ce qu'il faut et case fidèlement les passages exprimant cette idée mais de manière tellement terne et mécanique que ça ne fonctionne presque jamais sauf vers les derniers instants du film. Le sort dramatique des enfants du couple est repris également mais perd tout sa puissance tant la culpabilité qui suit est loin de la conclusion terrible du livre, le retour de Sue à la piété après ses élans modernes est moins sacrificielle et pitoyable (et le personnage de Philoston est vraiment sacrifié).
Autre point noir Winterbottom a semble t il choisi la voie de l'adaptation austère donc on ne ressent aucun souffle, les scènettes s'enchaînent (très fidèlement reprenant même le chapitrage par lieu du livre) machinalement, sans saveur ni passion et faisant plus office de transposition scolaire que d'une adaptation pensée.
Les acteurs sauvent tout de même pas mal la chose. Kate Winslet compose une Sue magnifique, sa prestation exprime tout ce que Winterbottom peine à transcrire : la séduction, la modernité mais aussi le côté torturé et indécis. Christopher Eccleston même si jouant trop sur la retenue est néanmoins convaincant en Jude et le couple avec Winslet est vraiment puissant et touchant, le seul vrai atout du film par ailleurs réalisés de façon assez transparente, aucun moment fort ne ressortant vraiment. Comme quoi si on pas saisi l'essence d'une oeuvre, même une adaptation quasi littérale peut être complètement ratée...
Sorti récemment en dvd zone 2 français mais l'édition est à fuir car ne comportant que vf et vo sans sous titres ! Se reporter plutôt vers le zone 2 anglais qui a lui au moins des sous titres anglais.
Interessante critique (parce que critique, justement) de l'adaptation d'un roman que je n'ai pas encore lu, mais qui devrait fatalement me tomber entre les mains, vu que je viens de découvrir son auteur, Thomas Hardy, par le biais d'un de ses romans, "Les Forestiers".
RépondreSupprimerCertains thèmes sont communs aux deux romans (l'éducation, la société et le mariage, pour aller vite).
En lisant votre billet, j'ai eu peur : Kate Winslet allait-elle s'avérer mauvaise dans ce film ? Ouf, non : l'honneur est sauf, et mon admiration pour cette actrice aussi. ;)
Les bonnes adaptations des bons romans sont assez rares, finalement, et ce ne sont pas toujours les plus littérales qui sont les plus réussies.
Si je ne me trompe pas, Michael Winterbottom a également réalisé "Tournage dans un jardin anglais", une adaptation assez particulière et sans doute plus réussie d'un roman de Laurence Sterne.
J'avais présenté ce film et le roman dont il s'inspire sur un forum que je ne fréquente plus depuis ; si ça vous intéresse, c'est par ici :
http://the-inn-at-lambton.cultureforum.net/auteurs-anglo-saxons-divers-xixeme-siecle-et-anterieurs-f11/laurence-sterne-vie-et-opinions-de-tristram-shandy-t1207.htm
Oui j'avais beaucoup aimé "Tournage dans un jardin" et donc si j'ai bien compris le film dans le film est l'adaptation de Laurence Sterne c'est excellent comme idée ! D'ailleurs j'étais limite déçu quand ça sortait du côté film d'époque pour revenir au tournage. Steve Coogan étais assez génial dedans (je vais allez lire votre texte pour en savoir plus sur le livre :-)).
RépondreSupprimerWinterbottom a le mérite de toucher à tout les genres même s'il ne réussit pas à chaque fois mais pour "Jude" il a échoué en allant au plus simple et au plus signifiant alors que le livre est beaucoup plus subtil, tout en symbole et en non dit et où l'atmosphère joue beaucoup.
Par contre bien que n'ayant pas lu le livre je garde un grand souvenir du "Tess" de Roman Polanski qui adaptait "Tess d'Uberville" l'autre grand roman de Hardy.
Pas lu "Tess d'Uberville", ni vu "Tess" de Polanski, mais j'entends dire grand bien des deux depuis un moment, aussi me laisserai-je sûrement tenter par eux prochainement ! ;)
RépondreSupprimerOn dit que Natassja Kinski est excellente dans ce film (c'est en tout cas ce que j'ai entendu sur France Culture la semaine dernière ; apparemment, ils ont réalisé des documentaires radiphoniques assez impressionnants sur Roman Polanski, qu'ils diffusent en ce moment ; j'ai attrapé un bout de l'émission, et c'était plutôt intéressant).
Pour revenir à "Tournage dans un jardin anglais", c'est vrai que les morceaux de films en costume étaient plus attractifs que la partie contemporaine. Le livre de Sterne est passablement atypique, le film de Michael Winterbottom constitue une bonne introduction à son univers. ;)