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vendredi 24 décembre 2010

Angel - François Ozon (2007)


Angleterre, 1905. Angel Deverell, jeune écrivain prodige, connaît une ascension fulgurante et réalise ainsi le rêve de toute jeune fille : succès, gloire et amour. Mais n'est-ce pas trop pour une seule femme ?

Grand amateur de romanesque hollywoodien, François Ozon franchissait le pas en 2007 avec Angel qui le voyait s'essayer pour la première à un tournage en costume et entièrement en anglais. Le film adapte un roman de Elizabeth Taylor, la romancière s'étant elle même inspirée pour son héroïne de Marie Corelli écrivain à l'eau de rose anglaise de la fin du XIXe tombé en désuétude mais très populaire en son temps (elle fut l'auteur favorite de la Reine d'Angleterre) et célèbre pour ses excentricités.

Ces informations permettent de faire le lien avec la drôle d'héroïne que constitue Angel. Ozon prend quelques liberté avec le livre pour servir sa vision, notamment en donnant à Angel les traits charmant de Romola Garai alors qu'elle est décrite comme laide sur papier. C'est l'équilibre entre ce physique attrayant, cette jeunesse et un caractère exécrable qui font tout le sel du personnage. Si cette nature de chipie insupportable mais adorable n'est pas nouveau (on pense bien sûr à la Scarlett O'Hara de Autant en emporte le vent) elle est ici élevée à des hauteurs inouïes : égocentrique, narcissique et hautaine, Angel a tout de l'enfant gâtée pénible. C'est aussi ce qui fait son génie, totalement immergée dans son univers flamboyant elle croit en son talent et à sa future réussite et n'en démord pas.

C'est donc à son irrésistible ascension qu'on assiste dans la première partie, de sa première publication à sa notoriété grandissante qui en font une des grandes figures de son temps. Tout peut lui être pardonné, son arrogance, ses goûts esthétiques douteux comme son ignorance crasse des choses du monde. Romola Garai est absolument parfaite, assumant pleinement le côté grotesque et autocenté d'Angel, passant de la grâce à l'ignominie en un clin d'oeil (il faut voir cette scène de repas où elle rabroue la pauvre Charlotte Rampling d'une phrase assassine bien sentie).

Angel est une héroïne qui rêve sa vie tout comme elle a une vie rêvée (dans un premier temps) et l'esthétique du film adopte cette idée. Ozon s'en donne à coeur joie dans les intérieurs rococo de Paradise la demeure de Angel, ou dans les tenues flamboyante de celle-ci tel cette robe rouge écarlate arborée lors du gala de promotion d'un nouvel ouvrage. Le réalisateur marche là sur les dignes traces de ses idoles Douglas Sirk ou Vincente Minelli qui soumettaient la réalité des images à l'état d'esprit de leurs héros par une mise en scène, des éclairages et des couleurs flamboyantes. Il en va de même lorsque Angel va découvrir l'amour dans les bras d'un peintre torturé lors d'une scène de déclaration enflammée ou plus tard un voyage de noces très carte postale où Ozon rend encore plus factices encore les procédés de rétro projection (un décor projeté derrière les acteurs alors qu'ils évoluent en studio) en vogue dans les années 40/50.

Cette première moitié de film est réellement épatante, Ozon apportant un souffle novateur dans ce type de récit romanesque très codifié. L'histoire d'amour entre Angel et Esmé (Michael Fassbender excellent) prend un tour légèrement différent du livre avec un relation plus ambiguë où on ne situe pas la distance entre l'intérêt financier et les vrais sentiments pour Fassbender. Etrangement, comme s'il était effrayé par son audace de la première partie Ozon s'avère terriblement conventionnel pour illustrer la déchéance progressive d'Angel. La dégradation du mariage offre des péripéties assez attendues (sentiment d'étouffement de Esmé, départ à la guerre, dettes de jeux, adultère) mais qui avec la même fougue et inventivité du début auraient largement pu être captivante. Au contraire cela s'avère assez morne et la dernière partie où Angel sombre définitivement est bien timide visuellement sorti des tenues incroyables de Romola Garai (dont une étonnante où elle traverse Londres attifée comme une sorcière).

Les thèmes du film appelaient pourtant de belles envolées. Angel dont les bizarreries s'était avérées si en accord avec la mode du moment devient soudain terriblement décalée. Toujours perdue dans son monde intérieur elle n'a pas remarqué que celui autour a changé et qu'elle n'y a plus sa place. Le monde baroque et flamboyant du début aurait donc dû se plier à une certaine noirceur et offrir des images cauchemardesques et grandiose mais cette idée est plus présente dans la trame que dans son illustration même.

On peut trouver diverses raisons (bien que tourné en anglais l'équipe est entièrement française et n'a pas la culture de la grandiloquence romantique à l'anglo-saxonne) mais toujours est il que le film déçoit grandement dans sa conclusion. Sans doute que trop fortement sorti de son univers, Ozon n'a pas su adopter l'emphase (toujours à la limite du ridicule) qu'osent si bien les drames hollywoodiens, voir la tentative brillante de Todd Haynes dans Loin du Paradis (ou même un Titanic de James Cameron en autre essai récent). Dommage mais reste une belle curiosité du cinéma français et Ozon a récemment rectifié le tir avec son excellent Potiche remake officieux de Tout ce que le ciel permet de Sirk transposé dans la France des 70's.

Sorti dans une très belle édition chez Wild Side

2 commentaires:

  1. J'ai commandé le livre d'Elizabeth Taylor peu avant que tu n'écrives ce billet, et euh... j'attends toujours le livre. Une fois reçu et lu, j'en parlerai, évidemment...

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  2. Belle chronique d'un film peu analysé de par le web...
    Pour avoir lu le livre d'Elizabeth Taylor, trouvé en bouquinerie, avant d'avoir vu le film, je dois dire que je préfère la fin, la chute (au plein sens du terme !) ménagée par Ozon. Ça ne pouvait pas finir paisiblement en eau de boudin comme dans le livre... Il fallait cette chute, cette prise de conscience, ou tout du moins cet ébranlement chez Angel. Ça achève le tout. Et c'est habilement trouvé car ils ont exploité les matériaux du livre, ils n'ont pas fait appel à des éléments extérieurs à l'histoire crée par E. Taylor. On ne va pas révéler ici de quoi il s'agit, mais la trouvaille finale est judicieuse.
    Mais évidemment, amener cette chute cela implique d’inscrire auparavant Angel et Esmé aux yeux des spectateurs contemporains dans une relation de couple qui se veut « conventionnelle » (le désir de paternité ressenti par Esmé/Fassbender par exemple…), inscription artificielle et « moderne » qui est inexistante dans le récit d’origine, Angel et Esmé n’ayant pas du tout ce genre de préoccupation.
    C’est à partir de là que le film devient aussi moins intéressant à mon avis, ce que vous qualifiez d’attendu et de morne, et c’est le moment de faiblesse du film en effet. Pourtant cela prépare la chute, et le film contrairement au livre en exigeait une.

    Romola Garai est parfaite (et bien entourée par des comédiens de premier choix), elle a l’abattage nécessaire au rôle, c’est la carte maîtresse d’Ozon. Blonde au naturel elle est superbe en brune, et même encore plus belle ainsi. Sauf pour la beauté - car l’Angel du livre sans être un laideron n’est pas considérée comme une beauté classique - elle colle aux caractéristiques physiques du personnage (chevelure noire, teint pâle), qui ici fait immanquablement songer à Scarlett O’Hara c'est sûr, surtout avec ses robes rouges et vertes !

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