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jeudi 23 décembre 2010

La Ville abandonnée - Yellow Sky, William A. Wellman (1948)


Après avoir pillé une banque, des hors-la-loi s’enfoncent dans le désert de sel pour échapper à leurs poursuivants. Exténués, ils échouent dans une ville fantôme, Yellow Sky, où vivent un vieux chercheur d’or et sa fille. L’appât de l’or divise la bande...

Très grand western de Wellman où ses thèmes de prédilection et son style visuel atteignent des sommets pour offrir un objet précurseur en tout point dans le genre. L'ouverture donne dans le classique sans surprise avec cette bande de hors la loi sans scrupule qui arrive en ville, pille une banque et déguerpit aussi sec. Ce début nous montre ainsi les malfrats sous leur jour le plus désincarné et fonctionnel afin que soit appuyé l'aspect révélateur de la tournure plus surprenante de la suite du récit. Ce sera tout d'abord par une terrible scène de traversée de désert, qui révèle les dissensions sous jacente de la bande mais aussi la profonde autorité qu'exerce Gregory Peck sur ses hommes prêt à le suivre dans cette fournaise ardente. Un beau morceau de bravoure (qui inspirera sûrement Leone pour une séquence similaire dans Le Bon, La Brute et Le Truand) où les personnalités les plus valeureuses, lâche ou tenace se dévoile nous permettant d'anticiper certaines réactions de la seconde partie.

Cette traversée du désert qui laisse nos héros exsangues n'est que la première étape d'une mise à nu de chacun dans le cadre surprenant de la ville fantôme de Yellow Sky. Filmé dans le décor naturel de la Vallée de la Mort, le film distille une atmosphère inhabituelle dans le western américain de l'époque avec ces rocheuses imposantes dessinant des ombres de plus en plus oppressantes sur cette mystérieuse ville fantôme. L'action se trouve réduite au strict nécessaire dans une tonalité exclusivement psychologique où toutes les facettes de Wellman se dévoilent. Le grand attrait pour les personnages féminins fort (célébrés dans Convois de Femmes notamment) avec une Anne Baxter teigneuse faisant face sans férir aux malfrats et qui au terme d'un relation tumultueuse avec Gregory Peck découvre peu à peu sa féminité.

Plus surprenant, le message sur les méfaits de la guerre et la manière dont elle détruit les hommes, thème récurrent de Wellman (vétéran de la Première Guerre Mondiale) mais qu'on a pas vu venir ici. En effet sous les premiers abord patibulaires, la bande se révèle peu à peu comme une suite de destins brisés par la Guerre de Sécession. Diverses lignes de dialogues révèlent pour certains un passé plus simple et rural que la guerre et que la nécessité a poussée vers une voie criminelle, le moment le plus significatif étant la touchante séquence d'aveux où Peck conclu un marché en narrant son enfance difficile soucieux de démontrer que le vrai lui réside dans cette existence dont il a été détournée.

Plus qu'à un groupe de malfrat néfaste c'est sous la forme d'une bande de garçons perdus qu'apparaît la bande, la façon autoritaire et presque paternelle dont Peck résout tout les conflits et la crainte qu'il inspire à ses hommes (qui multiplient les volte face pour ou contre lui, indécis) soulignant ce fait. Au final hormis un très inquiétant Richard Widmark (et sans doute aussi John Russel et son regard vicieux) avide de revanche, il n'y a pas de vrai figure malfaisante et négative qui se distingue. Le pouvoir de suivisme dans un collectivité que fustigeait Wellman dans son puissant L'étrange accident est donc vu sous un jour plus nuancé ici quoique désespérant avec ses hommes condamnés à suivre un leader bon ou mauvais.

La forme est assez exceptionnelle et déborde d'inventivité. Tout les jeux vidéos FPS naissent lors de ce plan insensé où Anne Baxter arme son fusil sur un adversaire avec vue subjective depuis l'intérieur du canon, la manière d'aligner les personnages dans un décor et surtout le jeu d'ombre sur leur visages se découpant dans le cadre dans le jeu sur la profondeur de champs annonce elle le western spaghetti.

Le sommet est atteint en conclusion où Peck, Widmark et Russel se traquent longuement dans les ruines, rien ne nous étant caché de leurs progression alors que l'explosion de violence clôturant la séquence est elle vue en hors champs de puis l'extérieur (le western spaghetti Keoma de Castellari calquera quasiment son final sur celui de Wellman) laissant planer le doute sur le vainqueur. Grâce à toute cette finesse déployée, la scène final en forme de repentance et de nouveau départ aurait pu paraître trop simpliste ou appuyée mais fonctionne parfaitement. Juste brillant!

Sorti en dvd zone 2 français, pour les anglophones le zone 1 est cependant beaucoup moins cher et doté de sous titres anglais.

Pas pu trouver de bande annonce donc petit panorama des meilleurs moments mais mieux vaut couper le son vu la musique hors sujet...


4 commentaires:

  1. je n'ai pas encore vu ce film, mais cela ne saurait tarder :
    je m'abreuve à ce puits (well en anglais). je viens de voir "l'ennemi public" (je préfère Paul Muni dans SCARFACE. Il faut un degré de débilité mentale pour tenir ce rôle — non ?— ). J'ai commencé par White Nurse que j'ai aimé sans la moindre réserve (Stanwyck dans BABY FACE est à la limite de la caricature, finalement). Je regarde, dans la minute qui suit THE PURCHASE PRICE (peut-être que YELLOW SKY m'attend…) et pour clore la soirée je reviens à MILESTONE avec DOUBLE CHANCE.
    J'ai entendu dire avec plaisir qu'un cinéma repasse en ce moment A L OUEST RIEN DE NOUVEAU, jumelé avec LES SENTIERS DE LA GLOIRE. Je suis des impulsions ou plutôt des alyzés me poussent dans la bonne direction. Et je suis ravie vous retrouver sur ces
    colonnes. J'ai imprimé la filmographie de Wellman, ahurissant : jusqu'à 4 films par an (en 33 je crois).
    Je vais rechercher UN REVENANT dans vos colonnes,
    en vain peut-être. LA KERMESSE HEROÏQUE était infiniment plus moderne (et féministe). A bientôt sur le mail (où il est plus facile de se laisser aller à des conclusion hâtives ou erronées !)

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  2. the same !
    Vous ai-je dit que je suis entrée chez Lewis Milestone avec RAIN : Joan Craword y est à des années lumière de
    MILDRED PIERCE. Mais quelle palette. Comment ces
    femmes — Bette Davis, Barbara Stanwyck, Katherine
    Hepburn, Joan Crawford — ont-elle, dans un milieu d'hommes à se réaliser aussi pleinement, à trouver en elles les cordes du violon, du violoncelle et du piano,
    pour réussir à jouer sur tous les tons, de la comédie au mélodrame, à la tragédie.

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  3. La Ville abandonnée :
    Vous trouvez à ce film des qualités admirables ?
    On a fait tellement plus intéressant dans le genre : je me suis presque ennuyée. Il manque une bande sonore digne de ce nom.
    UN REVENANT était par erreur dans le cassier FEYDER, mais c'est un film de Christian Jacque.
    J'ai deux TARKOVSKI à voir et revoir : Mais rien ne
    presse. J'ai un délai de 3 semaines, renouvelable
    deux fois...Je veux revoir MES films (Scarface,
    Mildred Pierce et quelques Huston. Les catégories du critique américain Andrew Sarris ("the American Cinema"1930-1969) sont inquiétantes et sans appel.
    Le classement de la Bibliothèque du Congrès est judicieux et très nourri.Je ne parle pas du charismatique
    David Thomson et de son dictionnaire de 1000 pages qui déçoit si souvent.

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  4. L'atmosphère du film est très particulière et originale ça peut surprendre à la première vision d'où l'ennui mais ne serait ce que formellement c'est d'une influence assez considérable, autant dans le western classique que spaghetti d'ailleurs. Redonnez lui sa chance à l'occasion, sinon si vous ne l'avez jamais vu je vous recommande vivement Convoi de femmes en autre western de Wellman, une grande ode féministe au rêve américain. J'en parlais là http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/03/convoi-de-femmes-westward-women-william.html

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