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lundi 28 février 2011
Prête à tout - To Die For, Gus Van Sant (1995)
La belle Suzanne Stone (Nicole Kidman) est une jeune femme qui ne cache pas son ambition débordante : elle veut percer dans le milieu de la télé. Quitte à se débarrasser de tous ceux qui pourraient lui mettre des bâtons dans les roues, à commencer par son propre mari…
Prête à tout est un film très important dans la carrière de son réalisateur et de sa vedette principale. Gus Van Sant, jusqu'ici associé à un cinéma indépendant plus rugueux voit là s'entrouvrir la porte des studios et des productions plus prestigieuses pour un parcours truffé de films passionnants comme Will Hunting et sa relecture de Psychose. Quant à Nicole Kidman bien qu'elle ait montrée un talent certains dans quelques films efficace mais mineurs (Calme Blanc, Malice) son statut de femme de Tom Cruise et le peu d'envergure des rôles réunissant le couple (Jours de Tonnerre, Horizons Lointains j'avoue un petit faible pour ce dernier) n'attire guère l'attention sur elle mais tout va changer avec Prête à tout.
Andy Warhol vantait le principe selon lequel tout un chacun avait droit un jour dans sa vie à 15 minutes de célébrité et c'est bien la seule chose après laquelle cours justement Suzanne Stone. Dès l'ouverture, Van Sant propose une narration morcelée où divers type de filmages vont se bousculer. L'esthétique est variable selon le point de vue adopté mais également selon le propos voulu. Ainsi toute les scènes de narration "classique" avec une photographie aux couleurs pastels mettant en valeurs les tenues criardes de Kidman et évoquant le film publicitaire de son monde idéal . D'un autre côté on a des interventions face caméra de Suzanne Stone sur fond blanc immaculée renforçant son côté artificiel et où elle donne son opinion biaisée et hypocrite sur les évènements du récit. Le procédé est repris également sous forme de reportage "sur le vif" où les protagonistes sont filmés dans leurs environnements quotidiens où plus ironiquement encore dans le cadre d'une émission de télé racoleuse façon reality show. Van Sant inclus également dans son montage quelques inserts en forme de flashforward sur des lieux ou objets qui auront leur importance plus tard.
Toute cette pluie d'artifices est au service du portrait peu reluisant d'une ambitieuse arriviste s'avérant effectivement "prête à tout". Van Sant connaît ses classiques et on pense ici à une version modernisée de Sunset Boulevard avec ce jeu sur la grandeur que l'héroïne s'attribue et le regard des autres bien moins flatteur (la séquence vers la fin où elle prend la pose devant les journalistes émerveillée d'être enfin sous les spots et la nuance qu'apporte l'alternance de sa vision par la réalité sordide rappelle la conclusion du Wilder). La conclusion avec l'adolescente devenue célèbre malgré elle au détriment de Suzanne lorgne quant à elle derrière l'ironie du Eve de Mankiewicz.
La prestation de Nicole Kidman évoque d'ailleurs celle de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard à la différence que Swanson reste enfermée le statut de star qu'elle a été tandis que Suzanne Stone se fige elle dans le masque et les manières de la vedette qu'elle pense devenir. L'échelle n'est plus la même, le prestige du cinéma de l'âge d'or a laissé la place à l'ambition des grands networks télévisuels. Cette fascination pour le petit écran, Kidman en donne une illustration magnifiquement creuse. Suzanne Stone persuadée de son bon goût en tout chose arbore un maquillage juste ce qu'il faut de trop marqué, enchaînes les phrases spirituelles toutes faîtes piochées dans les magazine et affiche constamment un masque souriant dissimulant les plus perfides pensées. C'est la banlieusarde, la provinciale qui rêve de la grande ville et s'imagine supérieure à son entourage plus terre à terre. Van Sant prolonge ainsi sa vision de l'Amérique white trash et peuplée de paumés en tout genre (qu'on retrouvera aussi dans Will Hunting, Elephant, Paranoid Park) Kidman ne valant guère mieux que les adolescents qu'elle interviewe. Parmi eux un tout jeune Joachim Phoenix (et Casey Afflek) déjà brillant en adolescent perdu.
Nicole Kidman offre une prestation époustouflante en femme fatale obsédée par les médias, tour à tour sexy, psychorigide et d'une fausseté constante qui en font un mystère complet. Tout ce que l'on sait d'elle se définit par sa focalisation sur sa carrière mais on ne saura rien de plus plus sur l'origine de cette motivation. Lors des premières scènes Matt Dillon tombe sous le charme sans que le moindre dialogues ne soit échangés entre eux, Kidman représentant toujours une silhouette lointaine, sensuelle et à la posture toujours parfaite.
Et c'est bien ce qu'est Suzanne Stone finalement tout au long du film, une figure aussi distante et irréelle que ces icônes vedettes qu'on se plaît à admirer à la télévision, en représentation permanente (ce regard et ce laïus après son premier entretien grandiose !). Le rôle lui vaudra d'ailleurs un Golden Globe, les choses sérieuses pouvant enfin commencer pour la carrière fabuleuse que l'on sait puisque dès l'année suivante arrive le magnifique Portrait de Femme. Gus Van Sant prouvait quant à lui l'acuité intacte de son regard dans un cadre de studio et on peut préférer cette période plutôt que son retour "arty" de ses dernières années.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
dimanche 27 février 2011
Autant en emporte le vent - Gone with the wind, Victor Fleming (1939)
En Georgie, en 1861, Scarlett O'Hara est une jeune femme fière et volontaire de la haute société sudiste. Courtisée par tous les bons partis du pays, elle n'a d'yeux que pour Ashley Wilkes malgré ses fiançailles avec sa douce et timide cousine, Melanie Hamilton. Scarlett est pourtant bien décidée à le faire changer d'avis, mais à la réception des Douze Chênes c'est du cynique Rhett Butler qu'elle retient l'attention...
Autant en emporte le vent, plus grand succès commercial de tous les temps (en dollar constant les Titanic et Avatar de Cameron sont bien loin du compte) est un triomphe sur bien des points pour ses participants. C’est une victoire du système studio dont la rigueur, l’organisation et le flair contribueront à d’autres réussites marquantes en cette année 1939 notamment (et pour rester à la MGM) Le Magicien d’Oz aux images aussi ancrées dans l’inconscient collectif que Gone with the wind. C’est également la consécration de Vivien Leigh, jeune anglaise talentueuse et tenace qui sortira victorieuse du casting le plus disputé de l’histoire du cinéma (Paulette Goddard, Lana Turner, Katharine Hepburn, Bette Davis convoitèrent voire auditionnèrent pour le rôle de Scarlett) toutes les jeunes lectrices américaines du best-seller de Margaret Mitchell se rêvant en Scarlett O’Hara. Le Rhett Butler rêvé par ces même lectrices, Clark Gable endossera le rôle avec réticence tant la pression est grande mais de star, il y a gagnera ses galons de légende hollywoodienne. Pourtant Autant en emporte le vent est surtout le triomphe de celui qui aura ordonné le projet de bout en bout avec l’autorité et la tyrannie d’un général, le producteur David O. Selznick. Ce succès de longue haleine est le symbole de la revanche qu’il a toujours voulu prendre sur Hollywood. Fils du distributeur Lewis J. Selznick qui cultiva très jeune son goût pour l’opulence, il débute tout jeune dans le milieu du cinéma en tant qu’apprenti pour son père auquel il doit succéder. Tout s’écroule lorsque celui-ci fait faillite et le jeune David jure de redorer le nom de Selznick à Hollywood. Fort talentueux, il devient un des producteurs incontournables du milieu en passant par la MGM (où il débute comme apprenti), la Paramount et la RKO, produisant pour cette dernière des grands classiques comme King Kong. Cela ne lui suffit pourtant pas et en 1936 il quitte la MGM pour fonder sa société de production Selznick International Pictures et en profite pour rajouter le fameux O donnant tout le prestige requis à son patronyme. On devine dans les premières productions du studio les caractéristiques si marquées des productions O. Selznick, pour le meilleur et pour le pire : un attrait pour l’adaptation littéraire prestigieuse, le romantisme exacerbé et un goût pour l’apparat et le luxe de tous les instants. Le film symbole de la touche O. Selznick est donc Autant en emporte le vent, projet qui manqua de peu de lui échapper. Alors que le livre de Margaret Mitchell n’est pas encore publié, une assistante en lit des épreuves et subjuguée, incite le nabab à en acheter les droits. Peu convaincu, il faudra l’insistance de son employée pour que O. Selznick cède à raison puisqu’une fois paru, l’ouvrage devient un véritable phénomène de société. Il s’engage alors une véritable course contre la montre pour trouver les fonds (Selznick s’associera finalement à la MGM pour le budget) et le casting idéal. En effet, en plus de décrocher la perle rare pour Scarlett, O. Selznick doit réussir à se faire prêter Clark Gable par la MGM ainsi qu'Olivia De Havilland par la Warner dans le rôle de Mélanie. Les remous du tournage en lui-même appartiennent également à la légende. A l’origine le film est préparé en commun par O. Selznick et son ami George Cukor, premier réalisateur envisagé. Si la sensibilité féminine de Cukor fait merveille dans tous les échanges piquants du début du film, Selznick constate rapidement qu’il ne sera pas l’homme de la situation pour communiquer la force des moments épiques prévus. La séparation est houleuse (mais n’entamera pas leur amitié, Cukor le félicitant même lors du triomphe aux Oscars l’année suivante) et c’est au tour de Victor Fleming d’entrer en scène. Grand ami de Clark Gable, il met celui-ci bien plus à l’aise et confère au film la dynamique qui lui manquait par son énergie et sa rugosité. Cukor cédait à tous les caprices de Vivien Leigh qui cherchait constamment à adoucir Scarlett, Fleming la rudoiera impitoyablement pour qu’elle respecte le personnage du livre (et du script) pour le résultat que l’on sait : un Oscar de la meilleure actrice. Exténué, Fleming quittera momentanément le navire, remplacé une semaine par le modeste Sam Wood avant de reprendre sa place. Wood restera cependant sur la production afin de tourner certaines séquences de seconde équipe d’une production qui a accumulé les retards et les dépassements. Même s’il commet son lot d’erreur de jugements, la vraie force directrice du projet sera donc David O. Selznick. Passionné, exigeant et maniaque, il interfère constamment dans l’autorité de ses réalisateurs (mais trouvera à qui parler avec Victor Fleming) qu’il inonde de mémos pointilleux, aussi ridicules que souvent judicieux sur les détails. Conscient de tenir là le projet de sa vie, son énergie (parallèlement, il produit également le Rebecca de Hitchcock) galvanise une équipe au bord de la rupture. N’en déplaise à la critique française sur la définition du terme, le véritable auteur du film c’est lui. A l’origine de Gone with the wind, il y a bien évidemment le roman de Margaret Mitchell dont ce sera le seul ouvrage. Née à Atlanta, c’est une véritable enfant du Sud bercée par la mémoire d’une ancêtre ayant vécu la Guerre de Sécession (la légende veut que le livre soit inspiré de son journal intime retrouvé par la romancière) et une mère la promenant souvent dans les vestiges de cette gloire déchue. Vraie aventurière casse-cou, elle défiera son temps en étant une des premières femmes reporters du Sud et injectera beaucoup de sa fougueuse personnalité dans celle de Scarlett O’ Hara. Autant en emporte le vent se fait donc le récit de la grandeur et de la décadence de ce Sud glorieux, opulent et fier. La force de l’histoire viendra du point de vue adopté, à savoir le produit le plus flamboyant et orgueilleux enfanté par le pays, Scarlett O’Hara. C’est d’ailleurs l’ombre de la guerre et l’insouciance capricieuse de l’héroïne qui ouvrent le film. Deux garçons aperçus de dos font la cour à une jeune fille tout en l’entretenant des menaces de guerre imminente. Travelling avant tandis que les deux silhouettes s’écartent pour laisser apparaître dédaigneuse et sûre de ses charmes Scarlett O’ Hara, qui exprime alors son profond mépris pour les choses de la guerre et somme ses prétendants de l’entretenir de sujets plus amusants. La première partie illustre donc ce Sud dans la magnificence légendaire d’un paradis perdu, avec ses habitants fiers et confiants en l’avenir, ses esclaves heureux de leur état et bien traités. Ce dernier point fait (et même déjà à l’époque) tiquer tant les rôles des noirs peuvent sembler caricaturaux et le film est sur la corde raide entre l’interprétation énergique et attachante de Hattie McDaniel (premier Oscar pour une actrice noire à la clé) en Mamma et celle beaucoup plus problématique de Butterfly McQueen qui rejouera les servantes idiotes dans Duel au Soleil. Lors de la longue préparation en amont, Selznick aura la judicieuse idée d’engager William Cameron Menzies à la conception artistique du film. Véritable génie visuel, il a autant évolué dans les productions anglaises d’un Alexander Korda (Le Voleur de Bagdad, l’étonnant film de SF adapté de H.G. Wells Les Mondes futurs qu’il réalise en 1936) que plus tard dans le cinéma hollywoodien notamment Selznick donc pour Duel au Soleil. Il conçoit pour Autant en emporte le vent des dessins très élaborés, d’une puissance évocatrice et d’une grandiloquence qui ancrent le récit dans un passé mythologique flamboyant. L’ouverture enchaîne donc les visions fabuleuses telle cette séquence où les ombres de Scarlett et son père se dessinent au pied d’un arbre gigantesque, un travelling arrière dévoilant ce qu’ils contemplent : l’immensité imposante du domaine de Tara où s’affairent les domestiques, baigné d’un soleil rougeoyant, annonçant déjà le crépuscule de ce monde. La mise en scène inspirée de Fleming offre l’ampleur voulue à ces instants, soutenue par la photo somptueuse d'Ernest Haller (qui remplaça Lee Garmes en cours de film) et le score inoubliable de Max Steiner. Cela est contrebalancé par des moments à hauteur plus humaines mais fonctionnant sur la même idée comme cette fastueuse scène de bal où les fanfaronnades des jeunes sudistes alternent avec le début du triangle amoureux entre Rhett Butler, Scarlett et Ashley Wilkes. Une fois la Guerre de Sécession débutée, c’est à nouveau par l’innocence progressivement perdue de Scarlett que se dévoilent les visions apocalyptiques du conflit. Infirmeries insalubres saturées de mutilés hurlant de douleur, Atlanta à feu et à sang devant l’imminence de la défaite, le film ose d’insoutenables moments de cruauté renforcés par ce parti pris du monumental. L’instant le plus saisissant restera l’arrivée de Scarlett à la gare d’Atlanta, où d’un mouvement de grue s’offre l’ampleur de la débâcle sudiste avec ces soldats blessés à perte de vue. Dans cet enfer peuvent pourtant s’élever des moments plus nobles, toujours teintés par l’ambiguïté des intentions de Scarlett : l’accouchement dans la douleur de Mélanie, la fuite héroïque d’Atlanta dans le chaos et surtout ce baiser arraché à l’héroïne par Gable perd toute la distance ironique arboré jusque-là pour une déclaration d’amour violente et passionnée. Le retour à Tara désormais ravagé obéit de manière inversée à l’ouverture. Désolation, misère et famine répondent à l’opulence d’antan. Désormais Scarlett n’aura pour but que de rendre leur lustre perdu à ses terres, la seule chose qui importe finalement comme lui déclara son père en d’autres temps plus heureux. Fleming reproduit le même mouvement de caméra que celui du début avec la seule Scarlett cette fois en garante de la fierté sudiste. Tandis que sa silhouette farouche se dresse sous un ciel écarlate, elle hurle à la face du monde que plus jamais elle ne veut à nouveau ressentir cette faim qui la tenaille, voir cette pauvreté qui l’entoure. A n’importe quel prix… Autant en emporte le vent représente dans l’inconscient collectif (et que l’on ait vu le film ou pas) la quintessence de l’expression du romanesque au cinéma. Pour les détracteurs de cette forme de récit, tout n’y est que grandiloquence malvenue, clichés et mièvrerie en tout genre. Il y a effectivement une union obéissant aux canons romanesques classiques dans Gone with the wind, mais pas celle du couple principal. Ashley Wilkes (Leslie Howard), amour chimère après lequel court Scarlett représente toute la fragilité, la personnalité rêveuse et poétique du héros romantique classique. Sa femme Mélanie (Olivia De Havilland) est la bienveillance incarnée, d’une gentillesse et d’un soutien sans faille pour ses amis et surtout d’un amour inconditionnel et exclusif pour son mari. Il faut toute la conviction des interprètes de ses deux personnages (notamment Olivia De Havilland magnifique) pour ne pas sombrer dans la guimauve la plus appuyée. Un film récent comme Retour à Cold Mountain préfèrera calquer ses héros sur les plus rassurants Ashley/Mélanie que sur le vrai couple infernal au centre du film de Selznick. Une nouvelle fois, c’est dans l’évolution de Scarlett tout au long du film qu’il faut chercher les motifs de cette romance (d)étonnante grâce à l’interprétation remarquable de Vivien Leigh. George Cukor lui aura dans un premier temps aidé à trouver le ton juste (il la conseillera même après qu’il ait quitté le tournage) de cette Scarlett détestable et attachante à la fois et Fleming la poussera dans ses derniers retranchements afin d’explorer ses vraies zones d’ombres et ne pas en faire une héroïne romantique classique. C’est donc au départ plus par caprice d’avoir été délaissée pour un autre que Scarlett s’accroche au pâle Ashley Wilkes. C’est un homme transparent et faible qui malgré une réelle attirance la repousse par peur de leurs différences de caractères pour épouser sa cousine à la douceur plus semblable à la sienne. Plus tard, il entretiendra les illusions de Scarlett par manque de courage en ne lui disant pas qu’il est réellement amoureux de Mélanie. Tout en évitement et hésitation, il est l’exact opposé du plus déterminé Rhett Butler. Dès qu’il aperçoit Scarlett lors de la scène du grand bal sudiste, il la déshabille littéralement du regard et le premier échange entre eux (après qu’elle ait été repoussée mollement une première fois par Ashley) sera digne de la screwball comedy la plus enlevée. Là où un Ashley est un fils de bonne famille transparent, Butler traîne un passé tumultueux de coureur et joueur peu recommandable. Clark Gable confère toute sa masculinité, sa prestance et sa décontraction à ce mauvais garçon séduisant. Il reconnaît immédiatement dans la personnalité volcanique de Scarlett une femme de sa trempe. Cette virilité appuyée, cette force de caractère en font l’homme idéal pour Scarlett, que ce soit dans les morceaux de bravoure (tout l’épisode de la fuite d’Atlanta) où il semble indestructible ou de manière sous jacente le fait qu’il soit le seul homme du film non manipulé par l’héroïne. Au-delà de l’aspect historique ou même romantique, Gone with the wind est un grand film sur la survie. Survie d’un mode de vie, d’un cadre, d’un passé idéalisé. C’est à cela que s’accroche Scarlett à travers Ashley Wilkes ou de manière plus intéressée à son second mari puis enfin Rhett Butler. Pour préserver ses souvenirs, aucune vilenie ne sera de trop, la plus méprisable étant d’épouser le fiancé nanti de sa sœur. Elle cédera enfin à Rhett pour ses richesses (et sa promesse de rénover Tara) sans se rendre compte qu’il est le seul homme auprès duquel elle fut jamais heureuse. Les héros passent ainsi le film à se manquer les uns les autres, l’intensité des sentiments pour l’autre n’étant jamais semblable au même moment. Cela se manifeste lors de la séquence la plus osée du film où Scarlett découvre enfin ses sentiments pour Rhett. Las d’être à nouveau éloigné de sa femme par le souvenir de Ashley, il l’empoigne sous l’emprise de la boisson vers leur chambre pour ce qui semble rien de moins qu’un viol conjugal. Surprise pourtant lors de la séquence suivante où Scarlett se réveille radieuse, satisfaite et enfin amoureuse de « son » homme. Le film jusque-là à l’équilibre narratif parfait cède un peu trop dans son dernier tiers à l’avalanche de péripéties (plusieurs morts tragiques interviennent en un laps de temps trop court) pour creuser le fossé entre Rhett et une Scarlett qui a ouvert les yeux trop tard. Le supposé archétype du film romantique se termine donc en forme de camouflet magistral pour son héroïne à travers cet échange cinglant. - Scarlett : "Rhett, Rhett... Rhett, if you go, where shall I go ? What shall I do ?" - Rhett : "Frankly, my dear, I don't give a damn. C’est dans cette absence de compromis que le film trouve pourtant son essence romanesque. En élevant à des proportions monumentales par son cadre les conséquences d’une incompréhension mutuelle, d’une romance avortée, le film parle à tous. A ceux entretenant la rancœur de celui qui les a tant fait souffrir, à ceux qui vivent dans le souvenir de l’être aimé perdu et surtout à ceux qui vivent dans l’espoir jamais éteint de le reconquérir un jour… C’est d’ailleurs sur cette note d’espoir que se conclut le film en alliant cet ode au Sud à la puissance romanesque du récit. C’est par Tara, berceau de sa force et de ses origines que Scarlett va peut-être un jour pouvoir retrouver Rhett. Une fin ouverte et fantasmatique* parmi les plus belles de l’histoire du cinéma. After all... tomorrow is another day. * L'inévitable suite viendra d'ailleurs très tardivement avec le roman Scarlett de Alexandra Ripley Scarlett et son adatpation en médiocre feuilleton télévisé où Joanne Whalley et Timothy Dalton reprennent les rôles mythiques. Disponible en dvd zone 2 français et récemment réédités dans une somptueuse édition pour les 70 ans du film.
vendredi 25 février 2011
L'Ange des ténèbres - Edge of Darkness, Lewis Milestone (1943)
Norvège, 1942. Le village de Trollness vit à l'heure de l'occupation allemande depuis maintenant deux ans. Mais la résistance s'organise... Impliqués dans la lutte contre l'envahisseur, Gunnar Brogge, un marin-pêcheur, et sa fiancée, Karen Stensgard, doivent redoubler de prudence à la veille du parachutage d'une cargaison d'armes en provenance d'Angleterre...
Sorti en plein coeur de la Deuxième Guerre Mondiale, Edge of Darkness ne fait pas dans la demi mesure pour ce qui est d'exprimer un vindicatif et exalté appel à la lutte contre l'ennemi nazi. L'histoire nous plonge donc dans le drame d'un petit village côtier norvégien sous le joug de l'occupant allemand régnant d'une main de fer sur la petite communauté. Sous l'apparente soumission, la fureur monte pourtant lentement face à l'envahisseur et le scénario (de Robert Rossen qui adapte un roman de William Woods) explore très intelligement les sentiments contradictoires qui anime les norvégiens. La fierté nationale et la haine des nazis côtoient donc la peur et la lâcheté bien ordinaire et compréhensible quand ce n'est pas la collaboration pure et simple comme avec un odieux personnage d'entrepreneur. Ses différentes facettes se dessine à travers une gammes de personnages variés et à la psychologie fouillée malgré l'évidente teneur propagandiste du film.
Errol Flynn est magistral de charisme en leader de la rébellion et même s'il est clairement le héros se fond dans la peau d'un pêcheur ordinaire membre de cette communauté. Une prestation nuancée et modeste où il excelle car ne roulant pas des mécaniques de manière inappropriée comme dans Sabotage à Berlin précédemment évoqué. La scène ou décidé à venger l'agression dont Ann Sheridan a été victime il est violemment ramené à la raison de la collectivité est ainsi magnifiquement intense notamment lorsque la caméra défile sur tout les visages d'autant plus déterminés. Walter Huston en médecin hésitant puis gagné par la fièvre guerrière est fascinant également, Ann Sheridan plus unidimensionnelle en résistante farouche offre également une solide prestation mais c'est l'ensemble du casting qui est admirable. D'ailleurs le camp nazi offre les figures les plus ambigües avec John Beal perdu qui rejoint les allemand par faiblesse et ne parviendra jamais à réparer son erreur, tout comme Nancy Coleman en polonaise soumise au bon plaisir de Koenig campé avec un sadisme parfait par Helmut Dantine.
Le film propose une lente montée en puissance dramatique où le village en attente de livraison d'armes par les anglais pour une attaque massive doit subir tout les tourments. La construction narrative invite d'ailleurs à cette tonalité noire puisque le récit s'ouvre par l'arrivée d'une armée allemande dans le village dévastée et jonchées de cadavres un flashback nous laissant découvrir les évènements. Les héros nous sont également présentés du point de vu ennemis lorsque les nazis devisent sur les éléments les plus perturbateurs de la communautés. L'atmosphère souffre alors d'une tension de tout les instants avec cette menace omniprésente pouvant sévir à tout moment. Ayant réussi à réellement nous attacher à cette petite communauté, Milestone n'en rend les malheurs et souffrances que plus fort pour ce qui est le grand atout du film, une force émotionnelle qui va au delà de l'aspect propagandiste et belliqueux. Les exactions nazies se font ainsi de plus en plus révoltante que se soit l'humiliation, un viol au filmage sobre et traumatisant où le terrible jet en pâture d'un vieil intellectuel qui a courageusement osé s'opposer au vol de sa maison.
La conclusion guerrière sur la rageuses réaction du village est donc un véritable exutoire amené avec une empathie massive du spectateur tant Milestone a su jouer de cette attente. L'affrontement final est un des plus furieux vu dans un film de guerre de cette période, moments héroïques et sacrificiels survoltés, destruction massive en pagaille le tout filmé avec une rage et une virtuosité phénoménale par Milestone (ce moment où Flynn approche du QG nazi en charrette lancé au galop et en saute pour jeter une grenade grandiose !). Cela rappelle beaucoup Went the day well film anglais du studio Ealing (traité en juillet sur le blog) tout aussi rageur où un village anglais se soulevait contre invasion nazie souterraine. Edge of Darkness s'avère aussi dur et exaltant dans son ode au combat contre la tyrannie, se terminant sur une note pleine d'espoir mais tout aussi va t en guerre. Grand film de guerre et au passage un score ténébreux et fabuleux de Frank Waxman notamment lors de l'assaut final où il s'orne d'élan funèbres à la Wagner.
Sorti en dvd zone 1 chez Warner dans le coffret Errol Flynn déjà évoqué précédemment.
Extrait
jeudi 24 février 2011
Walkabout - Nicolas Roeg (1971)
Deux jeunes frère et sœur occidentaux se retrouvent abandonnés dans le bush après le suicide de leur père. Survivant tant bien que mal dans le désert hostile, ils rencontrent un jeune aborigène en plein « walkabout », cette errance initiatique rituelle.
Pour son deuxième film après l'expérimental Performance, Nicolas Roeg réalisait peut être son chef d'oeuvre avec cet immense Walkabout. Adapté d'un roman de James Van Marshall, le film part d'un postulat simple et exprime des thèmes d'une grande profondeur dans une gamme de sentiment complexe et contradictoires par la seule puissance formelle de son réalisateur divinement inspiré.
Après une courte introduction urbaine, nous somme donc immédiatement plongé dans le bush australien avec nos deux jeunes héros rapidement livrés à eux même après la disparition tragique de leur père. La méthode Roeg frappe d'entrée avec ses échanges creux entre le père et ses enfants, le malaise ambiant qui va conduire au drame se ressentant dans les non dits, les regards fuyant puis part le brutal rebondissement filmé avec étrangeté dans un montage déroutant.
La soeur (Jenny Agutter) et le frère (Luc Roeg le jeune fils de Nicolas Roeg) dont on ne connaîtra jamais les prénoms entament alors une longue errance dans le gigantesque bush australien qui leur est en tout point hostile tant leur éducation citadine les à peu préparée à pareille épreuve. Soleil de plomb, sécheresse, panorama à la l'horizon infinie en forme de prison à ciel ouvert rien ne semble être épargné aux malheureux d'autant que Roeg filme le bush comme s'ils se trouvaient sur une autre planète. Le score hypnotique de John Barry accompagne donc une symphonie de sensations exprimée par le montage (avec de nombreux inserts sur les animaux les plus étranges qui soit accompagnant la marche des personnages), la photographie donnant des teintes surnaturelles aux décors naturels et au ciel et la réalisation de Roeg qui confère autant de beauté que de menace à ce cadre hors normes qu'on a jamais vu ainsi depuis et ni même avant.
Le salut arrive donc d'un jeune aborigène (David Gulpill) en plein walkabout, ce rite de passage tribal où les jeunes doivent entreprendre une errance dans l'étendue sauvage en communion avec la nature et en quête d'eux même pour en revenir transfiguré et adulte. Le film se soustrait alors à toute les règles de narration classiques pour totalement envouter dans son illustration du rapprochement entre les deux civilisations avec un sentiment de quiétude et de fraternité.
Le jeune frère si chétif au départ devient donc endurant au contact de cet aborigène lui enseignant la manière de se mouvoir, nourrir et se protéger dans cette contrée avec un mimétisme et une complicité palpable entre eux (le jeune garçon finit par être constamment torse nu puis arbore les peintures rituelles de son ami, l'aborigène qui se lève un matin et allume le poste de radio le plus naturellement du monde). Il en va de même avec Jennifer Agutter qui perd peu à peu ses inhibitions (voir cette longue nage nue dans une crique) tandis que l'aborigène se laisse gagner lentement par un certain désir pour elle, tout deux étant magnifié par Roeg dont la caméra est avide du contact de leur corps jeune et souple.
Le sujet pourrait d'ailleurs laisser croire à une mise en scène naturaliste et dépouillée, il n'en est rien. Roeg use de tout les artifices à disposition hérités de son passé de monteur et directeur photo pour rendre l'expérience constamment surprenante et sensitive. On trouve ainsi un montage en forme d'associations d'idées lorsque David Gulpill achève la bête qu'il chassait avec des inserts d'un charcutier reproduisant son geste comme pour signifier sa teneur universelle pour l'homme amener à se restaurer.
A un autre moment lorsque le jeune garçon décidera de narrer un conte de sa connaissance à l'aborigène (qui n'y comprend mot) à nouveau de brève image de page qui se tournent viendront accompagner la séquence. Le film avait à peine 14 pages de script et laissait libre court au évènements, caprices de la natures et improvisation de l'équipe et cette liberté se ressent dans l'immense respiration que constitue l'ensemble.
Ce bonheur n'est pourtant qu'éphémère et les différences vont finalement causer un fossé insurmontable. Dans le livre, l'aborigène mourrait en ayant contracté au contact des blancs une maladie inconnue de son organisme. Roeg va donner un tour plus poétique à ce mal en faisant de l'incompréhension mutuelle et l'influence des blancs les instruments de la chute de l'insouciant aborigène. Après nous avoir montré la communion de l'homme avec son environnement dans les magnifiques scènes de chasse, on assiste à un massacre gratuit et pour la forme de diverses bêtes par un groupe de chasseur.
Alors que l'aborigène se fondait dans la nature et ne troublait pas le cours naturel de la vie (tuer pour se nourrir) l'envers de cette séquence montre des hommes tuant pour le plaisir et laissant les carcasses au vautours. Roeg par un jeu sur la vitesse de l'image et un montage saccadé montre l'aspect intrusif et nocif de leur acte en brisant la tonalité contemplative en cours jusque là. L'autre point constitue la romance avortée entre Jennifer Agutter et l'aborigène où l'ambiguïté est de mise entre un vrai rejet et une incompréhension puisqu'une danse rituelle d'amour sera perçue comme une menace.
La conclusion fait écho à l'ouverture et notre héroïne revenu à une urbanité plus conforme semble exprimer le regret de cette aventure et du sentiment de liberté d'alors, son regard se fondant dans le souvenir d'une après midi de baignade. Le poème A Shropshire accompagnant les dernières images en voix off renforce l'émotion des images en surlignant merveilleusement leur mélancolie.
Into my heart an air that kills
From yon far country blows:
What are those blue remembered hills,
What spires, what farms are those?
That is the land of lost content,
I see it shining plain,
The happy highways where I went
And cannot come again.
Un des joyaux du cinéma anglais, ce qu'on appelle un chef d'oeuvre.
Sorti en dvd zone 2 français dans chez Potemkine la collection Agnès B et pour les plus fortuné et anglophone il existe une magnifique édition Critérion en zone 1
mercredi 23 février 2011
Comme un torrent - Some came running, Vincente Minneli (1958)
Au cours de l'été 1948, Dave Hirsch quitte l’armée tout auréolé d’un glorieux passé guerrier. Romancier en devenir, mais noceur invétéré, il déboule un beau matin en autocar à Parkman, sa ville natale de l’Indiana. Il est suivi par Ginnie Moorehead, une fille en fanfreluches dont il se souvient à peine, relique de sa soirée bien imbibée de la veille. Dave retrouve sa famille et notamment son frère et son contraire : Frank, très conventionnel, bien rangé et prospère. Tandis que Dave se lie d’amitié avec un homme de son milieu, Bama Dillert, joueur professionnel désabusé, son frère lui présente Gwen French, une institutrice aussi séduisante que stricte.
Comme un torrent voyait Vincente Minnelli s'essayer au grand genre en vogue à Hollywood en cette fin des années cinquante, le grand mélodrame. Le film comporte donc toute les touches qui y sont associées à cette période comme le cadre provincial bourgeois propret révélant une facette plus noire, la dimension sexuelle sous-jacente transgressive et une certaine réflexion sociale. L'amateur de Douglas Sirk, Mark Robson ou de certains films de Delmer Daves se trouve donc en terrain connu même si Minnelli parvient à trouver sa propre voie en dépit de ces conventions. C'est le roman de James Jones dont le film est adapté qui permet de trouver une tonalité plus particulière avec héros incarné par Frank Sinatra qui semble être un prolongement de celui qu'il jouait dans Tant qu'il y aura des hommes l'autre transposition célébrée de James Jones quelques années plus tôt. Sinatra est donc Dave Hirsch, ancien soldat de retour dans sa ville natale et qui rumine son amertume et sa rancoeur dans l'alcool depuis qu'il a abandonné une prometteuse carrière d'écrivain.
Le drame du film semble au premier abord se situer dans les amours contrariés de Dave avec l'institutrice Gwen French (Martha Hyer) qui admiratrice de son talent et pas indifférente à son charme n'en est pas moins rebutée par son style de vie dissolu entre filles, jeu d'argent et soirées arrosées. Malgré la conviction irréprochable des acteurs (Martha Hyer est excellente en provinciale psychorigide) cette romance s'avère terriblement longuette et poussive, les problématiques soulevées pour la perturber semblant vraiment limitées et datées puisque basées sur les seuls réticences de Gwen plutôt qu'un vrai drame humain. Les intrigues secondaires sont tout aussi mal introduites avec le détestable personnages du frère joué par Arthur Kennedy qui amène lourdement toutes facettes qu'on s'attend à voir surgir dans ce type de cadre provincial à savoir le poids de la rumeur et l'hypocrisie mais sans que cela fasse sens dans la trame très longuette.
A peine pourra t on se raccrocher à la réussite plastique splendide du film (mais on en attend pas moins d'un Minneli) notamment cette fulgurante scène d'amour où Gwen cède pour la seule fois à Dave. Troublée par la nouvelle de lui qu'elle vient de lire, elle lui cède presque à son insu et tandis qu'il lui détache lentement les cheveux en l'embrassant il la désinhibe complètement en la délestant de sa coiffure sévère. Le cadre se resserre, la photo s'assombrit pour laisser les deux amants s'abandonner à leur fougue dans la pénombre pour un incroyablement moment d'érotisme. Le film offre cependant peu d'envolées de ce genre et se suit finalement avec un ennui poli.
Tout ses défauts sont cependant moins rédhibitoire si on a su deviner la vraie héroïne du film à savoir Shirley MacLaine. Fille perdue à la traîne de Sinatra qu'elle a suivit par amour alors qu'ils se connaissent à peine, on cherche longuement son utilité tout au long de l'histoire. L'allure vulgaire et peinturlurée de maquillage, sa simplicité d'esprit la rend plus pitoyable qu'autre chose comparé aux protagonistes plus "profonds" qui l'entourent. C'est pourtant elle le coeur émotionnel du film, car elle est la seule à s'offrir entièrement, sans calcul, avec ses défauts et toutes prête à accepter ceux de l'homme qu'elle aime. La dernière partie plus centrée sur elle est donc la plus touchante et prenante. Sa maladresse la rend terriblement attachante lors des moments où elle va voir Gwen en étant prête à s'effacer à son profit (alors que cette dernière n'aura qu'une vaine réaction d'orgueil et de mépris) tout comme lorsqu'elle boit les mots de Dave lorsqu'il lui lit sa nouvelle bien qu'elle n'en comprenne pas le sens.
Le torrent exprimé dans le titre français c'est bien Shirley McLaine et la prestation magnifique et à fleur de peau qu'elle propose, transcendant les défauts du film une ultime fois avec un final sacrifice poignant alors que le rebondissement l'amenant est des plus poussif bien que la séquence soit brillamment filmée. Sorte de grain de sable dans la mécanique huilée et attendue de ce mélodrame McLaine lui donne tout son intérêt et sera récompensée par une nomination à l'Oscar qui attirera l'attention sur elle pour le fameux La Garçonnière de Wilder. Et en coulisse cela lui permettra d'intégrer le fameux Rat Pack grâce aux amitiés nées du tournage avec Dean Martin et Sinatra.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
mardi 22 février 2011
Une Vie Difficile - Una vita difficile, Dino Risi (1961)
Pendant la deuxième guerre mondiale Silvio Magnozzi est résistant et participe à la rédaction d'un journal clandestin. Alors qu'il cherche refuge dans un hôtel il est découvert par un allemand qui veut le fusiller. Il est sauvé de justesse par Elena, la fille de la patronne de l'hôtel. Celle-ci le cache et ils tombent amoureux. Quelques mois plus tard Silvio reprend le maquis. La guerre finie il travaille comme journaliste et à l'occasion d'un déplacement professionnel décide de la retrouver. Elena le suit à Rome où ils se marient. Mais les prises de positions radicales de Silvio ne rapportent pas d'argent et ils n'ont pas toujours de quoi manger. Suite à sa participation spontanée à une tentative d'insurrection Silvio est incarcéré, il débute la rédaction d'un roman "une vie difficile".
Un des plus beaux films de Dino Risi qui délivrait là sa première grande réussite vraiment personnelle avec ce parfait équilibre entre le récit intimiste, farce et une facette plus noire et politisée. Quand doit on renoncer à ses rêves et ambitions pour se résigner à une vie "normale" et rangée ? Tel est la question que ce posera tout au long du film le héros incarné par Alberto Sordi. Intellectuel de gauche aux rêves de grandeurs, il se voit régulièrement confronté à la dure réalité où son intégrité mais aussi sa vanité l'amènent dans une impasse impossible à surmonter.
Silvio est un personnage jusqu'au boutiste ne renonçant jamais à ses principes, quitte à s'autodétruire et à perdre progressivement tout ceux qu'il aime. Formidablement incarné par Alberto Sordi, notre héros poissard passe en un clin d'oeil de l'orgueil le plus démesuré à la bouffonnerie pure, à un pathétique touchant et pognant dans ses contradictions. Le film analyse très bien l'évolution de la société italienne, du tout politique de la fin de la deuxième guerre mondiale au matérialisme naissant du début des 60's qui va broyer le héros. On voit peu à peu les espoirs de gauche nés de la libération s'effondrer à l'image de la vie du héros où la fierté de son engagement va devenir un véritable poids pour sa famille. Quelques grands évènements politiques du pays sont passées en revues notamment la tragique défaite de la gauche en 1948 qui brisa pas mal d'élan et espoirs né de l'après Mussolini et le film exprime très bien certaines notions comme l'opposition entre les riches du nord et les paysans pauvres du sud, encore vivace alors. Malgré le fond dramatique, c'est l'angle comique qui domine par la manière dont un Sordi dépassé ne saura s'adapter à cette nouvelle donne pour se ridiculiser plus qu'à son tour.
Les moments hilarant sont légions tel cette scène où le couple de héros affamé et fauché parvient à s'incruster à dîner chez des royalistes un soir d'élections et que Sordi ne peut s'empêcher de se réjouir ouvertement (après avoir fait bien des efforts pour se contenir) de la victoire de son camp face aux convives effondrés (qui le congédient aussi sec). L'ambiguïté de Sordi entre conviction et plus basses ambitions se dévoile dans les moments où il s'abaisse le plus notamment les mots cruels que ivre il déverse de frustration à sa femme (magnifique Lea Massari) briseuse de carrière qui a entravé son destin en l'enfermant dans une prison domestique.
Sordi annonce en tout point le personnage de Stefano Satta Flores dans Nous nous sommes tant aimés (traité en octobre sur le blog) dans cette figure d'intellectuel exalté et vindicatif mais imbu de lui même au risque de se perdre. Le ton du film aurait cependant être bien plus désenchanté et sombre (Risi y viendra avec le terriblement cynique Au nom du peuple italien) notamment une dernière partie où Sordi abandonne tout par amour et se rabaisse. A la place du triste renoncement annoncé, c'est pourtant par la voie de ces sentiments profond réunissant le couple que les idéaux s'affirment intact et fiers lors d'une réjouissante dernière scène. Splendide.
Extrait du repas chez les royaliste énorme !
lundi 21 février 2011
Les Mariés de l'An Deux - Jean-Paul Rappeneau (1971)
Pour avoir tue un baron trop empressé auprès de Charlotte, sa femme, Nicolas Philibert a dû fuir en Amérique, où il a fait fortune et rencontré une riche héritière qu’il désire épouser. Il revient donc en France, où la Révolution entre-temps a éclaté, afin de retrouver Charlotte pour lui demander de divorcer.
Après le succès public et critique de son premier film La Vie de château (pour lequel il reçut le prix Louis Delluc), Jean Paul Rappeneau voit grand. Souhaitant frotter sa patte tourbillonnante à un contexte plus ambitieux, il s’attèle (épaulé par Claude Sautet) au scénario des Mariés de l’an II et souhaite y confronter un personnage extérieur aux multiples tableaux offerts par le contexte agité de la Révolution française. Le déclic quant aux tribulations de son héros se fera lors de recherches historiques, au détour d'une peinture montrant des couples faisant la queue pour divorcer à la mairie, ce droit étant inauguré avec le régime révolutionnaire. Après moult péripéties en amont (Julie Christie envisagée au côté d’un Warren Beatty enthousiaste finalement aux abonnés absents) et pendant le tournage (en Roumanie avec une équipe inexpérimentée, un dépassement des délais, une mésentente Jobert/Belmondo), Rappeneau se sortira de tous les écueils pour délivrer son film le plus abouti et spectaculaire.
Les Mariés de l’an II constitue en quelque sorte dans la filmographie de Rappeneau le deuxième volet d’une trilogie entamée par La Vie de château et conclue par Bon Voyage. Dans ces deux derniers films, le réalisateur s’appliquait à dépeindre une période historique française mouvementée, entraînant ses personnages dans un grand récit romanesque. Le souffle de l’aventure et le déferlement des péripéties n’entament cependant en rien la rigueur et la vérité de la description du cadre. Ainsi Bon Voyage, un des rares films à se dérouler dans une France de 1940 en pleine débandade, qui dépeignait avec lucidité la confusion du moment qui allait aboutir au régime pétainiste. Se situant durant la même période, La Vie de château montrait l’indolence et le détachement de la noblesse rurale face à la situation dramatique du pays. La comédie, l’aventure et le rythme effréné viennent heureusement toujours tempérer la noirceur de la toile de fond, en partie autobiographique pour Rappeneau qui fut témoin enfant de ces événements.
Il en va de même avec Les Mariés de l’an II qui nous fait remonter plus loin dans le temps à l’époque de la Révolution. Sous le regard détaché de Belmondo, on découvre donc un pays à feu et à sang rongé par les oppositions idéologiques. L’arrivée en barque du héros sur la côte nantaise laisse voir une jonchée de cadavres flottants. Plus tard, ce sera une ville de Nantes rongée par la famine où règne la suspicion d’un complot royaliste qui sera montrée. Suspicion qui entraîne procès et condamnation arbitraires comme va le découvrir à ses dépends Belmondo. Sans parler des décisions scandaleuses comme refuser du blé au peuple sous prétexte qu’il est douteux car provenant d’un supposé royaliste. Tout cela s’observe sous le trait d’un humour décapant (l’avocat de Belmondo qui, pour le défendre, l’enfonce encore plus pour bien paraître, grand moment comique) mais la virulence du propos demeure. La description de la noblesse réfugiée en campagne, détachée des réalités et à l’arrogance hautaine intacte sont tout aussi cinglantes. Volontairement, Rappeneau ramène les travers qu’il dénonçait dans les deux autres volets de sa trilogie au temps de la Révolution, puisque de tout temps les vraies personnalités se révèlent quand souffle le vent du chaos et de la tourmente.
L’influence fondamentale du cinéma américain sur Jean Paul Rappeneau, largement visible dans La Vie de château se révèle dans tout son éclat avec Les Mariés de l’an II. Du propre aveu du réalisateur, il tenta de marier l’ampleur des westerns et films d’aventure d'Anthony Mann et le timing comique de Lubitsch. Objectif atteint, Rappeneau s’avére clairement sans égal pour offrir de la screwball comedy à la française et de l’aventure trépidante. Déjà en tant que scénariste, son écriture avait largement contribué à la vitesse et au ton picaresque de L’Homme de Rio. Durant le tournage compliqué du film, le producteur Alain Poiré tenta à de nombreuses reprises de faire couper certaines séquences du script pas forcément indispensables à l’avancée de l’intrigue. Refus poli mais déterminé de l’intéressé, maniaque de ses écrits, et pour cause. Chez Rappeneau, le scénario et le découpage (ici réalisé en amont pour le film entier) sont les partitions d’une symphonie trouvant son accomplissement dans la mise en image. Derrière le vent de folie de chacun de ses films repose une horlogerie suisse méticuleusement préparée, un château de carte qui s’effondre si l'on en retire le moindre élément. En ce sens, Rappeneau se rapproche des plus grands maîtres de la comédie (genre exigeant s’il en est malgré les apparences) puisqu’un Wilder, un Sturges ou un Lubitsch ne procédaient pas autrement.
Cette science du rythme se manifeste de diverses manières dans le film, à commencer par sa concision étonnante (1h35 à peine !) au vu de l’enchaînement infernal de péripéties et de retournements de situation. Rendue imperceptible par Rappeneau, l’absence de vrais morceaux de bravoure jouant sur les cascades de Belmondo (qui entrait dans sa grande période casse-cou « Bebel ») peut étonner. A chaque fois que l’occasion se présente pour le héros de mettre en valeur ses facultés physiques (grand argument publicitaire de ses films de l’époque), le réalisateur joue de l’ellipse.
Le début du film où Philibert emprisonné à plusieurs reprises, va ainsi constamment jouer de l’ellipse pour ses évasions. L’usage du montage est des plus inventifs, comme lorsque Georges Beller le dissimule dans une armoire avant son exécution. Revenu le chercher, le meuble est vide. Vient ensuite cette séquence où Belmondo est enfermé seul dans un bureau d’où il observe de la fenêtre un jardin de roses.
Un zoom avant en vue subjective nous rapproche de plus en plus des fleurs quand soudainement une main surgit dans le plan pour en arracher une Il s’agit de Philibert qui poursuit tranquillement sa route, sans que l’on ait vu son escalade et sa descente depuis la fenêtre. Le fait d’y assister aurait ralenti l’intrigue et ne présentait pas d’autre intérêt que spectaculaire, inutile de s’y attarder(J'ai essayé de montrer le cheminement de la scène montré sur les 4 dernière captures).
Tout le début du film fonctionne ainsi sur ce ton alerte où nous sommes alimentés en informations sur le contexte, les personnages (la voix off truculente et si particulière de Jean-Pierre Marielle fait merveille), emmenés d’un lieu à un autre en un temps record. Ce n’est que lorsque l’enjeu principal reposant sur les retrouvailles entre Charlotte et Nicolas se joue que le film daigne ralentir. Alors qu’on avait à peine pu savourer la reconstitution fastueuse auparavant (superbes costumes de Marcel Ecoffier), Rappeneau offre le plus beau moment du récit avec la fête clandestine chez les nobles cachés en campagne. Tout se marie idéalement sans le moindre dialogue : la grâce de la mise en scène accompagne la danse endiablée des nobles, le cache-cache et le jeu de regards entre Belmondo et Marlène Jobert, le tout porté très haut par la musique romantique de Michel Legrand qui signait là un de ses meilleurs scores.
Les courses-poursuites, coups de griffes et gifles entre le couple vedette ne sont pas oubliés par la suite mais s’inscrivent dans une temporalité moins bousculée. C’est seulement là, lorsque la dramaturgie l’exige que le spectaculaire peut s’inviter. On aura ainsi droit à un duel à l’épée magistral entre Belmondo (forcément à son aise après le Cartouche de De Broca) et deux assaillants (l’équilibre entre les fracas des armes et la musique de Legrand est une nouvelle fois soufflante de précision), puis face au marquis ténébreux joué par Sami Frey.
L’ironie peut alors s’estomper et les sentiments exploser, lorsque Charlotte si distante jusque-là fond littéralement lorsqu’elle pense Belmondo mort, oubliant ses rêves de noblesse pour courir au chevet de son homme. Le rapprochement final sur fond de bataille épique fonctionne de la même manière, le cadre chaotique du combat entre les armées française et anglaise servant d’obstacle à la réunion du couple (une hilarante scène de divorce en mairie avec un Bebel ahuri étant venue détendre l’atmosphère entre temps).
Pour ceux qui ne voient en Rappeneau qu’un cinéaste de la frénésie, l’autre histoire d’amour du film vient apporter un cinglant démenti. Même s’il leur réserve un beau moment intime dans un arbre, Philibert et Charlotte ne s’aiment que dans le conflit (l’hilarante scène finale appuyant définitivement ce fait). Plus romanesque, scandaleuse et littéraire, la passion interdite entre les frère et sœur joués par Sami Frey et Laura Antonelli (qui pour l’anecdote sera en couple avec Belmondo suite au film) offre une vraie grâce dramatique et mélancolique au film. Objectivement pas indispensable pour le récit (Alain Poiré voulut une nouvelle fois jouer du ciseau à ce sujet) mais fondamentale à l’équilibre du film.
Leur ultime scène offre une vraie mélancolie suspendue, les montrant chevaucher côté à côte et échanger le regard complice et triste des amants maudits. Le Rappeneau futur, moins cadencé et plus intériorisé de Cyrano et du Hussard sur le toit (le beau etsous-estimé Tout feu tout flamme ayant annoncé le revirement on en recause bientôt ici) se dessine déjà dans ces instants.
Sorti dans une magnifique édition collector chez Gaumont