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jeudi 19 janvier 2012
Brazil - Terry Gilliam (1985)
Sam Lowry, fonctionnaire modèle d'une mégapole étrange, à la fois d'hier, beaucoup d'aujourd'hui et tout à fait de demain, a des problèmes avec sa maman et avec l'Etat, tout puissant. Pour couronner le tout, des songes bizarres l'entraînent chaque nuit sur les ailes d'Icare, à la recherche d'une jeune femme blonde, évanescente, inaccessible. Chaque fois qu'il est sur le point de l'atteindre, leurs trajectoires se séparent et le songe s'interrompt cruellement. Pourtant une nuit, la belle Jill Layton entre dans sa vie...
Bien que le film soit sorti en 1985, le tournage de Brazil durant l'année 1984 était un signe pour ce qui reste la meilleure adaptation (officieuse) du roman de Georges Orwell, en dépit de l’honnête illustration qu’en tira Michael Radford lors de cette même année symbolique. Le scénario, coécrit avec Tom Stoppard et Charles McKeown (rôle secondaire chez les Pythons, dont le plus fameux est l’imitateur de bruits de sabots à l'aide de noix de coco dans Sacré Graal ; collaborateur essentiel de Gilliam dans les années à venir, il tiendra un des premiers rôles de Münchausen), est la manifestation la plus accomplie du bouillonnement d’idées agitant le réalisateur depuis des années.
Le court métrage The Crimson Permanent Assurance, qui servait de préambule à l’ultime film des Monty Python, Le sens de la vie, contenait déjà tous les germes de Brazil. On y voyait de vieux fonctionnaires oppressés par leur supérieur, contre lequel ils finissaient par se rebeller. Brazil nous dépeint, à l’échelle d’une société entière, le même genre d’administration, froide, rigoureuse et inhumaine. Une des premières scènes, kafkaïenne en diable, navigue donc entre drôlerie la plus complète et noirceur absolue, illustration brillante de l’effet papillon.
Un fonctionnaire maniaque s’acharne à pourchasser une mouche dans son bureau et, ce faisant, commet une erreur administrative aux conséquences dramatiques, provoquant une série de réactions en chaîne : arrestation arbitraire effectuée par erreur et entrée en scène du héros Sam Lowry. Ce dernier reste à ce jour le personnage le plus attachant de la filmographie de Gilliam.
Fonctionnaire blasé végétant dans un poste indigne de ses talents, Sam Lowry traverse son quotidien terne et monotone comme un fantôme, pour ne réellement exister que la nuit venue, dans des rêves à l’imaginaire extravagant dont il est le héros. Contrairement à Time Bandits, la nuance entre le réel et l’imaginaire n’est ici jamais remise en cause.
L’opposition entre les rêves foisonnants de Lowry et l’esthétique austère, entre Metropolis et le film noir des années 40 (esthétique déjà datée à l’époque, en comparaison d’un Blade Runner et renforçant ainsi le caractère métaphorique du cadre du récit), est suffisamment marquée, les transitions de l’un à l’autre suffisamment brutales pour ne pas provoquer la confusion volontaire du film précédent ou du Münchausen à venir.
Cependant, alors que dans Bandits Bandits des éléments du réel venaient s’insérer et influencer le monde imaginaire, c’est ici l’inverse qui se produit, à travers le personnage de Jill. Princesse à sauver et symbole d’amour absolu dans les rêves de Sam, la rencontre de son équivalent dans le monde réel va l’inciter à ne plus seulement survivre, mais vivre pour mériter l’attention de cette femme.
C’est lors des échanges entre ces deux-là que le film trouve charme et légèreté, respirations bienvenues face à tant de noirceur. L’échange dans le camion où la maladresse touchante de Sam finit par avoir raison de la dureté de Jill, ou encore le moment où celle-ci subjugue Sam en arborant littéralement l’image qu’il se fait d’elle dans ses rêves, figurent parmi les séquences les plus émouvantes. Dans Brazil, la puissance de l’imaginaire n’est plus seulement un moyen d’amener du piquant à son quotidien, mais une des forces incitant à le bouleverser. C’est par amour pour Jill que Sam va se rebeller contre le système et bouleverser sa mécanique bien huilée.
Les embûches sont diverses, dans ce monde de plus en plus cauchemardesque, allant du tentaculaire Ministère de l’Information à la malveillance de techniciens trop zélés. C’est dans la menace terroriste que Sam trouvera son seul allié et mentor, en la personne de l’agent du désordre Tuttle, joué par Robert De Niro (présent grâce à Arnon Milchan, qui produisait parallèlement La Valse des pantins de Scorsese).
La dernière partie est la seule à jouer ouvertement du mélange imaginaire / réalité, mais avec suffisamment d’emphase (la spectaculaire évasion de Sam, trop belle pour être vraie, les retrouvailles avec Jill) et de symbolique (le mentor Tuttle noyé sous la paperasse, tous les bâtiments représentant le pouvoir et l’oppression détruits) pour ne pas être dupe. Le but n’est plus d’égarer la perception du spectateur, mais de définir le rêve comme ultime refuge face à la cruauté du monde réel. Sam l'a bien compris, rejoignant en songe son amour tandis que son enveloppe physique succombe à la torture. Avec ce second film de son cycle de l'imaginaire (qu'il conclura en apothéose avec Les Aventures du Baron de Münchausen), Terry Gilliam signait son premier chef d'oeuvre.
Sorti en dvd zone 2 français cez Fox. Mais pour avoir une édition à la hauteur, se pencher vers le zone 1 Criterion qui revient longuement sur le conflit de production du film et propose même plusieurs montages alternatifs très étonnants.
Un grand film.
RépondreSupprimerIl paraîtrait que le DVD Blu-ray qui vient de sortir met bien l’œuvre en valeur.
RépondreSupprimerVoir sur :
http://www.lesnumeriques.com/film-blu-ray/brazil-p12684/test.html
Je me souviens de ma découverte de ce film lors de sa sortie, nous étions sortis un peu sonnés en sortant du cinéma...
Je me souviens aussi d'une séance mémorable au cinéma Le Champollion (Paris, rue des Écoles), public estudiantin rigolard et marchant à fond dans l'humour des Monty Python. Grand moment!
Et comble de comique de situation, le film a été précédé d'un certain nombre d'épisodes du dessin animé de Woody Woodpecker... Au dixième, la salle était en délire!
Et apparemment le blu-ray comporterait un nouveau montage qui reprend l'européen (vu que l'américain a un happy end incongru) en modifiant quelques éléments. Ca commence à faire pas mal de versions...
RépondreSupprimerRéflexion faite, le film vu au Champollion au jour mémorable dont je parle plus haut n'était pas BRAZIL mais MONTY PYTHON SACRÉ GRAAL.
RépondreSupprimerAutre incontournable!
Ah oui fabuleux Sacré Graal entre celui là et La Vie de Brian mon coeur balance pour mon Monty Python favoris ! J'aime beaucoup cette salle du Champo plein de bon souvenirs de découvertes là bas aussi...
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